Symbole d’une petite révolution en matière de représentation de la sexualité des jeunes, Sex Education est de retour le 21 septembre sur Netflix, pour sa quatrième et ultime saison. Reconnue pour son ton juste et ses descriptions inclusives des amours adolescentes, la série ne fait pas exception. Depuis le début du XXIᵉ siècle, le petit écran se défait, peu à peu, des tabous et des clichés.
Il est loin le temps d’Hélène et les Garçons, où les baisers étaient échangés pudiquement, les filles fleur bleue et les relations charnelles cantonnées à de mièvres allusions. Aujourd’hui, les héros et héroïnes de séries pour adolescent·e·s sont rarement représenté·e·s sans que leur vie sexuelle soit montrée… dans ses moindres détails.
C’est le résultat d’une longue évolution depuis l’apparition des teen series, dans les années 1990. « Ces dernières n’attiraient pas le même public que le cinéma [et les teen movies qui existaient jusque-là], et devaient réconcilier les adolescent·e·s et les parents devant leur écran, explique Célia Sauvage, docteure en études cinématographiques et audiovisuelles et co-autrice de l’ouvrage Les Teen Movies (édité chez Vrin). Cela a longtemps limité les représentations explicites de la sexualité. » Dans des productions comme Beverly Hills 90210 (sortie en 1990) ou Dawson (créée en 1998), le sexe est parfois évoqué, mais rarement vu.
Une liberté de visionnage qui contribue à l’évolution des teen series
Peu à peu, les représentations évoluent au rythme des changements dans les pratiques de visionnage. « Aujourd’hui, les adolescent·e·s peuvent regarder des séries sur leurs ordinateurs personnels ou leurs téléphones, loin des parents », précise Célia Sauvage. Avec l’émergence des plateformes de streaming, les ados ne dépendent plus, non plus, des programmes télévisés.
Le jeune public peut donc désormais regarder ce qu’il veut, quand il veut, dans la plus totale des intimités. « Grâce à ces changements, les représentations de la sexualité ont radicalement évolué : des scènes verbalement et visuellement plus explicites [ont fait leur apparition] », ajoute la spécialiste.
En 2007 apparaît Skins, « la première série à oser un traitement différent de la sexualité, selon Célia Sauvage. Si la nudité n’est toujours pas au programme, plusieurs rapports sexuels sont parfois visibles dans un même épisode : il ne s’agit plus de scènes isolées ni de mises en scène pudiques et elliptiques. »
Le tabou est levé et permet d’aborder tout un panel de sujets connexes à la sexualité, notamment en ce qui concerne la santé intime. Selon une étude de la Henry J. Kaiser Family Foundation, en 2001, un·e adolescent·e sur quatre entre 12 et 18 ans disait avoir appris beaucoup de choses sur la grossesse et la contraception grâce aux séries, et quatre ados sur dix entre 15 et 17 ans déclaraient avoir appris beaucoup sur les infections sexuellement transmissibles devant les séries.
Pas suffisant pour les chercheurs français Solenne Tauty et Philippe Martin. Selon leur étude, pilotée en 2020 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’Institut national d’études démographiques (Ined), la santé sexuelle n’est pas assez représentée dans les shows du petit écran.
Pire : ils peuvent avoir un impact positif sur les adolescent·e·s, mais l’inverse est aussi possible. « L’éducation à la vie affective et sexuelle est rarement prise en charge à l’école : les séries sont donc des compagnons d’éducation très utiles, à condition que les représentations ne soient pas problématiques », avertit Célia Sauvage.
Si l’universitaire insiste sur le fait qu’« il y a un véritable travail à faire autour des IST, du port du préservatif, de la contraception en général, mais aussi des règles, qui restent très invisibles et éludées », il est bon de rappeler que la santé sexuelle inclut, en plus de l’absence de maladie, le bien-être physique et émotionnel, et que « les productions teen conditionnent aussi les corps que le public désire hors écran et dictent les modèles de séduction et de relation de couple ».
Deuxième étape : mieux montrer
C’est ainsi que des scènes de consentement flou, non respecté, ou de violences sexuelles non désignées comme telles peuvent être contre-productives. Depuis le mouvement #MeToo, en 2017, les showrunners semblent en prendre conscience et s’inscrivent dans le contexte des luttes féministes contre les violences sexistes et sexuelles.
Représenter les rapports sexuels adolescent·e·s, c’est bien, mais les représenter comme il faut, c’est mieux. Fleurissent alors des productions aux scènes crues et violentes, mais porteuses de messages forts, comme dans 13 Reasons Why ou Skam France (diffusées respectivement depuis 2017 et 2018).
Une recherche de représentations plus justes et réalistes de laquelle surgissent également des descriptions plus positives : homosexualité ou bisexualité non subies (dans Sex Education, apparue pour la première fois en 2019 sur Netflix), éveil à la sexualité dans des situations de handicaps mental ou moteur (dans Atypical et Un mètre vingt, sorties en 2017 sur Netflix et 2021 sur Arte) ou découverte trash de la puberté et de la sexualité (dans la série animée Big Mouth, diffusée dès 2017 sur Netflix).
Bien sûr, tout n’est pas encore parfait dans l’univers des teen series. La très explicite production de HBO diffusée depuis 2019, Euphoria, a pu choquer par les très nombreux plans de sexes d’hommes qu’elle contient. « Mais peu de personnes ont relevé qu’à l’inverse, le sexe des femmes y reste très tabou et invisible… », pointe Célia Sauvage.
Pour elle, « doivent encore être levés le tabou de la sexualité des femmes, notamment la masturbation, le cunnilingus et moins de sexe pénétratif, mais aussi celle des lesbiennes, toujours bien invisible face aux pratiques des garçons homosexuels ».
Des pratiques qui, si elles sont plus présentes, apparaissent tout de même, elles aussi, souvent stéréotypées et fixées, notamment, sur le sexe anal. « Le dernier défi est aussi de faire varier les personnages [montrés comme] désirables, complète la professeure. Peu de personnages gros, non blancs, handicapés, trans, bisexuels… Ce manque de diversité restreint franchement les modèles d’identification. »
Un problème de label sur certaines teen series
Célia Sauvage relève une autre limite de certaines teen series : le flou autour du public cible. « Une série comme Euphoria s’adresse-t-elle à des adultes fans des productions HBO ? », s’interroge-t-elle. Dans ce show, des acteurs et actrices adultes qui incarnent des adolescent·e·s confronté·e·s à des situations pédocriminelles, transphobes ou d’addiction. « Imaginez la série tournée entièrement avec le casting de Stranger Things… ce serait impossible ! », constate l’experte.
Cette incertitude autour du public destinataire de ces séries étiquetées « pour adolescent·e·s » peut, d’ailleurs, susciter le scandale, comme l’ont montré Euphoria et même Sex Education. « Il y a toujours eu une méfiance, voire une condamnation des productions teen », rappelle Célia Sauvage, qui souligne que « toutes les séries adolescentes ne devraient pas tourner autour de la sexualité, qui devrait d’ailleurs être un thème comme un autre, si l’on souhaite le normaliser ».
Tout ne tourne pas autour du sexe dans la vie des adolescent·e·s, en effet. Pour autant, la docteure en cinéma conclut qu’« il faut toujours interroger l’absence de sexualité dans les productions, car elle cache bien souvent une censure moralisatrice ». Représenter l’asexualité en tant que véritable orientation sexuelle, comme on a pu le voir dans Heartstopper (sortie en 2022 sur Netflix), pourrait donc bien être le prochain défi pour ces séries.