Les jeux vidéo et la musique, c’est une longue histoire d’amour. Une nouvelle tendance étonnante, qui mélange ces genres, est en train de se développer. On fait le point.
Il y a quelques jours, nous apprenions que Final Fantasy XVI, l’un des jeux majeurs de 2023, allait être adapté sous forme de comédie musicale. Un événement qui semble insolite, mais qui n’est pas si rare : des titres iconiques de l’histoire vidéoludique reçoivent régulièrement cet hommage sur les planches. À l’inverse, les jeux prenant la forme de contes chantés demeuraient assez rares jusqu’à il y a quelques années. Mais, à l’occasion de la sortie de Stray Gods: The Roleplaying Musical, véritable pièce musicale interactive au casting trois étoiles, il se peut que les choses soient en train de bouger. Retour 30 ans en arrière.
Des séquences chantées
Pendant longtemps, la question ne se posait pas vraiment. Dans les premières décennies de l’histoire du média, il était tout simplement impossible de mettre de chansons dans une bande originale de jeu. Dès les années 1990, cependant, les progrès des processeurs sonores des consoles et des cartes son des PC permettent quelques fantaisies.
On pense notamment à cette incroyable scène d’opéra présente au beau milieu de l’intrigue de Final Fantasy VI en 1994, qui pousse les capacités sonores de la Super Nintendo dans ses retranchements, ou au générique du jeu Discworld 2, chanté par le Monty Python Eric Idle en 1998 et clairement inspiré du style de Broadway.
Dans un registre tout aussi grandiloquent, mais nettement moins classe (même si des orchestres symphoniques ont pu y mettre le nez), on pense à l’improbable séquence de la Great Mighty Poo dans le jeu Conker’s Bad Fut Day, qui opposait lors d’une séquence d’anthologie le joueur à un gigantesque étron chantant.
Mais il faudra attendre encore un peu avant qu’apparaissent des jeux prenant une forme essentiellement chantée ou musicale. Les premiers essais remarqués en la matière sont très certainement les titres de la série PaRappa the Rapper, édités par Sony, et ceux de la franchise Space Channel 5, côté Sega.
Quasiment toutes les séquences de gameplay de ces œuvres étaient chantées et dansées et nous faisaient reprendre en rythme les pistes, avec un décorum largement inspiré des clichés des comédies musicales. Une tendance qui n’a cependant pas engendré beaucoup de successeurs immédiats.
La timide exception des comédies musicales vidéoludiques
Pendant les années 2000, si quelques jeux reprennent les gimmicks du genre (faire avancer l’intrigue par des chansons, par exemple), le genre de la comédie musicale vidéoludique reste cantonné à quelques jeux de rythme.
On peut par exemple citer la très amusante série des Oendan, dont un épisode est sorti en France sous le nom d’Elite Beat Agents sur Nintendo DS. On y incarnait des agents secrets devant chanter et danser en rythme pour aider des gens à se sortir de catastrophes de la vie quotidienne. Très amusant, certes, mais pas très abouti d’un point de vue narratif.
Le réalisateur Mike Bithell l’expliquait il y a quelques années : si peu de jeux reprennent une structure de pièce de théâtre chantée, c’est en partie à cause de la difficulté d’entremêler narration, gameplay et musique d’une manière satisfaisante, particulièrement quand on s’éloigne du domaine des jeux de rythme. Il faudra donc attendre des années avant que de nouvelles tentatives (timides) aient lieu.
On peut notamment citer Rhapsody: A Musical Adventure et ses suites, des jeux de rôle mettant en scène la jeune trompettiste Cornet chantant et jouant de la musique au fil de ses aventures dans un royaume de fantasy ; probablement la première série de jeux non musicaux à utiliser régulièrement le chant et la danse pour dérouler son intrigue.
On note aussi ces quelques séquences perdues dans des jeux L’Étrange Noël de Monsieur Jack et Epic Mickey 2, qui voyaient quelques personnages iconiques pousser la chansonnette. Mais, là encore, il s’agissait d’exceptions sur une scène vidéoludique qui semblait se désintéresser du genre de la comédie musicale.
Quand la scène indé entre dans la danse
Sans grande surprise, c’est par la scène du jeu indépendant que le genre finit par s’épanouir. Des titres plus courts, moins formatés et pouvant se permettre d’explorer de nouvelles manières de jouer voient le jour. Il n’en fallait pas plus pour qu’émergent dès 2013 des expériences incroyables comme le Dominique Pamplemousse de Squinky, un titre humoristique en stop-motion intégralement chanté.
Avec le temps, les auteurs trouvent ainsi des manières de plus en plus fluides d’intégrer des séquences de chant et de danse à des jeux variés, de manière plus ou moins articulée avec le gameplay. En 2015, le jeu d’exploration Karmaflow prend ainsi la forme d’une sorte d’opéra rock à la narration chantée par des personnages interprétés par les chanteurs des groupes de metal Delain, Epica, Sonata Arctica ou encore DragonForce.
Plus original encore, en 2018, le merveilleux Wandersong de Greg Lobanov nous fait incarner un barde qui transforme les combats du jeu en duels de chansons et, en 2019, un jeu de rythme comme Sayonara Wild Hearts prend la forme d’un immense clip cyberpunk d’un peu plus d’une heure. On s’approche enfin d’un véritable spectacle de comédie musicale transposé en jeu vidéo.
Le phénomène s’accélère, et il devient de plus en plus commun de trouver des narrations chantées dans des œuvres récentes, comme si une barrière était définitivement tombée. Mother Chef: The Musical parodie les jeux de cuisine en les transformant en clips musicaux ; Figment 2 propose des combats de boss intégralement chantés ; le récent jeu horrifique Decarnation multiplie les séquences musicales sous forme de pop rétro pour traduire l’état d’esprit de l’héroïne…
Il ne manquait donc plus qu’un jeu majeur assumant totalement sa nature de comédie musicale pour parfaire le tableau. C’est désormais le cas avec Stray Gods: The Roleplaying Musical, prévu pour le 10 août prochain.
Une tendance appelée à durer
Développé par le jeune studio Summerfall, Stray Gods est un conte fantastique urbain qui vous propose d’incarner une muse capable d’influencer ses adversaires par le pouvoir de la musique. Tout en chansons, le jeu a été composé par Austin Wintory, Tripod et la chanteuse australienne Montaigne. C’est incontestablement l’un des castings les plus prestigieux pour une bande-son de jeu vidéo de ces dernières années.
En cas de succès de Stray Gods, il y a fort à parier que les projets du genre vont se multiplier, tant le mélange entre musique et interactivité semble infuser de partout. Du rock psychédélique de The Artful Escape aux rythmiques seventies de A Musical Story, en passant par la pop indé de We Are OFK (probablement l’un des uniques exemples de jeu musical basé sur un véritable groupe), tout le monde s’y met.
Les jeux vidéo s’inspirent de plus en plus des comédies musicales pour se raconter, mais l’inverse est tout aussi vrai. Ces dernières années, de nombreux créateurs de contenus ont imaginé leurs propres spectacles, basés sur des jeux connus.
Vous avez quelques heures devant vous ? Ruez-vous sur Undertale, la comédie musicale, Super Mario version chantée ou encore sur les dizaines de scènes de Final Fantasy transformées en morceaux de bravoure musicaux par le chanteur japonais Hyadain. Bref, on n’a pas fini d’entendre chanter les jeux.