Critique

La Bête : que vaut le nouveau film avec Léa Seydoux ?

05 février 2024
Par Lisa Muratore
Léa Seydoux et George Mackay dans “La Bête”, en salle le 7 février 2024.
Léa Seydoux et George Mackay dans “La Bête”, en salle le 7 février 2024. ©Carole Bethuel

Présenté en sélection officielle à la Mostra de Venise 2023, La Bête signe le retour de Bertrand Bonello derrière la caméra. Le réalisateur filme ici une histoire d’amour à travers le temps, portée par Léa Seydoux et George MacKay, dans un long-métrage SF brillamment mis en scène, qui manque toutefois de lien.

Léa Seydoux et Gaspard Ulliel : c’est le casting qui aurait dû composer le nouveau projet de Bertrand Bonello. Cependant, la disparition prématurée de l’acteur, à la suite d’un accident de ski en 2022, a forcé quelques mois plus tard le réalisateur à remplacer son comédien fétiche – avec qui il avait tourné Yves Saint-Laurent (2014) et Coma (2022) – par l’acteur britannique George MacKay. 

Léa Seydoux et George MacKay. C’est donc autour de ces deux interprètes que s’articule aujourd’hui La Bête, libre adaptation de la nouvelle d’Henry JamesLa Bête dans la jungle (1903). L’œuvre de l’auteur anglais sert ici de point de départ à l’histoire de Bertrand Bonello, qui officie également en tant que scénariste, et offre à travers plusieurs époques une interprétation moderne du court roman. 

Léa Seydoux et George MacKay dans La Bête. ©Carole Bethuel

2044. L’intelligence artificielle a pris le contrôle de notre société et les émotions humaines sont devenues une menace. Pour s’en débarrasser, Gabrielle (Léa Seydoux) choisit de se replonger dans ses vies antérieures – en 1910 et en 2014 – pour retrouver son grand amour, Louis (George MacKay). Mais ce voyage dans le temps s’annonce macabre et la jeune femme, à chacune des époques, est hantée par un sombre pressentiment. Une catastrophe est sur le point d’arriver ; une drôle de bête rôde à travers ses souvenirs.

Un film visuellement dense 

Seulement un an après Coma, Bertrand Bonello est de retour derrière la caméra. À l’instar de son précédent film, le réalisateur convoque une multiplicité de styles. Après l’animation, les images en prise de vues réelles et la stop-motion, il s’empare de plusieurs genres de cinéma. Film d’époque, mockumentaire à l’aide d’une caméra embarquée et science-fiction sont ici les outils scéniques qui permettent au réalisateur de déployer son histoire et d’apporter plus d’épaisseur à un dispositif scénaristique (trop) classique.

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Dans La Bête, le cinéaste offre, à nouveau, une vision damnée d’un monde en proie à une frénésie inexplicable. Après le réchauffement climatique dans Coma, il interroge la société de l’excès, de la superficialité, ainsi qu’une humanité dénuée de sentiments, détournée d’autrui. À travers ces différentes époques, Bertrand Bonello filme progressivement la chute de l’humanité, un monde finalement « quasi dystopique » qui résonne étrangement avec notre réalité. 

La science-fiction version Bonello  

De Terminator (1984) à The Creator (2023) par Gareth Edwards, en passant par Black Mirror (2011-2023), l’image de l’intelligence artificielle en tant qu’ennemie post-apocalyptique est parfaitement ancrée dans la pop culture. Cependant, Bertrand Bonello – qui fait pour la première fois un pas du côté de la SF – est parvenu, avec son film, à apporter une patte graphique ingénieuse à base de casque vissé sur le visage, d’environnement neutralisé, ou encore de bain noirâtre rappelant étrangement le liquide grisâtre du Baron Harkonnen de Dune (2021). Tous ces éléments épurés participent subtilement à créer une atmosphère futuriste.

Léa Seydoux dans La Bête. ©Carole Bethuel

Le cinéaste est cependant parvenu à prendre le contre-pied de la représentation de l’IA que les références du genre imposent. Si elle reste une menace, le véritable danger vient des humains eux-mêmes et du monde aseptisé qu’ils ont créé, ainsi que des peurs et souffrances – intrinsèques à l’expérience de la vie – qu’ils préfèrent renier. 

Même constat avec le principe du voyage dans le temps. Ici, exit Retour vers le futur (1985), aucun Doc, pas de Marty McFly, ni de Dolorean. Le réalisateur préfère mettre au point une mise en scène, proche du cinéma d’auteur et de David Lynch, pour nous transporter à différentes époques, à travers cet amour impossible.

Léa Seydoux et George MacKay dans La Bête. ©Carole Bethuel

Car le principe même de La Bête réside dans son romantisme, son histoire d’amour contrariée. Cette catastrophe qui guette les personnages, personnifiée par une mystérieuse chimère, est finalement ancrée dans Gabrielle et Louis. La bête est en eux et prend différentes formes à travers le film. La mort, la masculinité toxique ou encore l’intelligence artificielle, déterminée à effacer toute émotion humaine, sont autant d’obstacles qui symbolisent la peur d’aimer. 

IA partout, amour nulle part

Cependant, malgré l’ingéniosité de la mise en scène et l’immersion que le réalisateur propose à travers les époques – que ce soit en termes de décors, de costumes ou de technique –, la dynamique entre Gabrielle et Louis apparaît aseptisée. Le dessein de l’intelligence artificielle aurait-il influencé le spectateur ? Peut-être, mais, malgré l’interprétation phénoménale de Léa Seydoux et l’implication grandiose de George MacKay – qui campe ici son premier rôle en français –, il est difficile de s’engager dans leur lien amoureux. Si l’on comprend la torpeur de leurs personnages enfermés tour à tour dans leur condition et leurs traumas, on a du mal à s’accrocher à l’essence de leur amour à travers le temps.

Ce principe de lien intemporel rappelle Quelque part dans le temps (1980). Toutefois, à la différence du film de Jeannot Szwarc, celui de Bertrand Bonello manque terriblement d’émotions par moments. Cet aspect déconnecté, justifié par la thématique du film, la barrière de la langue entre les deux protagonistes et la mise en scène vertigineuse, aurait, en effet, mérité une épaisseur supplémentaire en termes de caractérisation.

Les bugs dans la matrice, les loops oniriques et les échanges déconnectés avec des humanoïdes participent alors à une forme d’incompréhension des dynamiques amoureuses. Comme si le cinéaste, au lieu de dessiner davantage les contours de ses personnages, se cachait derrière l’excuse déshumanisée de l’IA. Il n’y a finalement aucun décalage entre le passé et le futur, la raison et les sentiments. Dommage, quand la démonstration du film réside précisément dans cette dichotomie. 

Bande-annonce de La Bête.

Fort heureusement, le film peut compter sur le regard saisissant et la présence de George MacKay – qui dévoile une nouvelle palette de son jeu après Captain Fantastic (2016) et 1917 (2019) –, mais aussi sur la prestation habitée de Léa Seydoux, qui porte le film sur ses épaules. Devant la caméra de Bertrand Bonello, appuyée par une mise en scène dense et un regard acerbe sur notre société, les acteurs ont su finalement réveiller la bête qui était en eux.

La Bête, de Bertrand Bonello, avec Léa Seydoux et George MacKay, 2h26, en salle le 7 février 2024 au cinéma.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste