Décryptage

Pollution, allergies : les purificateurs d’air personnels sont-ils vraiment efficaces ?

07 août 2023
Par Alexandra Bellamy
Pollution, allergies : les purificateurs d'air personnels sont-ils vraiment efficaces ?
©Dyson

Dyson a récemment lancé son casque audio et purificateur d’air Dyson Zone. Si ses performances en tant que casque ont été saluées, quid de la purification ? Peut-on compter sur les purificateurs d’air personnels pour échapper à la pollution, aux pollens et autres particules irritantes ? Décryptage.

Le casque audio et purificateur d’air Dyson Zone était très attendu depuis que le fabricant britannique en avait fait l’annonce. Et pour cause, c’est un véritable objet de curiosité – de par son design futuriste et l’étrange mariage de fonctionnalités, sans oublier qu’il signe également l’entrée de Dyson dans l’univers du son. Les tests de casques à réduction de bruit active sont légion et le Dyson Zone a déjà fait couler beaucoup d’encre, ses prestations en la matière ayant souvent été saluées. Mais qu’en est-il de ses performances en matière de purification ? 

La visière magnétique du Dyson Zone est amovible.©Dyson

Pas franchement de concurrents, mais quelques “compagnons de route”

Nous avons commencé par nous demander si le concept était inédit ou si d’autres marques avaient déjà couplé casque et purification de l’air « personnelle ». Il se trouve qu’Ible, avec sa gamme Airvida, a développé des écouteurs intra-auriculaires et écouteurs avec tour de cou (les T1 et E1) qui se targuent justement de purifier l’air autour du visage de leur porteur. Ces équipements, qui ne sont pas encore commercialisés, étaient notamment présentés au salon VivaTech. Mais la marque n’en est pas à son galop d’essai puisqu’elle vend déjà de surprenants purificateurs d’air personnels qui adoptent la forme de colliers et utilisent une technologie d’ionisation (ce qui sera aussi le cas des écouteurs T1 et E1). En allant plus loin dans nos recherches, nous avons découvert qu’il existait ce type de petits dispositifs sous différentes formes : miniboîtiers à porter au cou, clés USB… 

La marque française Y-Cat travaille aussi sur un concept de purificateur personnel, qui dispose d’une visière bombée recouvrant partiellement le visage de l’utilisateur.

La technologie utilisée par Y-Cat est encore différente : « L’air est purifié par des filtres et une stérilisation permanente des filtres par UV-C ».©Y-Cat

Nous connaissions le principe des purificateurs d’air personnels « sédentaires », à poser sur un bureau. Mais les petits appareils auxquels nous nous intéressons ont ceci de particulier qu’il s’agit d’équipements nomades, se proposant de purifier l’air autour de l’utilisateur aussi bien en extérieur qu’en intérieur : à la maison, au bureau, en promenade, dans les lieux publics, les transports en commun…

Comment ça fonctionne ?

Le casque Dyson Zone et les dispositifs d’Airvida n’utilisent pas les mêmes technologies. Les colliers d’Airvida et ses futurs écouteurs exploitent une technologie d’ionisation qui génère des ions négatifs autour du visage de l’utilisateur. Ils pourraient ainsi « éliminer efficacement les particules en suspension dans l’air en générant 2 millions d’ions négatifs par seconde pour fixer ces particules, les agréger en entités plus grosses et plus lourdes et ainsi les faire tomber au sol » peut-on lire sur le site de la marque.

L’Airvida M1 peut être porté comme collier, clipsé sur un vêtement ou posé sur le bureau.©Ible

Le Dyson Zone, lui, embarque des filtres électrostatiques à charbon actif, placés dans les oreillettes. Il est aussi équipé d’une visière amovible, qui se fixe par un système magnétique, pour renvoyer le flux d’air purifié vers le nez et la bouche du porteur. Cette visière réglable n’entre pas en contact avec le visage pour des raisons d’hygiène et de confort. « Les compresseurs situés dans chaque écouteur aspirent l’air à travers les filtres à double couche et projettent deux flux d’air purifié vers le nez et la bouche de l’utilisateur, canalisés par la visière sans contact », détaille le fabricant.

Détail du fonctionnement du système de filtration utilisé par le Dyson Zone.©Dyson

Le flux d’air est aussi ajusté en fonction du niveau d’activité de l’utilisateur (repos à activité modérée) ; selon les recommandations de Dyson, il peut donc être porté lors d’exercice légers comme la marche active, mais pas plus. Au regard de son poids important (595 g) il nous semblerait difficile de faire une séance de footing avec. 

