Aujourd’hui acclamée partout à travers le monde, la série Phoenix Wright: Ace Attorney est pourtant une étrangeté qui aurait pu rester cloisonnée au territoire japonais. Même ses créateurs ne croyaient pas que leur étonnante simulation d’avocat trouverait son public au-delà des frontières de l’archipel. Alors, comment expliquer un tel succès ?
Succédant à une première compilation désormais disponible sur tous les supports actuels, Apollo Justice: Ace Attorney Trilogy regroupera, fin janvier, les trois derniers épisodes principaux rattachés à la même grande famille.
Qu’on l’appelle Phoenix Wright ou Ace Attorney, presque tout le monde a entendu parler de cette franchise tout droit venue du Japon. Pourtant, le pari était loin d’être gagné d’avance pour Capcom, qui a longtemps rechigné avant de tenter d’exporter la saga en Occident. Il faut dire que cette série ose un concept incroyable, à mi-chemin entre la simulation d’avocat et le visual novel (jeu d’aventure textuel). En clair, un jeu essentiellement composé de textes à lire passivement… ou presque.
Mais c’est aussi grâce à ce point de départ audacieux que le jeu commence à faire parler de lui au-delà des limites du Japon, dès l’année 2001. Un certain Gyakuten Saiban vient de voir le jour sur Gameboy Advance, la console portable de Nintendo, et quelques journalistes zélés en font l’éloge pour expliquer son succès au Japon.
Les joueurs sont interloqués par le succès improbable de ce titre si populaire au Japon alors qu’il fait figure d’ovni du point de vue occidental. Seul problème, il faut lire couramment la langue nippone pour en profiter, le concept 100 % textuel condamnant d’entrée son intérêt pour le commun des joueurs occidentaux.
Les Occidentaux contaminés par le tsunami Ace Attorney
Courageusement, l’éditeur Capcom profite d’une première réédition du jeu en 2005 sur Nintendo DS pour tenter de l’introduire aux États-Unis, puis en Europe l’année suivante. Les excellentes critiques et le bouche-à-oreille aidant, Phoenix Wright: Ace Attorney devient un véritable phénomène.
La plupart des joueurs ont d’abord du mal à se faire une idée de son concept au moment de lancer le jeu, mais ils sont bien forcés de reconnaître ensuite la dimension addictive de la formule. Certes, le titre s’appuie uniquement sur des textes et des énigmes à résoudre, mais celles-ci sont d’un genre résolument nouveau et tout le monde veut savoir de quoi est faite cette improbable simulation d’avocat en jeu vidéo.
Il est évident que le succès de la série en Occident, et en particulier dans notre pays, était conditionné par la présence (et la qualité) de sa traduction française. Les épisodes qui ont été proposés chez nous en version anglaise ont logiquement été boudés par le public, tant il est important de maîtriser la langue pour profiter du jeu. Le titre exige en effet une compréhension parfaite de l’intrigue afin de déceler les moindres propos suspects de la part des interlocuteurs.
En tant qu’avocat de la défense, notre protagoniste passe autant de temps à enquêter sur le terrain qu’à plaider la cause de son client au tribunal. Le joueur doit donc scruter chaque témoignage au mot près s’il veut espérer trouver une contradiction dans les affirmations des témoins.
Phoenix Wright lance alors une « Objection ! » tonitruante dans la salle d’audience et tout le monde se tait pour écouter ses déductions. Si le raisonnement du joueur est erroné, la séquence tourne alors en défaveur de notre avocat, mais, dans le cas contraire, le cours du procès est entièrement relancé.
Résolument théâtrale, la franchise doit une grande partie de son succès à sa galerie de personnages incroyables et à son humour universel. Les bruitages y sont disséminés avec une efficacité étonnante pour ponctuer le déroulement des affaires, sans que le joueur ne voie le temps passer, malgré une lecture omniprésente. Point d’orgue de ces procès, les thèmes musicaux explosent lors des moments les plus cruciaux, surtout lorsque le suspect est démasqué.
Les procès se terminent d’ailleurs presque toujours par une scène mémorable qui montre l’hystérie du coupable en train de perdre le contrôle de lui-même à travers une animation à mourir de rire. Pas étonnant que des mangas et des séries animées aient vu le jour dans la foulée du succès des jeux vidéo. Tous les épisodes de l’anime sont disponibles en français sur Crunchyroll, mais il vaut mieux avoir terminé les jeux en amont pour éviter les spoilers.
