Entretien

Élisabeth Buffet : “La scène, c’est le seul endroit où je suis bien, rien d’autre existe”

15 avril 2023
Par Lisa Muratore
Élisabeth Buffet présente son nouveau spectacle “Mes histoires de cœur”.
Élisabeth Buffet présente son nouveau spectacle “Mes histoires de cœur”. ©Lambert Davis

À l’occasion de son nouveau spectacle, présenté à Paris et dans toute la France, L’Éclaireur a rencontré l’humoriste Élisabeth Buffet afin de parler de sa carrière et de son univers, sans filtre.

Dans Mes histoires de cœur, Élisabeth Buffet replonge dans les pages de son carnet intime, celui dans lequel l’humoriste a compilé le nom de ses conquêtes amoureuses et sexuelles. Face au public, l’artiste dévoile aventures sans lendemain et coups de cœur dans des anecdotes croustillantes et hilarantes. Elle se remémore ainsi son expérience dans un restaurant dans le noir, sa rencontre avec des nudistes nostalgiques du IIIe Reich, tout comme sa première fois embarrassante.

En une heure de spectacle, Élisabeth Buffet revient sans tabou sur ses échecs sentimentaux dans un stand-up surprenant. Lancée à 1 000 à l’heure, elle affiche une liberté artistique contagieuse et inspirante qui a su conquérir Le Grand Point Virgule, à Paris, avant sa tournée hexagonale. Entre deux représentations, L’Éclaireur a pu à s’entretenir avec cet électron libre de la scène comique française.

Comment est née l’idée de ce spectacle ? 

Elle est née durant le confinement. Je trouvais que nous vivions une période pesante. Par ailleurs, mon précédent spectacle avait des aspects plus sombres, car c’était un constat dépité de ma vieillesse. J’avais donc envie d’un retour à la légèreté, de rire sans message, sans arrière pensée, ce qui m’a forcé à replonger dans mon vécu. C’est là que l’idée de repartir sur mes aventures amoureuses et sexuelles m’est venue. 

Elisabeth Buffet. ©Lambert Davis

Comment s’est passé le processus créatif ? Plus précisément, comment parvient-on à assembler toutes ces histoires ? 

Tout d’abord, c’est un mélange de fiction et de vécu. Bien sûr, la partie vécu est transformée et exagérée pour les besoins de la scène. Ce sont aussi des histoires que des amies m’ont racontées. C’est donc un mélange de choses piochées à droite et à gauche, mais également inspirées de ma vie. À partir de là, je suis partie d’un petit bout de fil que j’ai déroulé – car ça part dans tous les sens, au début. Puis, on essaie de tirer le suc de tout ça. Pour tout vous dire, j’ai vraiment un document sur mon ordinateur, la liste de mes amoureux.

« Écrire n’est pas un exercice facile pour moi, mais je l’aime bien quand même, car c’est une période où je suis en face de moi. J’aime farfouiller dans mes entrailles pour voir ce qui sort. »

Élisabeth Buffet

Je me suis dit que ça pourrait servir de fil conducteur amusant pour le spectacle. J’ai donc pensé à cette découverte sur scène de ce fameux carnet que je détaille au public, et dans lequel j’ai compilé toutes mes conquêtes. Finalement, ce processus part d’une idée assez simple. Avec ce spectacle, j’avais surtout envie de raconter des histoires. J’essayais de voir ce que m’évoquaient mes souvenirs, de mettre en situation et de planter un décor. 

Comment percevez-vous ce processus créatif ?  

La phase d’écriture est très laborieuse, car c’est important pour moi, ça a toujours été le socle. Je ne “ponds pas facilement”, et je suis impressionnée par certaines personnes qui écrivent comme elles respirent. Je les admire. C’est vraiment un effort mental pour moi, surtout lorsqu’il ne se passe rien pendant certaines séances et que je ne change qu’une virgule. Il ne faut pas avoir peur de l’échec quand on écrit ! C’est ça qui est bien aussi, car on a une liberté que l’on n’a plus après. On peut écrire les calembours les plus foireux, personne ne les voit. Ce n’est pas un exercice facile pour moi, mais je l’aime bien quand même, car c’est une période où je suis en face de moi. J’aime farfouiller dans mes entrailles pour voir ce qui sort. 

“Farfouiller dans mes entrailles”… Vous parlez de la comédie comme d’une thérapie ?

Je pense qu’il y a de ça, car on analyse tout le bourbier. On a cette chance d’aller explorer son intérieur, ce qui fait du bien. Je pense qu’on va mieux que la plupart des gens. En tout cas, pour ma part, je vais mieux que si je ne faisais pas ce métier. 

Elisabeth Buffet. ©Lambert Davis

Comment se passe la phase test pour le spectacle ? L’avez-vous testé dans de plus petites salles ou dans des comedy club ? 

Je ne teste pas vraiment mon spectacle avant sa première. J’ai un metteur en scène en qui j’ai une totale confiance et qui a un œil acéré sur l’écriture. Généralement, je lui envoie une V1, et on fait une navette. Puis, quand on estime que l’on a une base solide, on répète l’entièreté du spectacle. Ensuite, je le joue dans des petites salles, mais je ne fais pas des extraits dans des comedy club, car c’est plus compliqué, il faut choisir le bon extrait.

