Alors que Manifest dévoile sa dernière saison sur Netflix, une nouvelle série mystérieuse se prépare. Exit les passagers du vol 828, ceux de L’Anomalie s’apprêtent à embarquer pour un voyage étonnant.
Prix Goncourt 2020, Hervé Le Tellier a tenu en haleine ses lecteurs avec son roman L’Anomalie. Le page-turner s’est vendu à plus de 1,5 million d’exemplaires et a été traduit dans une cinquantaine de langues. On y suit l’histoire d’une centaine de passagers qui vont vivre un phénomène inexplicable à la sortie de leur vol Paris-New York. Son intrigue, qui a des points communs avec la production Netflix Manifest, va bientôt être adaptée en série. L’Éclaireur a donc profité de la présence de l’auteur au festival Series Mania en mars dernier pour l’interroger sur cette adaptation déjà très attendue.
Vous avez reçu le prestigieux prix Goncourt pour L’Anomalie en 2020. Qu’est-ce que cette distinction a changé dans votre vie ?
Dans la vie quotidienne, pas grand-chose. Dans la vie professionnelle, beaucoup ! Je suis passé d’un auteur qui vendait 15 000 à 20 000 livres – ce qui est formidable – à 1,5 million d’exemplaires. C’est énorme pour une population francophone. Avec ce prix, le chiffre des ventes a été multiplié par 100. C’est complètement fou.
Mes autres livres, qui étaient, sinon morts et enterrés, au moins sommeillants, se sont un peu réveillés et ont parfois ressuscité. Après, ce prix me fait courir le risque d’être l’homme d’un seul livre. Mais, au final, ça m’est un peu égal dans le sens où les lecteurs auxquels je m’adressais vont continuer à me lire.
Il faut tout de même admettre que tout devient plus facile avec ce genre de distinction. Je n’ai jamais été un auteur dangereux pour mon éditeur, je ne lui ai jamais fait courir de risque. Les livres que je sortais se vendaient suffisamment pour qu’il ne perde pas d’argent. Aujourd’hui, j’ai acquis une visibilité qui est très inattendue pour moi, mais ça veut aussi dire que je peux me permettre de faire des choses plus compliquées.
On me demande souvent si ce prix ne me met pas la pression pour mes prochains romans, mais soyons honnêtes : je ne peux pas faire mieux ou plus en termes de ventes. Je suis totalement libéré de ce point de vue.
On le sait depuis quelques mois maintenant, L’Anomalie va être adapté en série. À quel point êtes-vous impliqué dans cette adaptation ?
Le livre a été optionné en série avant même qu’il ne sorte en librairie, et ça m’a évidemment fait extrêmement plaisir. Pour cette adaptation, j’ai fait la “bible” avec le réalisateur. On a travaillé ensemble sur la destruction du livre et son augmentation.
Je veux dire par là qu’on a dû faire table rase de la construction du roman pour pouvoir donner libre cours à une structure propre au cinéma et aux séries. Ensuite, on a fait un travail d’enrichissement pour que des personnages secondaires deviennent plus importants, on en a supprimé certains, et on en a créé d’autres pour pouvoir développer des parties qui ne l’étaient pas dans le livre. Mon principal travail a donc été d’accepter toutes ces modifications.
Imaginiez-vous que votre livre serait adapté en série, quand vous l’écriviez ? Pour de nombreux lecteurs, cette adaptation tombait sous le sens, car les chapitres se dévorent comme des épisodes et il y a toute une galerie de personnages.
Tous mes romans sont construits de cette façon. Ce sont des livres courts, avec des personnages qui sont croqués en dix pages. Je pense que j’ai un goût personnel pour la description et pour l’incarnation des héros. Il y a généralement peu de détails sur leur physique – donc le casting est très ouvert – et beaucoup de profondeur psychologique, avec trois ou quatre moments de flashbacks où on les voit à travers des souvenirs anciens. Après toutes ces étapes, le personnage s’autodéfinit.
Donc ce sont effectivement de bons éléments pour une adaptation en série, mais je n’avais pas cette idée en tête au moment de l’écriture de L’Anomalie. En revanche, je pense qu’on ne peut pas écrire un roman sans avoir d’images mentales qu’on essaie de transmettre au lecteur. Victor Hugo le faisait déjà avec Les Misérables (qui se dévore aussi comme une série), alors que le cinéma n’existait pas.
Les auteurs pensent d’abord aux images, avant de trouver les meilleurs mots pour les restituer dans leurs livres. Cependant, ils savent pertinemment que chaque lecteur a ses propres représentations et qu’ils ne visualiseront pas les mêmes choses qu’eux. Au cinéma, c’est différent. Tous les spectateurs reçoivent la même image. C’est pour cette raison que je préfère écrire des livres et laisser le projet cinématographique à d’autres.
Quel serait votre casting rêvé pour incarner ces personnages ?
Comme je vous le disais, je les ai conçus à partir de mes idées mentales. Cependant, j’ai vraiment besoin de m’en dessaisir. Je dois abandonner ces personnages que j’ai imaginés pour que des personnes plus compétentes que moi puissent choisir qui va les incarner. Je trouve ça très sain, en fait.
Adrian est très intéressant de ce point de vue, car il est complètement inadaptable. Dans le livre, on dit qu’il a des airs de Tom Hanks jeune, puis de Ryan Gosling, mais au bout du compte, il ne ressemble à personne. On peut même se demander s’il n’est pas une sorte de jeu que la simulation fait de manière à ce qu’il n’ait jamais le même visage en fonction de ses interlocuteurs. On le voit, mais il n’est jamais semblable à lui-même. J’aimais bien cette idée de personnage flou.
Dans Harry dans tous ses états de Woody Allen, Robin Williams joue justement un protagoniste flou, et on n’arrive jamais à faire le point sur lui. Dans les séries, on imagine assez mal ce genre de héros. Mais, pour revenir à votre question, je souhaite qu’une autre personne s’occupe du casting et fasse des propositions.
Vous avez exploré les mathématiques, l’édition, le journalisme, les romans, la poésie, le théâtre, les séries… Quel domaine aimeriez-vous découvrir maintenant ?
J’aimerais bien apprendre la grammaire et le vocabulaire du cinéma. Je connais surtout la mise en scène de théâtre, mais le cinéma m’est inconnu et j’aimerais bien y accéder. Je pense que c’est une carence pour moi.