Invités exceptionnels de la Philarmonie le 30 août, les rappeurs de De La Soul continuent d’exister, malgré le décès de l’un des leurs.
En 2023, De La Soul est revenu dans l’actualité, pour une bonne et une mauvaise raison. Après des années de conflit, le catalogue du groupe culte de hip-hop a été enfin mis en ligne sur les plateformes de streaming en mars dernier. L’occasion pour toute une génération de découvrir ou redécouvrir une discographie riche, rendue invisible à cause d’une histoire de droits.
Malheureusement, un mois plus tôt, le rappeur Trugoy the Dove mourait à l’âge de 54 ans, laissant derrière lui les deux autres membres du groupe. Si De La Soul avait été redécouvert dans les années 2000 grâce à sa collaboration avec Gorillaz sur Feel Good Inc. (2005), l’impact du trio sur le hip-hop reste encore méconnu en France.
Peace, love et gangsta-rap
L’histoire de De La Soul commence en 1997 à New York. Artistes audacieux et bourrés d’humour, les rappeurs Posdnuos, Maseo et Trugoy the Dove décident de s’allier et d’enregistrer leur propre musique, alors que le hip-hop gagne en popularité chaque année. Après avoir rencontré le producteur Prince Paul, les trois amis commencent à élaborer un son nouveau, basé sur les samples de Kraftwerk, Sly and the Family Stone et les Rascals. À cette époque, c’est bien le gangsta-rap, représenté par Ice-T et N.W.A. qui gouverne, et De La Soul s’apprête à bouleverser l’industrie avec une proposition bien différente.
Avec son fond coloré, ses fleurs et son lettrage peace and love, 3 Feet High and Rising (1989) détonne dans le paysage rap de l’époque. Pourtant, le premier opus de De La Soul rencontre immédiatement un succès conséquent. Porté par les tubes Me Myself and I, The Magic Number et Eye Know, l’album s’écoule à plus d’un million d’exemplaires et marque durablement un genre, souvent associé à la violence et au ghetto.
En effet, De La Soul est une anomalie dans le paysage hip-hop, aussi bien sur le fond que sur la forme. Le producteur Prince Paul gave les instrumentations de ses protégés avec des influences soul, funk, mais aussi doo-wop et psychédéliques. Les structures deviennent également plus expérimentales, transformant le tout en une sorte de cabaret hip-hop, bariolé de couleurs et d’énergies positives.
Hip-hop psychédélique
Bien loin de la violence de N.W.A., le groupe d’Ice Cube et de Dr. Dre, les rappeurs de De La Soul sont rapidement considérés comme les « hippies du rap ». Les textes des trois rappeurs sont surréalistes et poétiques, basés sur leur concept du « D.A.I.S.Y. Age », le « son de l’intérieur ». Même les noms des membres rappellent l’imagerie enfantine d’un Dr. Seuss (l’auteur du Chat chapeauté). Trugoy vient de yogurt (yaourt) à l’envers, Posdnuos de « sound sop », un terme intraduisible en français. Toutes ces caractéristiques ont poussé les critiques à qualifier 3 Feet High and Rising de De La Soul comme le premier disque de hip-hop psychédélique.
Si la description peut sembler un peu pédante, De La Soul fait néanmoins partie de ces groupes ou artistes qui ont fait « sortir le hip-hop du ghetto ». En introduisant des influences diverses et un humour absurde dans ses textes, le trio participe au développement d’un rap alternatif et progressif. Les trois rappeurs prouvent au monde qu’une autre manière d’aborder le genre est possible et inspireront un grand nombre de contemporains et de successeurs. On peut notamment citer comme exemple les rappeurs Mos Def, Common et les groupes comme les Fugees et Outkast. Autant de propositions différentes qui n’ont pas eu peur de mêler la culture née dans les ghettos noirs de New York avec des influences variées et inédites.
La fin du temps des fleurs
Après le succès éclair de son premier album, De La Soul opère un violent virage avec son successeur, De La Soul is Dead (1991). En plus du titre funeste du disque, la pochette représente un pot de fleurs cassé, symbole que la période hippie était désormais bien enterrée. Les rappeurs s’éloignent définitivement du rap mainstream et de leur « D.A.I.S.Y. Age », avec une proposition encore une fois étonnante. Millie Pulled a Pistol on Santa raconte ainsi les abus sexuels d’un père sur sa fille, Ring Ring Ring (Ha Ha Hey) moque les fans qui tentent de s’accaparer le succès du groupe… La rupture dans la discographie entraîne une réception plus mitigée, mais l’album deviendra lui aussi culte avec les années.
Après la sortie de De La Soul is Dead, le groupe s’écarte progressivement de la scène hip-hop mainstream. Le quatrième album du groupe, Stakes is High (1996) se fait sans le producteur Prince Paul et enregistre des ventes décevantes. Il faudra attendre 2005 pour voir le trio revenir sur le devant de la scène avec Feel Good Inc., tube enregistré avec Gorillaz. Le morceau du groupe de Damon Albarn est un succès gigantesque et permet à De La Soul de remporter son premier Grammy Award.
Un héritage bien vivant
En 2008, De La Soul apparaît aux côtés de A Tribe Called Quest, autre groupe de hip-hop alternatif au Rock the Bells Tour, rappelant au monde l’impact de leur musique sur la scène des années 2000. Des années plus tard, un Kickstarter récolte plus de 110 000 dollars et permet au groupe d’enregistrer l’excellent And the Anonymous Nobody… en 2016.
Miné par une guerre des droits sur sa propre musique, De La Soul a longtemps été boudé par les plateformes de streaming, plongeant ainsi un catalogue entier dans les limbes du hip-hop. En cause : un grand nombre de samples n’avaient jamais été « nettoyés », les producteurs ne disposant pas des droits sur eux. Après des années de bataille, la musique du trio new-yorkais a enfin été rendue disponible en mars 2023, remettant ainsi la lumière sur un son fou et unique.
Cette victoire a pourtant un goût amer, après le décès de Trugoy the Dove en février dernier. Sur la scène de la Philarmonie comme partout dans le monde, De La Soul continue de vivre, malgré les embûches. De La Soul n’est pas mort, son héritage non plus.