Décryptage

Les comédies musicales, épisode 2 : Broadway fascine toujours

22 mai 2023
Par Robin Negre
Annaleigh Ashford et Josh Groban dans “Sweeney Todd”.
Annaleigh Ashford et Josh Groban dans “Sweeney Todd”. ©Murphy Made & Evan Zimmerman

Si dans la ville qui ne dort jamais, un lieu est bel et bien toujours éveillé, c’est Broadway ! La célèbre avenue new-yorkaise continue de passionner et d’attirer les spectateurs, entre les comédies musicales rayonnantes et les pièces de théâtre plus intimistes.

En cette soirée du 16 avril 2023, un évènement historique se déroule à l’intérieur du Majestic Theatre à New York. L’effervescence de la 44e Rue se ressent jusqu’à Times Square et tout Broadway a le regard tourné vers le Majestic. Après 35 années et 13 981 représentations, Le Fantôme de l’Opéra, le musical culte d’Andrew Lloyd Webber vient de baisser le rideau pour la toute dernière fois.

Le spectacle s’arrête. Sur scène, toute la troupe célèbre la longévité historique de la pièce, loin devant Chicago (plus de 10 000 représentations et toujours en activité), ou Cats (7 485 représentations). Concernant un éventuel retour, le producteur Cameron Mackintosh conclut comme suit : « J’ai vu tous les grandes comédies musicales revenir… et Le Fantôme de l’Opéra est un des plus grands ! » Un simple au revoir pour un temps, alors ? Sans doute, car c’est cela Broadway : une frénésie artistique en mouvement constant, qui propose régulièrement de nouvelles œuvres, tout en faisant revivre d’anciennes gloires. Les portes s’ouvrent, les lumières s’éteignent, le spectacle commence…

Broadway, un terme géographique, un genre et un gage de qualité

Si Broadway est avant tout la plus vieille avenue de Manhattan (qu’elle traverse entièrement de bas en haut), le terme va rapidement désigner dans les années 1920 les nombreux théâtres qui parsèment cette immense rue, capables d’accueillir des centaines de personnes chaque soir. Deux évolutions majeures apparaissent à mesure que les spectacles se développent. D’abord, Broadway va désigner le quartier des théâtres en lui-même, principalement concentrés autour de Times Square, Midtown, et sans se limiter à la simple avenue.

Ensuite, dans les années 1950, le terme Broadway va désigner les pièces : un spectacle peut être classé Broadway ou Off Broadway et même Off Off Broadway, en fonction de sa qualité, mais aussi des coûts de production, du nombre de places et de l’attrait commercial du spectacle. Certains artistes préférant l’expérimentation offerte justement en Off Broadway.

Pendant des décennies, Broadway enchaîne les succès et donne naissance à des talents emblématiques, sur les planches et en coulisses, qui s’exportent hors des théâtres et gagnent une reconnaissance culturelle mondiale : parmi les compositeurs les plus célèbres, Leonard Bernstein avec West Side Story (1957), Stephen Sondheim pour Company (1970), Sunday in the Park with George (1984), ou Into the Woods (1987), Andrew Lloyd Webber avec Cats (1981) et The Phantom of the Opera (1986) et, plus récemment, Jonathan Larson et son célèbre Rent (2005) ou encore Stephen Schwartz avec Wicked (2003). Les interprètes ne sont évidemment pas en reste et les noms de Julie Andrews, Angela Lansbury, Patti LuPone, Bernadette Peters, Idina Menzel ou Aaron Tveit sont même connus en dehors des planches.

Lin-Manuel Miranda dans Hamilton. ©Joan Marcus

Mais comment fait Broadway (et son frère, West End, à Londres) pour continuer d’attirer les foules et convaincre en 2023, malgré une crise sanitaire ayant stoppé les représentations et des codes narratifs du siècle dernier ? L’optimisme de Broadway conviendrait-il toujours au public plus cynique d’aujourd’hui ? Il semblerait que oui, et la raison est toujours la même : les artistes. Une nouvelle génération d’artistes est en effet régulièrement prête à s’emparer de la scène et à offrir de nouvelles propositions aux spectateurs du monde entier.

C’est le cas de Lin-Manuel Miranda en 2016, qui vient bousculer tous les codes avec Hamilton et l’histoire d’Alexander Hamilton, père fondateur des États-Unis sur un mélange musical de pop et de rap flamboyant. & Juliet ou Moulin Rouge! The Musical (adapté du film de Baz Luhrmann) quant à eux, s’amusent à mélanger des tubes célèbres pour faire des mash-up entraînants et donner un nouveau souffle au genre, et les adaptations des films d’animations Disney (The Lion King et Aladdin en ce moment) continuent de cartonner.

