Le coup d’envoi du 76e Festival de Cannes a été sonné. Certains films en lice, sont l’occasion pour certains de décrocher la seconde Palme d’or de leur carrière, un fait d’armes dont peu de réalisateurs peuvent aujourd’hui se targuer.
C’est le retour du tapis rouge, du photocall, des flash qui crépitent, de la montée des marches, des polémiques et des standing ovations à rallonge. Le 16 mai, le dernier film de l’actrice et réalisatrice Maïwenn – Jeanne du Barry, avec Johnny Depp dans la peau du monarque Louis XV – a ouvert les festivités du 76e Festival de Cannes, rendez-vous incontournable du cinéma mondial où se pressent chaque année les professionnels du secteur (distributeurs, producteurs, programmateurs, etc.) pour prendre le pouls de l’industrie. Si des centaines de films sont présentés durant le Festival à travers ses différentes sélections parallèles (Quinzaine des réalisateurs, Semaine de la Critique, ACID, etc.), les yeux sont évidemment rivés sur la vingtaine de films en compétition pour décrocher le fameux Graal qu’est la Palme d’or, décernée pour la première fois sous sa forme actuelle en 1955.
Une Palme pour les gouverner tous
Si la sélection officielle se veut plus diversifiée qu’à l’accoutumée – pas moins de six réalisatrices en compétition, une première dans l’histoire du Festival, dont Justine Triet (Anatomie d’une chute), Catherine Corsini (Le Retour) ou Alice Rohrwacher (La Chimera) –, le délégué général de l’événement, Thierry Frémaux, n’a pas pour autant oublié de convoquer certains habitués de l’exercice, à l’instar de Ken Loach (The Old Oak), Nanni Moretti (Vers un avenir radieux), Nuri Bilge Ceylan (Les Herbes sèches), Wim Wenders (Perfect Days) ou Hirokazu Kore-Eda (Monster), tous en lice pour décrocher une nouvelle fois le précieux sésame.
L’un d’entre eux pourrait alors rejoindre un club très fermé de cinéastes ayant remporté la Palme d’or à deux reprises, dont fait d’ailleurs partie le président du jury de cette 76e édition, le réalisateur suédois Ruben Östlund, primé l’année dernière pour le mordant Sans filtre (Triangle of Sadness) après avoir remporté une première fois la fameuse récompense en 2017 pour The Square.
C’est un autre cinéaste suédois, Alf Sjöberg (1903-1980), qui a techniquement été le premier à réaliser cette prouesse en remportant le Grand Prix du Festival – ancienne dénomination de la Palme d’or – en 1946 pour Tourments (le tout premier film écrit par Ingmar Bergman), puis en 1951 pour Mademoiselle Julie (adaptation de la pièce éponyme de Strindberg), ex aequo avec Miracle à Milan du cinéaste italien Vittorio De Sica.
Cependant, Sjöberg n’est généralement pas de la partie lorsqu’il s’agit d’évoquer les doubles vainqueurs de la Palme d’or. En effet, en 1946, le Festival de Cannes se tient pour la toute première fois : celui-ci était initialement prévu en 1939, mais a été bien entendu été annulé au début de la guerre. Toutes les nations présentes repartent alors de cette première édition avec un Grand Prix. Roberto Rossellini (Rome, ville ouverte), Billy Wilder (Le Poison), David Lean (Brève Rencontre) ou encore René Clément (La Bataille du rail) sont tous récompensés cette année-là, au même titre que le réalisateur suédois.
Un cercle d’habitués
En termes d’exploit individuel donc, on décompte neuf réalisateurs à être parvenus à décrocher la Palme d’or à deux reprises. Ou plutôt huit, dès lors que l’on compte pour un les frères Jean-Luc et Pierre Dardenne, récompensés en 1999 pour Rosetta puis en 2005 pour L’Enfant.
Outre ces deux récompenses, les Dardenne ont de nombreux prix cannois à leur actif, dont celui du scénario pour Le Silence de Lorna (2008) ou encore le Grand Prix du Jury pour Le Gamin au vélo (2011). L’année dernière encore, les cinéastes belges sont repartis avec le Prix anniversaire du Festival – remis tous les cinq ans – pour leur dernier film en date, Tori et Lokita. Comme une évidence.
