Décryptage

L’exode d’Hollywood vers le petit écran : quand le septième art s’essaie aux séries

17 octobre 2021
Par Lisa Muratore
Ewan McGregor dans la série “Halston”.
Ewan McGregor dans la série “Halston”. ©Netflix

On ne compte plus le nombre de comédiens et cinéastes qui craquent pour le petit écran. Cette tendance pas si anodine a d’ailleurs changé le paysage audiovisuel actuel. Décryptage.

Clair de Lune, 21 Jump Street, Urgences… Ces séries ont toutes été le berceau des plus grandes stars hollywoodiennes. Entre 1985 et 1995, la télévision était perçue comme un tremplin vers le septième art. Depuis une dizaine d’années, la tendance s’est inversée. Les acteurs veulent décrocher un premier rôle dans les séries, tandis que les metteurs en scène souhaitent relever le défi de la narration épisodique. De quoi véritablement brouiller la frontière entre le cinéma et le monde de la télévision.

La preuve encore en 2021 avec la cérémonie des Emmy Awards qui a filmé le sacre d’Ewan McGregor pour la minisérie Halston ou encore celui de Kate Winslet pour son rôle dans Mare of Eastown, face notamment à Anya Taylor-Joy pour Le Jeu de la dame. Depuis quelques années, les stars de cinéma sont de plus en plus nombreuses à repartir avec les fameuses statuettes récompensant la télévision. Ces grands noms donnent alors aux séries leurs lettres de noblesse. Néanmoins, comment expliquer un tel attrait du show-business hollywoodien pour ce format ?

D’Alfred Hitchcock à Netflix

Kevin Spacey et Robin Wright dans la série House of Cards.©Netflix

Il faut savoir que ce rituel de passage n’est pas nouveau et, aussi étonnant que cela puisse paraître, on le doit surtout aux cinéastes. Alfred Hitchcock en est d’ailleurs le pionnier avec l’émission noire Alfred Hitchcock présente. Des années plus tard, le polar inspire également David Lynch avec Twin Peaks, et le succès qu’on lui connaît. Or, ce n’est qu’au début des années 2010 que le mélange des genres, entre cinéma et série, s’effectue réellement. Martin Scorsese officie en tant que réalisateur sur Boardwalk Empire, avant de produire Vinyl. Ces premiers pas vont par la suite se transformer en véritable marathon télévisuel avec l’arrivée sur nos écrans d’House of Cards par David Fincher, en 2013. Non seulement cette dernière est parvenue à s’offrir les services du réalisateur de Fight Club et de deux acteurs de légende, Kevin Spacey et Robin Wright, mais elle a surtout fait entrer les plateformes de streaming dans une nouvelle ère.

Impossible de nier que Netflix et ses concurrentes sont aujourd’hui des acteurs majeurs du paysage audiovisuel. Devenues des médias de premier plan, les plateformes ont changé notre manière de consommer les séries. Étant donné la place significative qu’occupe le binge-watching dans nos vies, il n’est pas surprenant que les acteurs et réalisateurs souhaitent s’associer à ce nouveau marché et son format privilégié.

Gagner en légitimité pour l’un, continuer d’exister pour l’autre : un échange gagnant-gagnant

Michael Douglas dans la série La Méthode Kominsky.©Anne Marie Fox/Netflix.

Tout le monde y trouve son compte. Les avantages qu’offrent aujourd’hui les séries à Hollywood sont nombreux, que ce soit en termes de caractérisation des personnages ou d’enjeux scénaristiques, mais aussi par rapport aux opportunités artistiques et financières. Prenons l’exemple de Maggie Gyllenhaal sur The Deuce, qui a officié en tant que productrice exécutive. Outre les bénéfices pécuniaires, son statut couplé à celui d’actrice favorise une prise de décision plus large sur le plateau, à une époque où les comédiennes ont encore du mal à se faire entendre malgré les mouvements Time’s Up et #MeToo.

L’exode d’Hollywood peut également s’expliquer par une lassitude des codes du cinéma. Alors que prequels, suites à rallonge et blockbusters dominent le marché, plusieurs artistes ont dû faire face à une certaine frustration du fait des contraintes budgétaires imposées par les studios et des difficultés à mener des projets novateurs et sérieux au cinéma. Un argument que rappelait Steven Soderbergh au moment de la diffusion de The Knick.

La télé est également devenue un refuge pour plusieurs personnalités face aux carcans d’Hollywood. Souvent limités par leur âge, leur physique ou leur genre, plusieurs acteurs et actrices ont pu donner un nouveau souffle à leur carrière. C’est le cas de Jessica Lange avec les anthologies d’American Horror Story, de Jane Fonda et sespartenaires dans Grace et Frankie ou encore de Michael Douglas avec La Méthode Kominsky. Preuve que les séries ne sont pas l’apanage d’une génération. Elles ne le sont pas non plus en termes de genre. Le monde du petit écran se démocratise et offre aujourd’hui une palette d’histoires, de formats et de registres qui permettent aux cinéastes et comédiens de sortir des sentiers battus, là où la sitcom dominait les années 1990.

Il y a donc un esprit donnant-donnant entre les séries et leurs nouveaux faiseurs. D’un côté, elles leur permettent d’exister à l’horizon d’un nouveau marché, tandis que les séries se retrouvent légitimées par la présence d’artistes de renom devant et derrière la caméra.

Les grands noms du cinéma : un gage de réussite ?

Jonah Hill et Emma Stone dans la série Maniac.©Netflix

Il faut cependant veiller à ne pas tomber dans le grand piège de cette tendance. Que ce soit du côté de la réalisation ou de l’acting, l’usage de ces grands noms comme argument marketing ne suffit pas, à lui seul, à porter une histoire convaincante. La déception du téléspectateur n’en est même que plus grande. On pense à la dernière création de Damien Chazelle pour Netflix, The Eddy, pâle copie de La La Land, ou à Maniac, davantage destinée à sceller les retrouvailles d’Emma Stone et de Jonah Hill après Super Grave.

Ces faux pas sont toutefois des cas isolés, preuve que la tendance s’est vraiment inversée. L’arrivée massive d’Hollywood est souvent réussie, tant pour les acteurs et les réalisateurs que par la légitimité qu’ils apportent au format sériel. Après la première révolution portée par The Wire et Les Sopranos dont la crédibilité du format n’était pas à remettre en question, les séries ont désormais tout à gagner à laisser entrer les personnalités du cinéma. Cette tendance semble d’ailleurs s’être installée durablement dans le paysage audiovisuel actuel. Jason Sudeikis dans Ted Lasso, Nicole Kidman dans Big Little Lies, Jude Law et Paolo Sorrentino dans The Young Pope, les sœurs Wachowski avec Sense 8… sont finalement autant d’exemples qui prouvent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère de divertissement. Reste à savoir jusqu’où ira cette révolution.

Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste
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