« Sur scène, c’est moi, mais de façon caricaturale. »

Élisabeth Buffet

Je faisais ça au début de ma carrière, mais plus maintenant. Non pas que je sois sûre de moi, mais je me fie à mon entourage, à mon instinct, et surtout à mon expérience de la scène et de l’écriture. 

Comment pourrait-on définir votre univers humoristique ? 

Ce qui revient souvent, c’est la bourgeoise trash. C’est ce dosage entre les restes d’une éducation versaillaise, un vernis élégant, un vocabulaire assez large et recherché, aussi bien dans l’argot et dans la littérature, et puis le côté potache. C’est ce double sens qui fonctionne, et plus je prends de l’âge, plus ça marche ! C’est une légitimité.

« Ceux qui ont réussi à se démarquer dans le stand-up sont ceux qui interprètent. C’est une dimension qui est absolument nécessaire. »

Élisabeth Buffet

Finalement, une dame mûre qui dit des choses horribles, ça passe mieux qu’une jeune femme ou qu’un jeune homme [rires]. Sur scène, c’est moi, mais de façon caricaturale. C’est quand même proche de moi, mais je suis plus pondérée dans la vie. Il y a, avant tout, cette envie de faire rire et d’offrir un divertissement par-dessus tout, donc il faut toujours pousser tous les curseurs assez loin, selon moi.

Quand on voit Mes histoires de cœur, on ne peut s’empêcher de voir une forme théâtrale grâce à tous ces personnages. C’était une volonté de votre part ?  

Oui, car on part d’une situation. Chaque sketch est construit comme un petit conte, le but étant de les interpréter. Souvent, ce qui différencie le stand-up du théâtre – et malheureusement ça ne bénéficie pas aux stand-uppeurs –, c’est que les humoristes n’interprètent pas. Ceux qui ont réussi à se démarquer dans le stand-up sont ceux qui interprètent. C’est une dimension qui est absolument nécessaire. J’essaye d’incarner tous mes personnages. Quand je fais un dialogue sur scène, j’imagine la personne en face de moi. Parfois, je vois vaguement sa tête, comme ça le public voit aussi le personnage à travers mes yeux, ça contribue au partage. 

Elisabeth Buffet.©Lambert Davis

Avec votre spectacle, on a le sentiment de revenir à la tradition du stand-up selon laquelle il est important d’incarner des personnages. Il y a une grammaire qui est incarnée.

La notion du sketch, c’est en principe une situation ; un début, une évolution et une chute. Aujourd’hui, on est souvent dans du stand-up sans fil rouge, durant lequel on lance des vannes. L’ossature traditionnelle manque de nos jours, car j’aime que l’on me raconte des choses. Par exemple, je peux citer Sellig qui sait nous raconter ses péripéties. Il nous emmène avec ses enfants à la montagne, avec sa femme au restaurant… J’aime bien cela, car je le vois. Je peux me mettre dans sa peau, et ressentir ses émotions. 

Quelle vision avez-vous de la scène humoristique en France aujourd’hui ? 

Elle se démultiplie à l’infini, comme dans tous les domaines culturels, notamment grâce aux réseaux sociaux. C’est très bien, car ça donne l’accès à la scène à plus de gens. Malheureusement, il y a aussi un côté communautaire qui s’instaure, car ces nouveaux talents sortent des réseaux, remplissent des Zéniths, mais ils mènent leur carrière et leur vie d’artiste chacun en parallèle.

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Ceux qui rassemblent un large public, c’est ceux qui travaillent le jeu, l’écriture et le propos, des gens comme Fary, qui est issu du stand-up, qui a un succès mérité ; je pense aussi à Blanche Gardin ; à Panayotis Pascot, qui est extraordinaire. Il y a aussi plus de gens qui sillonnent la France et une éclosion de comedy club. 

Quelles sont vos références et vos inspirations comiques ? 

J’ai été fortement marquée par Muriel Robin qui a amené l’humour féminin à quelque chose de drôle, car avant, l’humour féminin avait une mauvaise presse et c’était mérité, car ce n’était pas terrible. Les femmes n’osaient pas aller sur des terrains raides. C’était compliqué. Puis, Muriel Robin est arrivée avec cette énergie, et ses ruptures. J’ai pris une claque. Ensuite, dans la même lignée, ça a été Florence Foresti. Elle commençait à parler de nanas bourrées, de sexe… Je me suis dit que la voie se débroussaillait, et que je pouvais y aller.

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Comment avez-vous décidé que vous vouliez devenir humoriste ? 

Depuis toute petite, je rêvais d’être artiste. À la base, j’étais intéressée par la danse, mais je viens d’une famille où il était mal vu d’être “saltimbanque”, donc j’ai écouté fort longtemps l’injonction parentale. Au bout d’un moment, ça a recommencé à me démanger. J’avais suivi des cours de théâtre et j’ai attendu longtemps avant de me produire seule sur scène, car j’avais peur de cette solitude. L’approche de la quarantaine m’a décidée, et je me suis dit que je ne devais pas passer à côté de “ma vraie vie”, si elle était là. Je ne regrette pas mon choix aujourd’hui. Ça a été un processus très long. 