Remettre au goût du jour les grands classiques d’antan

Mais il n’y a pas que la musique qui compte à Broadway. La mise en scène des spectacles est un élément primordial, et chorégraphes et réalisateurs s’évertuent à imaginer de nouvelles façons de monter les musicals, y compris quand ils reprennent d’anciens shows cultes.

À lire aussi

C’est une des composantes de Broadway : faire du neuf avec du vieux, en plus de proposer des productions originales. Le revival des anciens succès tient une place prédominante à Broadway (et une catégorie dédiée aux Tony Awards). Les spectateurs espèrent un jour avoir l’occasion de voir sur scène les morceaux emblématiques écoutés en boucle depuis des années, et chaque annonce d’un retour est scrutée avec attention. C’est le cas en 2023 de Sweeney Todd, The Demon Barber of Fleet Street, composé par Stephen Sondheim en 1979 et démocratisé grâce au film de Tim Burton.

La nouvelle mouture du show aligne deux comédiens célèbres dans la sphère musicale, Josh Groban et Annaleigh Ashford, avec une chorégraphie signée Steven Hoggett et une réalisation de Thomas Kail (également à l’œuvre sur Hamilton). L’Éclaireur y était en avril dernier et la promesse du revival flamboyant est respectée. Avec une mise en scène inventive qui fait la part belle à ses interprètes (plus jeunes qu’accoutumé et volontairement plus sexy), Sweeney Todd s’impose dès ses premières notes dans un tourbillon musical de vengeance aussi macabre qu’hilarant et dont le texte résonne toujours aussi fort en 2023 qu’en 1979. Une pépite. À Broadway, l’éternel recommencement est accompagné d’un renouveau salvateur.

Gaten Matarazzo et Annaleigh Ashford divertissent les clients pendant que Josh Groban prépare la nourriture…©Murphy Made & Evan Zimmerman

Du cinéma au théâtre, un challenge recherché pour les acteurs et les actrices

Une autre composante importante de Broadway concerne les pièces de théâtres, moins vendues pour le reste du monde, moins attrayantes pour les visiteurs occasionnels de la Big Apple, mais dont la renommée à New York ne décroît jamais et aligne des noms prestigieux régulièrement. Les plus grands interprètes du cinéma aiment se frotter aux planches et Broadway offre cette opportunité. Les pièces de théâtre (qui répondent aussi à la catégorie Broadway ou Off Broadway) montées sur des noms célèbres restent moins longtemps à l’affiche que les musicals emblématiques. Il y a la valeur de la rareté, commandée par les emplois du temps rigoureux des acteurs qui ne peuvent s’éloigner ad vitam aeternam des plateaux de tournage. L’expérience n’en est que plus grisante.

Toujours en avril 2023, L’Éclaireur a assisté à une représentation de A Doll’s House, adaptation de la pièce de théâtre d’Henrik Ibsen, avec Jessica Chastain dans le rôle titre, et une mise en scène minimaliste de Jamie Lloyd. Coqueluche des stars d’Hollywood (Charlie Cox et Tom Hiddleston étaient rayonnants dans son Betrayal en 2019), qu’il aime magnifier en supprimant le superflu.

Une simple chaise en guise de décor et d’accessoire pour Jessica Chastain, qui brille par sa présence continue sur scène (dès l’arrivée du public) et son jeu varié qui passe par mille et une expressions, aussi touchantes qu’intenses, toujours charismatiques. Mais l’actrice n’est pas la seule en haut de l’affiche à Broadway. Au même moment, le public new-yorkais peut apprécier Oscar Isaac dans The Sign in Sidney Brustein’s Window, Jodie Comer dans Prima Facie, ou encore Daniel Radcliffe et Jonathan Groff dans Merrily We Roll Along à partir de septembre 2023.

L’ambiance unique autour du Theater District

Quand le spectacle s’achève, la même symphonie se répète inlassablement dans le quartier des théâtres. Sous les lumières éternelles de Times Square, les portes des théâtres s’ouvrent pour laisser partir, bien malgré eux souvent, les spectateurs venant d’assister à quelque chose d’unique. Les plus hâtifs se dépêchent d’attraper le métro le plus proche ou se dirigent vers les innombrables restaurants des alentours. Les plus motivés restent vers les théâtres pour célébrer la sortie des artistes – autre tradition ancestrale de Broadway – et attendent, parfois de longues minutes, pour toucher deux mots aux acteurs, chanteurs ou danseurs, tout en faisant signer le célèbre playbill du show vu, distribué chaque soir au public. Même les plus grandes stars se prêtent au jeu, car après tout, le théâtre a toujours été l’art de la proximité entre l’artiste sur scène et le public dans la salle.
Et c’est peut-être pour ça, finalement, que tout le monde revient aussi à Broadway au fil des ans.

À lire aussi

Article rédigé par