Tourné en temps de Covid, le nouveau film de Catherine Corsini (La belle saison (2015), Un amour impossible (2018) ) dresse avec talent le portrait d’une société en crise.
Pendant une nuit marquée par des violences issues d’une manifestation des Gilets Jaunes, dans un service des urgences sous tension, se rencontrent des mondes que tout oppose. Un couple de la petite bourgeoisie parisienne au bord de la rupture, Julie (Marina Foïs) et Raf (Valeria Bruni Tedeschi) qui s’est facturé le bras en tombant, rencontre Yann (Pio Marmaï), un chauffeur poids lourd au grand coeur blessé pendant la manifestation. Ces personnages vont devoir cohabiter dans le chaos du milieu hospitalier. Au fil de la soirée, les préjugés s’effacent et l’entraide se renforce entre les patients, toujours plus nombreux…
Un casting cinq étoiles
Pour son dernier long métrage, présenté en compétition lors du Festival de Cannes 2021, Catherine Corsini s’est entourée de quelques-uns des meilleurs acteurs français du moment. Valeria Bruni Tedeschi, en particulier, brille par sa performance touchante et sans fausse note. Passant du drame à la comédie, l’évolution du duo formé par Raf, qu’elle incarne, et Yann (Pio Marmaï) cristallise les problèmes dénoncés par la réalisatrice : fracture physique, sociale, idéologique. Sans jamais se laisser aller au pathos, sans tomber dans la caricature, Corsini et ses comédiens parviennent à toucher, à questionner. L’infirmière Kim jouée par une aide-soignante, Aïssatou Diallo Sagna, est sans aucun doute la révélation de ce huis-clos. La jeune femme marque par son authenticité – certainement lié à sa propre expérience de soignante. Sa bienveillance envers ses patients se mélange à la fatigue accumulée par un travail toujours plus intense – sans jamais en faire trop, son jeu est juste du début à la fin. Porté par la maîtrise qu’on connaît à Marina Foïs, le ballet des acteurs qui se déploie autour d’elle est d’une rare justesse.
L’hôpital comme reflet de la société
Si le film ne donne pas de solution à la crise sociale – mis à part peut-être l’amorce d’un dialogue entre citoyens – il propose une radiographie de nombreux problèmes mis en exergue lors des dernières crises sociales et politiques qui ont traversé le pays. Les urgences hospitalières sont certainement l’endroit le plus approprié pour aborder la thématique sociale. Toute la population peut être amenée à s’y rencontrer, sans distinction de classe ni d’origine. Et l’attente est la même pour tous : huit heures d’attente au moins, prévient une affiche scotchée à la va-vite sur une vitre.
La fracture est moins un film sur la crise des Gilets Jaunes que sur un système hospitalier qui s’effondre, un système hospitalier à bout de souffle – et qui semble être le reflet de l’état du pays. La crise sanitaire qui suivra n’a fait qu’accentuer une situation déjà bien dégradée dans tout l’Hexagone. Quand le personnel hospitalier est en grève, il continue à travailler pour maintenir le service ; quand un morceau de plafond tombe, aucun membre de l’équipe ne semble surpris. Chacun subit la situation en essayant de garder la tête hors de l’eau. Si les films sur l’état actuel du milieu hospitalier en France ne manquent pas (le médecin et réalisateur Thomas Lilti en a fait un de ses cheval de bataille), le film de Corsini met la détresse des soignants et celle des patients sur le même plan.
Un aspect documentaire certain
Tentant de présenter une œuvre proche du quotidien du service des urgences, la réalisatrice filme la soirée en temps réel. La caméra de Jeanne Lapoirie se porte en partie à l’épaule, ce qui renforce l’aspect documentarisant du film. On plonge au cœur du service, au plus près des patients et des soignants. Le choix d’une actrice non-professionnelle, aide-soignante de profession, pour revêtir la blouse de l’infirmière confirme cette intuition : le film se veut réaliste. Malgré l’attente interminable, le personnel résigné et fatigué, l’hôpital est un lieu d’accueil pour tout le monde. Soucieux de traiter au mieux tous les patients et de les protéger, le médecin de garde va à l’encontre des directives du gouvernement afin de protéger les manifestants. Si l’intention est louable, La Fracture se laisse parfois aller à une illustration quelque peu manichéenne de la société : d’un côté, le personnel soignant louable et irréprochable et de l’autre, une police injuste et tortionnaire.
Une issue possible
Le film dresse le portrait d’une société à bout de nerf. Humaniste et empathique, cette comédie dramatique décrit une situation de rupture longtemps restée aussi invisible que douloureuse. La crise sanitaire a, on l’espère, réveillé les consciences sur l’état du système hospitalier. Quant à la crise sociale, si le dialogue a été rendu possible entre Raf et Yann dans le film, Catherine Corsini semble vouloir montrer que tout n’est pas perdu !
La Fracture, de Catherine Corsini, avec Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmai, 1h38. En salles depuis le 27 octobre 2021.