Des promesses alléchantes

Les promesses des deux fabricants ne sont pas exactement les mêmes. Dyson envisage surtout l’utilisation de son casque pour lutter contre la pollution urbaine, tout en évoquant les particules fines. « Les filtres électrostatiques capturent les virus et 99 % des particules ultrafines. Les filtres à charbon actif éliminent les émanations urbaines telles que le dioxyde d’azote et réduisent les odeurs », promet le fabricant. Sur l’application, c’est principalement le niveau de dioxyde d’azote (NO2) qui est traqué. 

Les promesses d’Airvida sont bien plus larges. En publiant de nombreuses études de laboratoire, la marque annonce une efficacité sur le coronavirus et sur divers polluants présents dans l’air : les particules en suspension, les PM 2.5, PM10 et pollens, le formaldéhyde, la fumée « secondaire », les acariens, les squames d’animaux… Vaste programme. 

Exemple de résultats mis en avant par Airvida sur son site. ©Ible

Des systèmes qui soulèvent pas mal de questions

Ces dispositifs posent plusieurs questions, à commencer par leur efficacité. Dans le cas du Dyson Zone, même si le flux d’air filtré est dirigé vers le nez et la bouche avec une visière, celle-ci étant sans contact, peut-on espérer respirer de l’air pur sans inhaler de l’air pollué en même temps ? Quant aux colliers ou écouteurs d’Airvida, aucune visière. Comment de si petits appareils peuvent-ils purifier de l’air tout autour de la tête d’un utilisateur, en étant portés plusieurs centimètres en dessous des voies respiratoires ?

Les écouteurs T1 (en photo ci-dessus) et les écouteurs avec tour de cou E1 d’Airvida ne sont pas encore commercialisés.©Ible

D’autant que ces équipements (toutes technologies confondues) sont destinés à être utilisés également en extérieur. S’il y a du vent, par exemple, cela peut-il avoir une incidence sur l’efficacité ? Qu’en est-il s’il y a un pic de pollution ou de pollens ? 

Enfin, l’Anses recommande la prudence concernant les systèmes de purification qui utilisent la technologie d’ionisation : « D’une façon générale, les données scientifiques disponibles ne permettent pas de démontrer l’efficacité et l’innocuité en conditions réelles d’utilisation des dispositifs d’épuration de l’air intérieur fonctionnant sur les principes de la catalyse ou photocatalyse, du plasma, de l’ozonation ou de l’ionisation. »

Quelle efficacité peut-on espérer ?

Nous n’avons pas eu l’occasion d’essayer les solutions d’Airvida, mais nous avons pu tester le Dyson Zone. Lorsque l’on remonte la visière, on sent la sensation d’air frais sur le nez et la bouche, ce que nous avons trouvé assez déroutant de prime abord, mais plutôt agréable une fois l’effet de surprise passé. En revanche, notre compagnon n’a pas du tout apprécié cette sensation d’air diffusé en direction de son visage ; il s’est même senti gêné. Sans surprise, la perception dépend des personnes. À noter aussi que le fonctionnement du système de purification est assez bruyant, aussi bien de l’extérieur que lorsque l’on porte le casque. En activant la réduction de bruit et en écoutant de la musique même à faible volume, le porteur peut s’en débarrasser, mais l’entourage l’entend toujours.

À l’issue de ces essais, nous ne pouvons livrer que des impressions et des sensations ; difficile de dire quelle est l’efficacité de ces dispositifs en matière de purification. Nous avons donc interrogé des spécialistes qui ont pu nous éclairer sur ces technologies.  

Les filtres du Dyson Zone sont placés dans les oreillettes.

