Le nouveau film de Bradley Cooper s’intéresse à Leonard Bernstein et dresse le portrait d’un homme complexe, autant en amour qu’en art. Critique.
Après des années de gestation et de production, le nouveau film de Bradley Cooper, Maestro, est enfin disponible sur Netflix depuis le 20 décembre 2023. Après avoir enchanté public et critique avec son premier long-métrage, A Star is Born (2018), le réalisateur reste dans un double thème similaire : la musique et la romance.
Si Maestro est principalement un exercice de style remporté haut la main par Bradley Cooper, il se base la plupart du temps sur la carrière et la vie amoureuse de Leonard Bernstein, mythique compositeur et chef d’orchestre, principalement connu pour avoir composé le musical West Side Story en 1957.
À l’origine, Maestro devait être réalisé par Steven Spielberg, avec Bradley Cooper envisagé pour tenir le rôle principal. Trop occupé avec son remake de West Side Story (2021), le réalisateur est contraint d’abandonner la réalisation, et voit en Bradley Cooper un successeur idéal, emballé par son travail sur A Star is Born.
Gardant le poste de producteur avec un certain Martin Scorsese, Steven Spielberg confie donc le projet à Cooper qui s’implique à chaque niveau de la production et met énormément de lui dans le film. Le réalisateur et acteur aime par-dessus tout le cinéma, et son travail sur Maestro témoigne en premier lieu d’une volonté de proposer une réalisation méticuleuse, au point que certains critiques qualifient le film d’ego trip du réalisateur.
La maîtrise formelle de Bradley Cooper
C’est pourtant le principal atout de Maestro. Bradley Cooper adopte une mise en scène élégante, à base de noir et blanc ou de couleur teintée, de formats différents et de jeux de caméra variés. Entre les longs plans séquences, les plans fixes, les mouvements de caméra qui volent au-dessus des personnages ou les suivent plusieurs minutes, Bradley Cooper cherche constamment à apporter un petit plus à sa scène, sans avoir peur de laisser des silences ou d’offrir aux personnages la possibilité d’errer dans le cadre.
Il enrichit son biopic avec un réel langage cinématographique et utilise la force de la narration visuelle – audiovisuelle, en réalité – pour signifier des ellipses, des thématiques bien précises ou des relations entre les personnages. D’un point de vue formel, Bradley Cooper remporte son pari haut la main.
Cependant, cette maîtrise formelle indéniable peut parfois laisser le spectateur en dehors de l’action vécue par les personnages. Par moments, et assez paradoxalement par rapport à son inventivité et sa fougue, le réalisateur adopte une posture trop statique, trop froide, et n’arrive pas à impliquer le spectateur dans l’histoire. L’inverse de A Star is Born, qui ne brillait pas toujours par la qualité de sa mise en scène, mais compensait par un attachement instantané aux personnages et aux enjeux.
Quand Maestro convoque et assemble les deux, le résultat est époustouflant et délivre une belle émotion. Quand l’attachement n’y est pas, le spectacle en devient plus désincarné et plus lointain.
Heureusement, le film peut compter sur la prestation et l’alchimie de ses deux interprètes : Bradley Cooper, donc, et Carey Mulligan. En se transformant en Leonard Bernstein et Felicia Montealegre, les deux acteurs s’adonnent à une succession de scènes dans lesquelles ils laissent éclater la virtuosité de leur jeu, et où le texte, omniprésent, leur offre la possibilité d’incarner ces personnages et de dévoiler une large palette d’émotion.
Le couple est le thème principal du film, entre l’amour que porte Leonard à Felicia et ses autres désirs. Si le mécanisme est parfois répétitif – et il est étonnant de constater que le biopic ne se focalise quasiment que sur cet aspect –, lorsque les deux acteurs partagent des scènes simples et bienveillantes, l’émotion fait le reste. Assis dos à dos sur l’herbe, parlant avec simplicité de tout et de rien, Bradley Cooper et Carrey Mulligan sont tous deux excellents, et quand l’intensité est nécessaire, ils arrivent à s’y astreindre sans tomber dans le pathos.
Diriger l’orchestre, diriger l’acteur
Si l’amour est au cœur du film, la musique l’est également et, en matière de musique, Leonard Bernstein est une référence. Immense compositeur, chef d’orchestre légendaire, directeur de l’Orchestre philharmonique de New York, cet artiste accompli a marqué la musique classique, comme celle du cinéma et de Broadway.
Le film a un rapport assez étrange à l’artiste. Par moments, Bradley Cooper s’intéresse tellement aux seuls rapports humains qu’il pourrait s’agir d’un simple inconnu en lieu et place du compositeur – ceci participant, encore une fois, à cette sensation de désincarnation.
À contrario, quand il souligne l’immensité de Bernstein, le film est éclatant. Dans un climax musical recréant un moment célèbre de la carrière du chef d’orchestre dans la cathédrale d’Ely, alors qu’il dirige la Resurrection Symphony de Gustav Mahler, Bradley Cooper donne tout devant et derrière la caméra.
L’acteur dirige réellement ses musiciens, dans cette scène étirée impressionnante, qui laisse éclater le génie de Bernstein et, par la même occasion, celui de Cooper. La scène est belle, virtuose, exigeante, mais souligne tout l’amour porté par le réalisateur à son sujet, et son envie de lui rendre hommage. Ces moments de grâce, ces fulgurances de la part de Bradley Cooper confèrent à Maestro l’aura des grands films.
Il est parfois étrange, ainsi, de suivre ce Maestro, entre la désincarnation de son personnage pour toucher à la romance pure et le mimétisme absolu de l’acteur dans les moments les plus forts de la vie de Leonard Bernstein. Une question en ressort : Bradley Cooper vient-il de passer totalement à côté de son sujet ou l’a-t-il tout simplement mieux compris que les autres ?
Quand le souvenir du carton d’introduction du film revient – avec une belle citation de Bernstein indiquant que l’art ne doit pas donner de réponses, mais seulement créer des questions –, il ne fait plus aucun doute que Bradley Cooper a finalement réussi son pari.
Maestro, de Bradley Cooper, avec Bradley Cooper et Carey Mulligan, 2h09, disponible sur Netflix.