Avec le second opus dirigé par Denis Villeneuve, les spectateurs découvrent un peu plus le vaste univers inventé par Frank Herbert et brillamment poursuivi par son fils Brian après sa mort. Retour sur une passation de pouvoir pas si évidente.
C’est le grand succès de ce début d’année. Depuis quelques semaines, les fans peuvent retrouver Paul Atréides, les Fremen et la maison Harkonnen dans Dune, deuxième partie au cinéma. Dune est un chef-d’œuvre de la littérature, cela va sans dire. Roman de science-fiction le plus vendu au monde, il remporte dès sa publication de prestigieuses récompenses comme les prix Nebula et Hugo en 1966.
Pendant 20 ans, Frank Herbert s’attelle ensuite au développement de cet univers et écrit cinq ouvrages supplémentaires, dont le sixième intitulé La Maison des mères est publié quelques mois avant la disparition de l’auteur, en février 1986.
À cette époque, il laisse derrière lui un héritage culturel déjà majeur et des millions de fans touchés par son œuvre. Mais celle-ci ne reste pas figée : Dune est également un héritage familial et son fils Brian Herbert en devient le dépositaire.
Suivre les pas du père
Pendant une bonne partie de sa vie, Brian ne pense pas forcément faire carrière en tant qu’auteur. Malgré tout, Frank semble lui avoir légué le don de la plume. « Ma femme avait remarqué que j’écrivais de très bonnes lettres de plainte sur des objets défaillants et que j’obtenais ce que je voulais de ces grosses sociétés », explique-t-il il y a des années avec humour dans une interview relayée par le Washington Post.
Après la mort de sa mère Beverly en 1984, Brian quitte son travail dans le monde des assurances et prend le relais. Il commence à travailler avec son père et écrit ses premiers romans, comme le satirique Sidney’s Comet.
Au début des années 1990, Brian Herbert se lance dans l’écriture de la biographie de son défunt père. Une aventure qui va durer cinq ans et le pousser à se plonger dans l’œuvre paternelle.
Il crée notamment une encyclopédie de 600 pages dans laquelle il référence tous les éléments possibles de Dune. « Je savais sur quelle page était la description des personnages, toute leur histoire », raconte Brian Herbert dans le même entretien.
La rencontre avec Kevin J. Anderson, le déclic
Mais, jusqu’en 1997, l’écrivain n’a pas le sentiment qu’il faut poursuivre Dune. Le titre du sixième roman avait été trouvé par sa mère et Frank lui avait rendu hommage à la fin du livre : « Je pensais que la série devait s’arrêter ici, avec cet hommage à ma mère. »
Il finit par se laisser convaincre par un éditeur de superviser un recueil d’histoires courtes. Il rencontre pour cette occasion son futur co-auteur, Kevin J. Anderson, qui le convainc de poursuivre la saga de son père. Passionné de science-fiction (il écrira des romans pour les plus grandes franchises comme Star Wars, X-Files ou StarCraft), Kevin lui envoie une lettre lui expliquant qu’il veut écrire un roman Dune.
En mettant de côté l’aspect émotionnel, Brian Herbert sait « qu’il y a une histoire à raconter, que son père préparait un nouveau roman ». Quand il trouve une trentaine de pages de notes sur la suite de la saga laissées par son père, la bascule opère et les deux écrivains entament une collaboration particulièrement fructueuse.
Ils commencent avec six romans se déroulant des années avant l’œuvre originelle avec les cycles nommés Dune, la genèse et Avant Dune. Ils y décrivent notamment l’affrontement entre humains et machines et la mise en place des événements décrits dans le tout premier livre.
Les deux auteurs se penchent ensuite sur l’Après Dune avec Les Chasseurs de Dune et Le Triomphe de Dune, mettant un terme au cycle entamé par Frank Herbert. À l’heure où ces lignes sont rédigées, le duo a écrit 17 romans situés dans l’univers de la saga (dont le petit dernier, La Princesse de Dune est en librairie depuis le 7 mars 2024).
Des années après la mort de son auteur original, Dune n’a donc pas fini de s’étendre, sans « s’éloigner de l’histoire imaginée par Frank Herbert », rappelle son fils à l’occasion. C’est avec un grand respect que Brian poursuit la grande œuvre de son géniteur, cette saga racontée de père en fils qui a rapproché les deux hommes sur le tard. Car, si Brian n’était pas allé travailler avec son père au début des années 1980, l’histoire aurait pu être différente.
Avoir Frank Herbert comme père, les souvenirs de Brian
Pendant sa jeunesse, les deux hommes ne s’entendent pas vraiment. « Alors que nous sommes vraiment devenus amis à l’âge adulte et que nous avons écrit ensemble L’Homme de deux mondes, on ne s’entendait pas toujours auparavant, lorsque je vivais chez lui. Il m’a fallu du temps pour découvrir quel homme génial et aimant il était », confie Brian à ActuSF.
Dans la biographie de son père, Brian Herbert le présente sous tous les angles, les bons comme les mauvais. Enfants, lui et son frère Bruce craignaient leur papa. Il lui arrivait de les enfermer dehors en attendant le retour de leur mère pour pouvoir écrire ou de les passer au détecteur de mensonges quand il pensait que ses fils mentaient.
Une enfance qui semblait être difficile avec un père déterminé à l’idée de devenir un auteur reconnu. Avant de connaître le succès avec Dune, Frank et sa femme, Beverly, également écrivaine, enchaînaient les jobs et déménageaient très souvent, en raison de problèmes financiers.
Brian explique que pendant son enfance, sa famille a vécu dans plus de 20 maisons différentes. C’est en s’établissant dans un « quartier pauvre de San Francisco », grâce au travail stable de Beverly, que Frank va pouvoir se consacrer pleinement à l’écriture.
Dans un entretien pour Dune, le mook, Brian se remémore son premier souvenir de Dune dans cette maison : « C’était en 1962. Mon père travaillait depuis quelques années sur ce projet. Il était assis dans la salle à manger de l’appartement à côté de ma mère. Il lui narrait la scène du gom jabbar. »
Ces souvenirs, c’est en grandissant que l’auteur a appris à les aimer. Il attend d’avoir « une bonne vingtaine d’années » pour lire entièrement l’œuvre de son père et apprend ensuite à l’admirer. « Je lui ai pardonné pour tout ce qui ne s’était pas bien passé », explique-t-il dans le mook. « Il était humain. Il ne faut pas oublier qu’il a eu une enfance et une relation compliquée avec ses propres parents. Nous sommes des produits de notre époque. Je crois qu’il a fait sincèrement ce qu’il pouvait. »
Brian n’est pas le seul membre à avoir contribué à la grande saga familiale. Comme brièvement évoqué plus haut, Beverly Herbert a activement aidé son mari. En plus de faire vivre la famille, « elle a été un soutien de tous les instants pour mon père. Elle avait elle aussi des talents d’écriture et elle relisait tous ses romans. »
En plus d’avoir inspiré le personnage de Dame Jessica, mère de Paul Atréides, « elle conseillait mon père sur la psychologie féminine de ses personnages en lui disant : “Une femme ne pense pas comme ça” », précise Brian.
Et si Frank Herbert a tant mis en avant les femmes dans son œuvre, Beverly n’y est pas pour rien. « Le meilleur ami de mon père, Howie Hansen, a dit que sans l’influence de Beverly Herbert, il n’y aurait pas eu de Frank Herbert tel qu’on l’a connu », insiste le fils dans une ancienne interview. Dune est une grande épopée familiale à plus d’un titre.