Des études réalisées en laboratoire

Que ce soit Dyson ou Airvida, les deux fabricants citent des chiffres concernant l’efficacité de leurs systèmes après des essais réalisés par des laboratoires indépendants, courbes et résultats d’études à l’appui. Tous nos interlocuteurs nous font remarquer qu’on peut obtenir des résultats très différents lors de tests réalisés en laboratoire ou en situation réelle et que ces derniers manquent cruellement. D’ailleurs, sur son site, Dyson précise pour chaque chiffre cité que « l’efficacité réelle peut varier en fonction de l’utilisation » ou que « les taux de capture peuvent varier en fonction de l’utilisation réelle »… 

« Le fait d’ioniser l’air aussi près du visage ne présente-t-il pas un risque d’inhaler les particules piégées ? »

Dr Fabien Squinazi
Médecin biologiste, membre du Haut Conseil de la santé publique

De plus, « certaines technologies peuvent fonctionner, mais, sur un système différent, on n’a pas forcément la même efficacité d’une part, ni les mêmes risques d’autre part », relève Bruno Tudal, conseiller médical en environnement intérieur, qui s’intéresse de près aux questions de traitement de l’air. Il cite l’exemple de la filtration électrostatique, qui a été choisie pour équiper les chambres du Village des athlètes lors des Jeux olympiques – en intérieur donc, et pas à proximité du visage de l’utilisateur. 

Des technologies pas si anodines

Pour des personnes fragiles, souffrant d’allergies ou de maladies respiratoires, même si l’efficacité réelle en situation d’usage n’est pas prouvée, la tentation pourrait être grande de s’équiper pour essayer, en pensant que ça ne peut pas faire de mal. Pourtant, ces technologies ne sont pas anodines.

Pour le Dr Fabien Squinazi, médecin biologiste, membre du Haut Conseil de la santé publique, le piégeage des particules par ionisation utilisé par Airvida soulève bien des questions : « Dans une pièce, les ions négatifs produits par l’ioniseur fixent les particules et les font sédimenter sur les surfaces. Mais le fait d’ioniser l’air aussi près du visage ne présente-t-il pas un risque d’inhaler les particules piégées ? Le site internet [d’Airvida, ndlr]) n’aborde pas ce sujet : est-ce qu’on respire des ions négatifs, des particules d’allergènes fixées par les ions négatifs ? En effet, il faut être conscient que les ions négatifs ne détruisent pas les allergènes ou autres, qui restent actifs, ils ne font que les fixer. »

« Le champ électrique produit par l’ioniseur modifie l’air autour du visage, donc mon inquiétude c’est que les personnes qui sont allergiques ou asthmatiques respirent de l’ozone, ce qui pourrait être gênant même en petite quantité. »

Dr Fabien Squinazi
Médecin biologiste, membre du Haut Conseil de la santé publique

De plus, cette technologie produit de l’ozone ; Airvida aborde d’ailleurs cette question et se veut rassurant. « Selon les résultats des tests effectués par un laboratoire indépendant, l’ozone de l’Airvida L1 n’est que de 0,006 ppm. Par rapport à la norme de la Commission européenne, ce taux ne représente que 10 % de la limite autorisée », peut-on lire sur le site de la marque.

Le Dr Squinazi nous éclaire à nouveau sur ce point. « Le champ électrique produit par l’ioniseur modifie l’air autour du visage, donc mon inquiétude c’est que les personnes qui sont allergiques ou asthmatiques respirent de l’ozone, ce qui pourrait être gênant même en petite quantité. Habituellement, lorsque ces appareils produisent de l’ozone dans une pièce, l’ozone se disperse et se fixe sur les parois. Mais là, ce serait une production d’ozone juste sous le nez de l’utilisateur, qu’il respirerait directement. » Il remarque par ailleurs que le site internet d’Airvida ne fournit pas d’étude en situation réelle pour mesurer ce qui se passe autour de la personne et écarter les risques de toxicité. 

Bruno Tudal, lui, attire notre attention sur la vidéo de test publiée par Airvida sur son site : « La vidéo a l’air de montrer que c’est efficace, mais j’ai tout de même un gros doute sur l’efficacité réelle du dispositif. Aujourd’hui, ça n’est pas quelque chose que je peux recommander. » Il remarque en outre que les capteurs utilisés par le fabricant dans cette vidéo ne sont pas des équipements professionnels, mais du matériel bas de gamme.

Quid de la filtration électrostatique ?

La filtration électrostatique choisie par Dyson présente-t-elle les mêmes risques ? Le Dr Squinazi nous apporte au passage quelques explications sur le fonctionnement de cette technologie : « Ce sont des plaques qui créent un champ électrique. Les particules passent entre ces plaques, sont ionisées et se fixent sur les plaques. Mais il faut prévoir un entretien régulier de ces plaques puisque les particules y sont piégées. » 

En l’occurrence, ce qui pose problème, c’est surtout le filtre à charbon actif : « Le filtre électrostatique est efficace en termes de filtration de particules. En revanche, on peut avoir l’impression que le filtre à charbon actif utilisé piège tous les polluants chimiques possibles. C’est totalement faux ! Le pourcentage de piégeage est très variable d’un composé chimique à l’autre et certains, comme le formaldéhyde, ne sont pas fixés du tout sur le charbon actif. De plus, il peut y avoir un relargage de molécules », nous explique le médecin biologiste.