Phoenix Wright : le roi de la volte-face
Si la série créée par Shu Takumi est devenue aussi iconique aux yeux des joueurs, ce n’est pas seulement parce qu’elle a su rendre passionnant un concept aussi peu vendeur qu’une austère simulation d’avocat. Chaque épisode implique une bonne cinquantaine d’heures de lecture, mais le joueur sait que l’histoire va lui réserver des moments d’absurdité uniques qui justifient un tel investissement. Souvent drôle, mais parfois tragique, l’ambiance semble constamment en équilibre précaire sur une balance qui oscille entre le drame et la comédie.
Le charisme de l’avocat à la coiffure hérissée est loin d’être le seul argument en faveur de la saga. Tous les protagonistes y sont dépeints avec une finesse d’écriture fascinante, au point que l’on attend fébrilement le moment où les escrocs vont finir par se dévoiler. L’objectif de chaque chapitre est peut-être d’obtenir le verdict « non coupable » pour notre client, mais ce n’est que l’aboutissement d’un chemin constellé de moments magiques.
“Objection !”
Pour qui n’a jamais tenté l’expérience, on pourrait définir le gameplay d’un jeu Ace Attorney comme une combinaison de phases d’enquêtes et de plaidoiries. Les premières s’apparentent beaucoup aux jeux d’aventure traditionnels qui impliquent l’examen complet de scènes de crimes. L’interrogation des témoins est évidemment primordiale pour comprendre les enjeux de l’affaire et commencer à percer à jour les individus suspects.
La série a d’ailleurs régulièrement essayé de se renouveler en introduisant des mécaniques originales dans les phases d’enquête, par exemple sous la forme de verrous psychés symbolisant les vérités que les personnages se refusent à dire. Ainsi, aucun épisode ne ressemble totalement aux autres.
Au tribunal, il s’agit surtout de pousser les individus à développer au maximum leurs témoignages afin d’y déceler un début d’ébauche de contradiction. En émettant une « Objection ! » ou un simple « Un instant ! », notre avocat peut faire avancer le contre-interrogatoire sur un terrain plus glissant qui lui sera profitable, à condition d’y apporter les preuves suffisantes. Face à lui, la série convoque une galerie délirante de procureurs plus ou moins sérieux qui transforment les procès en d’hallucinantes joutes verbales. À l’évidence, notre avocat ne serait rien sans ces rivaux mémorables que l’on retrouve régulièrement au fil de la saga.
Une ultime trilogie pour les fans
La compilation Apollo Justice: Ace Attorney Trilogy qui sort le 25 janvier met en scène un avocat plus jeune qui a souvent souffert de la comparaison avec le héros attitré de la série. Cette trilogie se révèle pourtant tout aussi passionnante en misant sur des mécaniques encore plus subtiles et une excellente qualité d’écriture.
Apollo possède même un bracelet qui lui permet de déceler les tics des témoins qui essaient de fausser leurs témoignages. La sortie de cette nouvelle édition entièrement retravaillée en HD est donc l’occasion pour tous ceux qui avaient fait l’impasse sur ces épisodes de les découvrir dans des conditions optimales.
Comptez plusieurs dizaines d’heures pour faire le tour des trois volets compris dans cette compilation : Apollo Justice: Ace Attorney, Dual Destinies et Spirit of Justice. En plus des 14 chapitres contenus dans ces jeux, la trilogie embarque aussi les deux épisodes spéciaux qui étaient sortis à l’époque uniquement en contenus téléchargeables. Et si jamais vous êtes bloqué, la nouvelle fonction Autoplay peut prendre le relais pour que vous puissiez continuer l’histoire.
Capcom a aussi pensé à agrémenter cette trilogie de nombreux bonus soigneusement calibrés pour les fans. On y trouve par exemple une salle de concert permettant d’écouter tous les grands thèmes musicaux de la série en version orchestrale. Les visuels tels que les illustrations, les portraits et autres artworks sont présentés dans une grande bibliothèque virtuelle. En bonus, le jeu s’offre même le prologue spécial entièrement animé de Spirit of Justice.
Enfin, un petit studio d’animation nous invite à ré-imaginer nos scènes préférées en modifiant les réactions des personnages selon nos envies avec les accompagnements musicaux de notre choix. L’éditeur semble avoir bien compris que la franchise bénéficiait d’une base solide de fans qui n’ont pas oublié leur attachement aux héros de la saga durant les deux dernières décennies écoulées.