C’était le concert le plus attendu de l’année. Taylor Swift a lancé la partie européenne de son Eras Tour le 9 mai, à Paris, avec un show impressionnant de 3h15, marqué par l’interprétation de plusieurs titres de son nouvel album, The Tortured Poets Departement. Nouvelle setlist, moments forts… On vous raconte tout.
Un Zénith à Paris en 2011. Voici à quoi se résumaient les passages dans les salles de concert françaises de Taylor Swift (mettons de côté L’Olympia surprise de 2019 et son passage prévu aux arènes de Nîmes, en 2020, annulé en raison de la pandémie), pop-star déjà adoubée aux États-Unis et détentrice de plusieurs records, mais mal-aimée du public français.
Tout a changé en 2023. Quelques mois après la sortie de son album Midnights, le lancement de sa tournée exceptionnelle, The Eras Tour, rendant hommage à chaque era (chaque album correspondant à un chapitre de sa carrière), a créé le phénomène aux États-Unis et partout dans le monde. Les places pour les quatre dates parisiennes et deux dates à Lyon ont été vendues en une poignée de minutes.
45 000 Swifties étaient attendus pour cette première date à Paris La Défense Arena, à Nanterre, donnant le coup d’envoi de la tournée européenne de l’autrice-compositrice-interprète. Aux abords de la salle, déjà, l’événement rappelle qu’assister à un concert de Taylor Swift n’est pas un rendez-vous comme un autre. Les fans ont joué le jeu, sont habillés selon leur era préférée, arborent des friendship bracelets (évoqués dans son morceau You’re on Your Own, Kid), des chapeaux, du maquillage coloré…
On entend même l’accent américain de certains fans ayant spécialement fait le déplacement. Il faut dire que cette date était particulièrement attendue, car depuis l’arrêt de sa tournée à Singapour, il y a exactement deux mois, Taylor Swift a sorti un nouveau double album, The Tortured Poets Department et se devait donc de le jouer pour la première fois.
Enchaînement de tubes et de prises de parole
Il est rare aussi de voir une salle de concert si remplie dès la première partie, lancée à 18h45. Les fans situés dans la fosse or (où nous étions) s’impatientent, espérant un signe de leur bracelet lumineux donné à l’entrée de la salle. Après une première partie (très réussie) assurée par Paramore, un décompte est lancé à 19h52. On la savait ponctuelle, mais là…
Taylor Swift apparaît sur scène à 19h55 au son de Miss Americana & The Heartbreak Prince lançant l’era Lover (2019). Premier constat : l’Américaine porte une nouvelle tenue de scène, le bodysuit brillant n’est plus argenté, mais orangé. On comprend que tout le show a été modifié pour cette nouvelle étape. La foule est en liesse, chante si fort qu’on peine à entendre la star et ses choristes.
L’enchaînement de Cruel Summer, hymne incontournable des Swifties, lance le premier bridge de la soirée. Souriante à chaque instant, la trentenaire prend ensuite le temps de saluer son public, en français : « Paris, enchantée ! », suivi de « Vous allez bien ? », « Je m’appelle Taylor ». Extrêmement souriante, elle le restera toute la soirée. Elle nous annonce qu’elle sent « extraordinairement bien » avant d’enchaîner sur The Man, tube féministe synonyme d’empowerment, permettant de souligner des chorégraphies bien rodées avec une quinzaine de danseurs.
La native de Pennsylvanie, devenue à l’automne la première artiste milliardaire uniquement grâce aux revenus générés par sa musique, fait chavirer les cœurs à chaque prise de parole, comme en témoignent tous les chuchotements entendus à côté de nous : « Elle est trop belle », « Non, mais regarde ! », « J’en reviens pas »… Swift se dit chanceuse de pouvoir lancer cette tournée européenne à Paris, « la plus belle ville et la ville la plus romantique du monde ».
En bonne meneuse, elle s’adresse à son public pour lui expliquer en quoi consistera la soirée, à savoir la célébration de 18 ans de musique, avec un objectif : que ses fans français créent de nouveaux souvenirs en écoutant ses chansons en live.