Captures d’écran de l’application MyDyson, qui accompagne le casque Dyson Zone.©Dyson

C’est également sur ce point que Bruno Tudal appelle à la vigilance : « Le problème avec les filtres à charbon actif, c’est qu’au bout d’un moment, il y a ce qu’on appelle un phénomène de percée. Le filtre sature et il y a un risque de relargage. Cela peut arriver si on ne change pas le filtre régulièrement, ou bien s’il y a un gros pic de pollution pour lequel l’équipement n’est pas prévu. Dans ce cas, le filtre peut relarguer d’un seul coup tous les polluants qu’il a stockés et on risque d’avoir un pic de pollution plus important que la pollution initiale. » 

Dans le cas du Dyson Zone, en l’occurrence, cette pollution serait diffusée directement dans les voies respiratoires de l’utilisateur. C’est pour éviter cela que Dyson a prévu des alertes sur l’application lorsqu’il est temps de remplacer les filtres, ainsi qu’un voyant clignotant sur l’oreillette. Le fabricant britannique précise que la durée de vie du filtre varie en fonction de la qualité de l’air.

Mais est-ce suffisant ? Nos interlocuteurs sont dubitatifs. « Le problème que ça me pose, c’est qu’on sait très bien que, dans le temps, les gens ne vont pas changer les filtres à charbon actif. Ça n’est pas de la faute du fabricant, mais c’est une tendance qu’on observe. Or, les gens risquent de se croire en sécurité alors que ça n’est pas le cas », déclare par exemple Bruno Tudal.

Le risque de se penser en sécurité

Ce risque que les utilisateurs se croient en sécurité, nos interlocuteurs l’évoquent à plusieurs reprises. Dans le cas des personnes en bonne santé, il ne faudrait pas qu’elles fassent l’impasse sur des gestes tels que l’aération ou la ventilation. Quant aux personnes malades, il ne faudrait en aucun cas qu’elles négligent leur suivi médical ou leur traitement. « N’allez pas vers des produits innovants si vous n’avez pas vérifié que cette innovation apporte plus que ce que vous avez déjà [médicaments, masques…, ndlr] », leur conseille le Dr Squinazi.

« Plutôt que d’aller chercher des appareils dont on connaît mal l’efficacité et la toxicité, le port d’un masque a fait ses preuves et a été validé par de nombreuses études. Alors, pourquoi chercher autre chose ? »

Dr Fabien Squinazi
Médecin biologiste, membre du Haut Conseil de la santé publique

In fine, tous les professionnels avec lesquels nous avons échangé recommandent d’envisager ces solutions avec prudence et recul. Selon le Dr Squinazi : « En mettant l’appareil aussi proche du visage d’une personne, il y a un aspect médical qui ne dit pas son nom. Or, aucune étude clinique n’a été réalisée pour prouver que ces dispositifs protégeaient les utilisateurs. Les études proposées [sur les sites d’Airvida et de Dyson, ndlr] sont une bonne base, mais cela ne suffit pas. Il manque notamment des études en situation réelle pour évaluer l’efficacité et les effets cliniques de ces dispositifs. » 

Le Dr Catherine Quequet, médecin allergologue autrice du livre Les Nouvelles Allergies aux éditions du Rocher, ne se prononce pas sur l’efficacité de ces systèmes, mais nous fait remarquer qu’on dispose déjà de solutions éprouvées pour se protéger : « On peut conseiller le port du masque chirurgical ou FFP2 en prévention de l’allergie au pollen, quand on sort. Cela bloque les pollens au niveau des voies respiratoires. Des études le démontrent. »

Un conseil repris par le Dr Squinazi : « Plutôt que d’aller chercher des appareils dont on connaît mal l’efficacité en situation réelle et la toxicité, le port d’un masque a fait ses preuves et a été validé par de nombreuses études. Alors, pourquoi chercher autre chose ? Comme on dit, il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre. »

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Article rédigé par
Alexandra Bellamy
Alexandra Bellamy
Journaliste