Entretien

Margot Gallimard : « C’est important de mettre au jour les histoires qu’on ne nous a pas servies »

15 novembre 2021
Par Margot Lachkar
Margot Gallimard, directrice de la collection "L'Imaginaire".
Margot Gallimard, directrice de la collection "L'Imaginaire". ©Inès Tabarin

Directrice de la collection ‘L’Imaginaire’ depuis le début de l’année, Margot Gallimard – la troisième fille d’Antoine Gallimard, actuel président du groupe – a annoncé son objectif de rendre visible les textes de femmes. Rencontre.

Pouvez-vous présenter la collection ‘L’Imaginaire’ ?

C’est une collection qui date de 1977, de réédition de fonds : une collection de semi-poches qui va rééditer des œuvres oubliées, marginales ou expérimentales, de France et du monde entier. Elle est réputée en particulier pour sa richesse internationale : nous avons par exemple Paul Bowles (Réveillon à Tanger, 2007), Herman Melville (Pierre ou Les ambiguïtés, 2020), William Faulkner (Les Larrons, 2014), Francis Scott Fitzgerald (Tous les jeunes gens tristes, 2013), Édith Wharton (Le Fils et autres nouvelles, 2002). Cette collection publie donc des raretés – et je l’ai toujours trouvée très belle, un peu à côté, très riche. C’est le meilleur moyen d’aller contre ce que les auteurs et autrices redoutent le plus, c’est-à-dire l’oubli. Cela leur permet de rester en librairie.

Dans quelle mesure avez-vous modifié la ligne éditoriale, depuis votre arrivée ?

J’ai pris mes fonctions en janvier dernier. Bien avant cela, j’avais conscience que l’Histoire a écarté les femmes de la littérature et de toute forme d’art. Comme ‘L’Imaginaire’ date de 1977, il est lui aussi reflet de cette histoire-là. Il n’y a que 32 femmes sur 320 auteurs dans la collection, soit 10%. Ces autrices sont pourtant de vrais succès commerciaux, à l’instar de Marguerite Yourcenar (Feux, 1993) ou de Marguerite Duras (Nathalie Granger, suivi de La Femme du Gange, 2010).


Je me suis dit que ce n’était pas possible qu’il y en ait si peu, parce qu’on sait que les femmes ont écrit. Il reste, dans le fond Gallimard, de nombreux textes qu’on n’a pas dépoussiérés. C’est là que le travail d’enquête commence, et je trouve ça très enrichissant, très intéressant d’aller fouiller, d’aller découvrir des petites pépites. C’est important de mettre au jour les histoires qu’on ne nous a pas servies. Et je me demande si on ne pourrait pas créer un nouvel imaginaire, peut-être un imaginaire de classiques différent, pour que ces autrices puissent aussi devenir des références.


Andrée Viollis écrit dans Criquet, que nous avons publié en juin dernier, que ce sont toujours les mêmes histoires qu’on nous raconte : ce sont toujours des histoires d’hommes. Or je suis convaincue que lorsqu’une femme écrit, surtout à cette époque-là, ce ne sont pas les mêmes histoires, ce ne sont pas les mêmes sensibilités, ce ne sont pas les mêmes émotions. Et nécessairement, en étant une femme, on est en déficit de toutes ces histoires-là – et de notre histoire littéraire. Finalement, pour moi, ‘L’Imaginaire’ est fédérateur. Cela permet justement une forme de ralliement autour d’autrices oubliées.

Pourquoi avoir adopté un système de double préface, et comment choisissez-vous celles et ceux qui les rédigent ?

Chaque nouveauté n’a pas nécessairement de préface. C’est surtout pour mettre en valeur les textes les plus méconnus. La double préface est un système où deux lectures se font face, se regardent, et discutent ensemble indirectement. Et je trouve ça beau. Je trouve ça beau aussi qu’il y ait deux points de vue ou deux sensibilités, dans un même temps, sur un même ouvrage. Et puis cela permet de dire plus de choses.

Par exemple, pour Criquet, les préfaces sont de Clémence Allezard et Constance Debré. On a donc une journaliste qui travaille sur les questions de genre, et Constance Debré qui est une autrice de son homosexualité et de son histoire personnelle de garçon manqué, où il y a aussi, finalement, cette déconstruction sur le genre [Play Boy, Stock, 2018, ndlr]. Je choisis toujours le texte pour une personne, j’essaie de faire des ponts entre les œuvres et leurs goûts communs. Je cherche à ce que les univers se correspondent. Je demande aussi aux auteurs et aux autrices si ils et elles ont des idées de textes qui n’existent plus. Annie Ernaux, par exemple, m’en a donné énormément.

Article rédigé par
Margot Lachkar
Margot Lachkar
Journaliste
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