La carte de la nostalgie
La pop-star est venue avec des surprises. La setlist a changé, l’ordre des eras aussi, et certains morceaux ont été supprimés. Exit The Archer en clôture de Lover, place à l’era plus country de Fearless, dont les trois titres – le morceau éponyme, joué à la guitare portant son numéro porte-bonheur, le 13, You Belong With Me, puis l’incontournable Love Story – nous embarquent avec nostalgie à la fin des années 2000. Les plus fans ont d’ailleurs fait savoir sur les réseaux sociaux que sa nouvelle robe dorée et noire, arborée ce jeudi soir, est quasiment identique à celle de la tournée de l’époque.
La star ne chante pas seulement ses morceaux, elle joue et retranscrit ses paroles en se baladant à chaque coin de l’immense scène permettant aux personnes situées au fond de la fosse de l’apercevoir plusieurs fois de près. L’era pop Red (2012) offre un moment de liesse sur le morceau 22, fédérateur sur We are Never Getting Back Together avec jets de fumée, et se finit en apothéose avec la Taylor’s Version de All too Well à la guitare acoustique.
Avec malice, elle prend le temps de nous demander si nous avons dix minutes à lui accorder. Le silence est d’abord absolu, le moment est ensuite cathartique avec un public chantant à l’unisson le morceau écrit après sa rupture avec l’acteur Jake Gyllenhaal. Il s’agit sans aucun doute de l’une des chansons préférées des fans et l’une des plus belles réussites du show.
Si tout est millimétré, l’Américaine accorde du temps à l’échange, nous dit que ce type de salle a sa préférence, lui permettant de faire « des eye contacts avec tout le monde », regrette de ne pas avoir « passé plus de temps en France » et ne pas avoir « tourné davantage en Europe ».
Place à un (très) bref moment hors du temps. Des danseuses aux robes parme s’avancent sur la scène aux premières notes d’Enchanted, morceau remarqué de Speak Now (2010) (dont la Taylor’s Version est sortie pendant l’été 2023). Elle apparaît dans une grande robe aux teintes similaires, ressemblant à une princesse Disney. Une parenthèse enchantée qui se termine bien vite, puisque le sublime Long Live a été (à notre grand regret) enlevé de la setlist.
Entre chaque set, la tension ne faiblit jamais, le changement de tenue ne dure qu’une (petite) poignée de minutes tandis qu’une animation s’affiche sur l’écran, laissant le temps de deviner quel album sera ensuite mis à l’honneur. Le serpent est éloquent, il s’agit de Reputation, album tournant de 2017, aux sonorités plus R’n’B et rock. Le contraste est total et prouve que Swift peut tout faire, apparaissant plus sensuelle et affirmée, notamment sur … Ready for it ? et Don’t Blame Me. Une place de choix est aussi offerte à ses musiciens, dont deux guitaristes, fait rare pour une pop-star, avec qui elle s’offre de beaux moments de complicité.
Parenthèse poétique
Après la partie énergique bien huilée, place à davantage d’émotion avec le doux cardigan de l’album Folklore, chanté depuis l’un des plus beaux décors. Comme l’album aux allures folk, la scénographie est poétique : la pop-star apparaît seule dans une maison alors que ses musiciens sont sur les marches juste devant, puis assise à un piano recouvert de mousse façon forêt enchantée.
La musicienne en profite pour confirmer ce que l’on sentait arriver : elle perçoit Folklore et Evermore – sortis à quelques mois d’intervalle, en 2020 – comme des « soeurs », l’une représentant le printemps et l’autre l’automne, et a choisi de les fusionner pour le reste de la tournée.
Après nous avoir offert un moment suspendu piano-voix sur Champagne Problems, Swift se laisse surprendre par une ovation du public de deux minutes. Larmes aux yeux, regard à 180 degrés… Celle qui manie les mots à merveille dans ses chansons fortement autobiographiques se contente d’un sincère « merci beaucoup ». Dans sa robe vaporeuse jaune, la voici ensuite qui foule la scène au son d’August. La féérie opère, y compris quand elle se transforme en sorcière enchanteresse sur Willow.
L’album ultra pop 1989 (2014) donne, dans le tableau suivant – à base de couleurs flashy et d’accessoires kitsch –, l’occasion de dégainer les tubes : Style, Blank Space, Shake it Off (sur laquelle toute l’Arena danse), Wildest Dreams, Bad Blood… Et de la surenchère côté scénographie jusqu’à amener des vélos sur scène (on s’en serait passé, mais après tout…).