Autre vétéran de la compétition cannoise, le cinéaste autrichien Michael Haneke, connu pour ses films austères et particulièrement acerbes dévoilant les parts sombres de l’âme humaine (Benny’s Video, Funny Games). Après s’être vu remettre le Grand Prix du jury en 2001 pour La Pianiste, puis le Prix de la mise en scène en 2005 pour Caché, il remporte finalement sa première Palme pour le Le Ruban blanc en 2009, avant de réitérer trois ans plus tard avec Amour, portrait déchirant d’un couple d’octogénaires confrontés aux affres de la vieillesse et interprétés magnifiquement par les inoubliables Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva.
Dans le genre vétéran, Ken Loach n’a rien à envier à ses illustres confrères. Avec pas moins de 15 nominations (sans compter ses films montrés dans un premier temps dans les sections parallèles), le cinéaste britannique de 86 ans, auréolé à trois reprises du Prix du Jury, détient tout simplement le record de longs-métrages en compétition officielle. Le cinéaste engagé a décroché sa première Palme d’or en 2006 pour Le Vent se lève, puis dix ans plus tard pour Moi, Daniel Blake. En venant aujourd’hui défendre son nouveau film, The Old Oak, Ken Loach s’offre ainsi la possibilité de réaliser un triplé historique.
En 1974, le festival fait une fois de plus la part belle au Nouvel Hollywood (on retrouve en sélection Hal Ashby, Spielberg, Altman, etc.), après avoir sacré L’Épouvantail de Jerry Schatzberg lors de la précédente édition. C’est ainsi que le jeune Francis Ford Coppola, entre deux volets du Parrain, décroche le Grand Prix (qui remplaça à nouveau la Palme dans les années 1960, avant sa réhabilitation en 1975) pour Conversation secrète, quelques années après avoir fait ses débuts sur la Croisette avec la comédie Big Boy (1967).
En 1976, c’est au tour de Scorsese de remporter la Palme avec Taxi Driver ; puis, en 1979, Coppola revient cette fois sur la Croisette avec un projet démesuré et chaotique en tous points, Apocalypse Now, son chef-d’œuvre.
Bien que le film ne soit pas totalement achevé lors de sa présentation (trois fins différentes auraient circulé à l’époque !), le réalisateur américain remporte la Palme d’or – au grand dam de Françoise Sagan, alors présidente du jury, qui répudie profondément le film – ex aequo avec Le Tambour de Volker Schlöndorff. Trois apparitions en sélection officielle pour deux Palmes, plutôt un bon ratio.
Dans le reste de la « bande des neuf » figurent également des cinéastes sans doute légèrement moins en vue, mais tout aussi appréciés des cinéphiles. À commencer par le réalisateur japonais Shōhei Imamura, récompensé pour La Ballade de Narayama (1983) et L’Anguille (1997, ex aequo avec Abbas Kiarostami pour Le Goût de la cerise), le Danois Bille August (Pelle le conquérant en 1988 et Les Meilleures Intentions en 1992) et enfin le célèbre réalisateur franco-serbe Emir Kusturica, qui, après avoir décroché le Lion d’or à Venise pour son tout premier film (Te souviens-tu de Dolly Bell ?, 1981) se hisse au sommet du cinéma mondial quatre ans plus tard avec son deuxième long-métrage, Papa est en voyage d’affaires, qui lui vaut aussitôt sa première Palme d’or. Les prix s’enchaînent alors pour cet enfant de l’ex-Yougoslavie qui remporte finalement sa seconde Palme d’or – sur fond de polémique – en 1995 pour Underground.
Où sont les femmes ?
En revanche il faudra malheureusement attendre avant de voir enfin une cinéaste rejoindre ce club très masculin. En effet, seulement deux réalisatrices ont obtenu la Palme d’or depuis la création du Festival : la Néo-Zélandaise Jane Campion fut la première, avec La Leçon de Piano en 1993, encore que son film fut primé ex aequo avec un autre film (Adieu ma concubine de Chen Kaige, bien moins mémorable que le film de Campion).
Près de 30 ans plus tard, la réalisatrice française Julia Ducournau, imprégnée notamment par le cinéma de David Cronenberg, lui a succédé avec Titane (2021), son deuxième long-métrage après le très remarqué Grave (2017). Pour cette 76e édition du festival, six réalisatrices sont en lice, un record qui, espérons, sera de nouveau battu.
Qui remporta donc la Palme cette année ? Wes Anderson, jusqu’à présent reparti bredouille du Festival ? Justine Triet ? Jessica Hausner ? Jonathan Glazer, qui avait marqué les esprits avec Under the Skin (2013) ? Wenders, Moretti, Haynes, Kore-Eda ? Ken Loach réalisera-t-il un triplé ? Le jury de Ruben Östlund a en tout cas du pain sur la planche. Rendez-vous le 27 mai prochain pour le verdict.