Pas de doute, la mode séduit désormais les plateformes. En témoignent trois nouvelles séries : Cristóbal Balenciaga (Disney+), The New Look (Apple TV+) et Kaiser Karl (Disney+). Comment expliquer cet engouement, en passe de devenir une (vraie) tendance ?
Étrangement, la mode s’est longtemps faite discrète sur les écrans. Était-elle jugée trop futile, trop élitiste pour séduire le public ? Sans doute. Une poignée de films, à peine, lui ont été consacrés : quelques biopics bien sages, à l’instar de Coco avant Chanel (porté par Audrey Tautou) et Yves Saint Laurent (incarné par Pierre Niney), ou d’épaisses satires comme Brüno (avec Sacha Baron Cohen) et Zoolander (interprété par Ben Stiller).
Trop lisses d’un côté. Trop foutraques de l’autre. Entre hagiographie et caricature, le cinéma s’égare. La première approche pertinente ne viendra qu’en 2021 avec House of Gucci, plongée sans complaisance dans l’histoire tumultueuse de la maison italienne, signée Ridley Scott (Napoléon, Gladiator).
Un an plus tard, la plateforme Netflix se distingue avec L’Assassinat de Gianni Versace, série ambitieuse qui met à la fois en lumière le destin du couturier, ses errements tapageurs et le climat homophobe du Miami des années 1990. L’idée maîtresse – et la nouveauté – de ces deux productions ? Rappeler que la mode n’est pas qu’affaire de chiffons, loin de là. Elle est aussi un théâtre agité, où se déploient, pêle-mêle, ambitions créatives et rivalités, démons d’ego, d’argent, de pouvoir, et même enjeux sociétaux : bousculer les codes, défier les convenances, libérer les femmes…
Autrement dit : peut-on rêver mieux pour tenir le public en haleine ? Résultat : une déferlante de projets autour de la mode. Cette année, pas moins de trois séries sont prévues sur les plateformes. C’est Disney+ qui dégaine la première ce 19 janvier avec Cristóbal Balenciaga, consacrée au grand couturier espagnol. Suivie de près par Apple TV+, qui dévoilera le 14 février The New Look, centrée sur le destin de Christian Dior. Avant de terminer avec une autre production Disney+, annoncée quant à elle pour le courant de l’année : Kaiser Karl, sur la vie de Karl Lagerfeld.
Autant de figures emblématiques, avec leurs parcours tourmentés, leurs frasques, leur exubérance… Soit une mine d’histoires fortes. Les plateformes l’ont bien compris. Apple TV+ promet d’ailleurs d’ores et déjà une autre série sur le sujet : La Maison. Une fiction, cette fois, sur les déboires d’un créateur star, dont le rôle a été confié à Lambert Wilson. Alors, à quand les sagas sur Jean-Paul Gaultier, John Galliano ou Stella McCartney ? Patience. En attendant, voici tout ce qu’il faut savoir sur les séries mode, saison 2024.
Cristóbal Balenciaga : l’ascension d’un outsider espagnol
Démarche originale, c’est avec un outsider que Disney+ fait sa première incursion dans l’univers de la mode : Cristóbal Balenciaga. Fils d’une modeste famille de pêcheurs basques, initié à la couture sur le tas par sa propre mère, l’Espagnol peine longtemps à rivaliser avec l’élite d’alors, essentiellement française – Coco Chanel, Christian Dior ou encore Hubert de Givenchy.
C’est d’ailleurs à Paris, en 1937, que la série débute, au moment où Balenciaga fait ses premiers pas dans la haute couture. Mais comment s’imposer dans l’effervescence parisienne alors que, chez lui, la guerre civile fait rage ? Déchirements, détermination, audace : la saga du créateur se tisse sur ces fils, tendus par les soubresauts de l’histoire et la puissance de son génie, sans cesse en quête de silhouettes inédites (la robe tonneau, les hauts en cloche, les traines paon…).
L’artiste est incarné par l’impeccable Alberto San Juan, déjà sacré par deux fois aux Goya, l’équivalent espagnol des César. La série s’appuie aussi sur l’expertise d’une costumière de renom, Bina Daigeler, collaboratrice régulière du grand Pedro Almodóvar, récemment nommée aux Oscars pour Mulan. Le résultat est à la hauteur : somptueux, tout simplement.
Sur Disney+, dès le 19 janvier 2024.
The New Look : la révolution Christian Dior
Quitte à évoquer la mode, autant explorer son Panthéon : c’est le choix – et le pari – fait par Apple TV+ avec The New Look. Risqué. Car la série s’attaque à LA figure par excellence du créateur, le nom le plus emblématique de la haute couture : Christian Dior. Aucun droit à l’erreur, donc : à ce niveau, la faute de goût n’est pas permise.
Finement, la plateforme s’est ainsi assuré la collaboration de la Maison Dior pour faire revivre l’atelier du couturier, son savoir-faire, ses gestes, son approche de la création, etc. Une garantie d’authenticité indispensable pour retracer la trajectoire de celui qui révolutionna à jamais la silhouette féminine après Guerre. Taille marquée, ligne suggestive, jambes dévoilées : Dior libère les femmes, les magnifie, leur rend leur désir de séduire.
Le succès est fulgurant et le couturier habille bientôt Ava Gardner, Marilyn Monroe, Marlene Dietrich… Un talent visionnaire, dont The New Look s’attache également à dévoiler la part d’ombre : vocation contrariée, débuts équivoques sous l’Occupation, rivalité avec Coco Chanel… Bien vu.
La remarque vaut encore pour le casting : c’est en effet l’Australien Ben Mendelsohn (Bloodline, The Outsider) qui vient donner vie au couturier français, avec la subtilité qu’on lui connaît. Et face à lui, rien de moins que Juliette Binoche, qui prête son charisme ombrageux à Coco Chanel. Difficile de rêver mieux.
Sur Apple TV+, à partir du 14 février 2024.
Kaiser Karl : dans l’intimité tourmentée de Lagerfeld
Avec Kaiser Karl, Disney+ embrasse un destin plus sulfureux – mais pas moins iconique – du monde de la mode, celui de Karl Lagerfeld. Là encore, l’authenticité est de mise puisque la série s’inspire directement de la biographie éponyme, éditée en 2019 par Raphaëlle Bacqué, enquêtrice au Monde. Une référence, nourrie par de multiples témoins de premier ordre. Autrement dit : du solide.
La journaliste a aussi participé de près à l’écriture du scénario, ce qui permet à Kaiser Karl d’évoquer toutes les facettes du créateur : de ses débuts, en franc-tireur marginal, durant l’été 1972, à son arrivée chez Chanel, sans oublier sa rivalité avec Pierre Bergé, le Pygmalion de Saint Laurent, ou ses amours tumultueuses avec le dandy parisien Jacques de Bascher.
Un portrait plus complexe, plus intime également, qui dessine un artiste à la fois ambitieux et tourmenté, médiatique et secret. Aussi énigmatique que ses éternelles lunettes noires. Choix judicieux, c’est son compatriote Daniel Brühl (révélé par Good Bye Lenin !), qui incarne le Kaiser, aux côtés notamment d’Alex Lutz dans la peau de Pierre Bergé, ou d’Agnès Jaoui, qui endosse le rôle de Gaby Aghion, fondatrice de la griffe Chloé et indéfectible soutien du créateur. On ne fera pas la fine bouche : voilà qui s’annonce prometteur.
Sur Disney+, courant 2024.