The Tortured Poets Department, le set le plus impressionnant
Les fans attendaient avec impatience l’arrivée des morceaux de son nouvel album, The Tortured Poets Department, sorti le 19 avril. Il est 22h07 et, après 2h15 de concert, l’artiste revient au bout de son immense scène interprétant But Daddy I Love Him. Sa robe blanche aux motifs manuscrits est un évident clin d’œil à la machine à écrire accompagnant l’imagerie du disque.
Si l’on pouvait avoir des réserves quant à son interprétation live, les doutes retombent rapidement ; la chorégraphie est sublime, avec des danseurs toujours assortis, et la rage de l’artiste est au rendez-vous. Elle est généreuse, dévoile sept morceaux, dont certaines versions raccourcies. L’enchaînement est maîtrisé avec So High School, qui nous fait décrocher un grand sourire.
Et pour cause, ce nouveau titre relate sa romance avec le footballeur américain Travis Kelce, rencontré à l’été 2023 et qui semble déjà avoir trouvé une place de choix dans le cœur et la discographie de l’artiste. Sur Who’s Afraid of Little Old Me, elle semble léviter sur une plateforme l’embarquant d’avant en arrière.
Suit le single Fortnight, où un lit d’hôpital s’invite sur scène pour une mise en scène dramatique et jouissive à souhait. The Smallest Man Who Ever Lived résonne à la puissance de la batterie s’imposant comme l’un des meilleurs titres du disque.
Avant I Can do it With a Broken Heart, relatant son état d’esprit il y a un an, avant de commencer son Eras Tour, Swift fait semblant de s’évanouir. Rattrapée par deux de ses danseurs dans un décor de cabaret, elle fait tomber sa robe blanche pour laisser place à une brassière noire à sequins et à un blazer doré. Une tenue adaptée pour lancer le tube taillé pour le live avec des sonorités 80s.
Ce tableau, préparé dans le secret le plus total ces dernières semaines, restera le plus époustouflant, soulignant aussi son talent de comédienne (eh oui !). Elle nous avouera ensuite qu’elle surnomme ce set « Female Rage : The Musical ». Une évidence quand plus de la moitié des titres parlent de ses déceptions amoureuses.
45 morceaux pour 3h15 de show
À chaque concert, Swift offre un moment acoustique à son public, où elle dévoile, seule au piano ou à la guitare, deux morceaux surprises. Elle ouvre ce moment avec Paris (de l’album Midnights). Suit Loml, émouvant titre de son dernier album. Midnights (2022), opus fraîchement pop, reste à l’honneur pour la toute dernière partie du concert. Anti-Hero, l’un de ses titres les plus écoutés sur les plateformes de streaming, est scandé par toute la salle. Sur Midnight Rain, elle fait une dernière fois tomber sa robe violette pour un bodysuit brillant bleu qui l’emmènera du sexyVigilant Shit à Karma, pour un épilogue parfait à base de confettis.
Que garder de ce show ? Ajouter une nouvelle era à un concert colossal impliquait évidemment de faire des choix dans la setlist. L’artiste a opté pour la radicalité en coupant dans des opus bien précis : Lover, Folklore, Evermore et Speak Now. Espérons qu’elle décide de réintégrer Long Live – titre marquant un lien fort avec ses fans – lors de ses concerts lyonnais, prévus au Groupama Stadium les 2 et 3 juin prochain.
Il nous reste l’image d’une pop-star humaine, soucieuse de créer un lien (certes chorégraphié) avec son public, souvent avec des regards espiègles, d’expliquer pourquoi elle fait de la musique depuis l’âge de 12 ans, tout en enchaînant le meilleur d’une discographie variée. Au sommet de sa carrière, Taylor Swift est une performeuse de taille qui s’approprie la scène XXL à toute allure pendant 3h15 de show avec 45 morceaux (dont des versions raccourcies) répartis en dix tableaux, sans jamais afficher de moment de faiblesse.
Cette tournée est la « meilleure expérience de [sa] vie », nous a-t-elle dit. Elle est déjà la tournée la plus lucrative de l’histoire de la musique. Son concert parisien restera gravé dans nos mémoires comme un moment fédérateur et terriblement réconfortant.