Vous parliez des femmes en comédie et de vos premiers pas, comment ça s’est passé pour vous au début de votre carrière en tant que femme humoriste ?

De mon point de vue, ça a été un avantage d’être une femme humoriste, car on était peu nombreuses. Du coup, quand ils avaient besoin de faire des plateaux avec des femmes, ils nous appelaient. Il y a eu une espèce de discrimination positive qui a fait que l’on était prises, certes par dépit, mais on était prises. Ça a joué en ma faveur, je trouve. J’arrivais avec mes textes, j’étais celle qui parlait de sexe, ils le savaient, mais j’avais une grande liberté. 

Comment percevez-vous l’utilisation des réseaux sociaux aujourd’hui dans la comédie ? 

C’est un outil indispensable, il ne faut pas faire l’impasse dessus. J’ai eu du mal à m’y mettre, parce que ce ne sont pas des outils que j’apprécie, mais j’ai trouvé comment trouver du plaisir avec. Effectivement, c’est un outil incroyable, car c’est ça qui me remplit des salles. Ça a aussi rajeuni mon public, et ça c’est super. Ce sont des gens qui viennent souvent pour la première fois au spectacle vivant, c’est génial. Les réseaux sociaux, c’est aussi un autre format, une autre écriture, des personnages un peu différents, bien que je me serve tout de même de certaines choses qui ont fini dans le spectacle. En tout cas, cet exercice des réseaux sociaux m’oblige à écrire plus régulièrement, et ça fait du matériel en plus, tout en restant cohérent avec le spectacle. 

Comment vous sentez-vous avant d’entrer sur scène ? 

J’ai décidé de bannir la peur, car elle était vraiment paralysante et destructrice, elle m’empêchait de bien jouer, de bien profiter, et de partager. Ça été un long travail. Maintenant, je n’ai plus peur, car je me dis qu’au pire si je me vautre, ce n’est pas grave. J’essaye de ne pas accorder plus d’importance que ce que ça en a.

« La scène, c’est un moment suspendu, c’est très salutaire. »

Elisabeth Buffet

Maintenant, ce n’est que du plaisir, je suis extrêmement détendue avant d’entrer sur scène. Évidemment, j’ai une excitation, avec l’adrénaline, les premiers rires, les réactions pour être en phase avec le public. La scène, c’est le seul endroit où je suis bien, rien d’autre n’existe. C’est un moment suspendu et c’est très salutaire. À force de tout rater, je me suis dit que si je continuais comme ça, j’allais toujours rater. C’est mon inconscient qui veut que ça rate, alors que je voulais que ça marche. Maintenant, je suis libérée. Les gens le sentent grâce à je ne sais quel miracle. Ça a été une bataille contre moi-même.

Quand la peur vous a-t-elle vraiment quitté ? 

Avec Histoires de cœur je dirais. Je n’ai pas eu peur pendant la première de ce spectacle. Je me souviens la première du précédent spectacle, Obsolescence programmée (2019). Je l’avais complètement ratée. Je suis sortie verdâtre. C’était pas mal, mais je voyais bien que je n’étais pas au maximum de mes capacités. Pendant 1h15, c’était comme si on me frappait et je me souviens m’être dit : “Maintenant, stop, il faut arrêter avec la peur.” 

Pour en revenir à la thématique du spectacle, et puisque l’on parlait de processus créatif solitaire, peut-on voir dans Histoires de cœur un stand-up sur la solitude ? 

Oui, c’est ça ! C’est une solitude bien vécue et remplie. Je ne ressens pas la solitude, car il y a des spectateurs. Je reçois beaucoup d’amour, donc je ne me sens absolument pas seule. J’apprécie la solitude et il n’y a que lorsque je suis seule ou sur scène que je suis vraiment moi. Sans doute que c’est aussi un spectacle sur la force du célibat et de la solitude. Certaines femmes m’ont félicitée et m’ont dit qu’elles avaient aimé que je donne cet exemple de vie, car on n’ose pas trop encore le dire ou le montrer, mais du moment que c’est bien vécu et choisi, tous les schémas sont les bienvenus. 

Le spectacle déconstruit aussi l’image des femmes et les clichés autour de la cinquantaine. 

Oui, et puis ce qui fait rire, après tout, c’est l’échec, c’est quelqu’un qui glisse sur une peau de banane. La gêne et la souffrance font rigoler, mais je pense que ce qui séduit le public, c’est la liberté et l’incarnation de la liberté, avec ce que ça implique, c’est-à-dire la solitude et des situations embarrassantes. Mais on finit par en rire, c’est la vie. Il y a un côté simple et du bon sens à l’ancienne. 

Vous avez aussi votre manière d’aborder la sexualité et l’amour. Pourtant, ce sont aussi des thématiques universelles dans le stand-up. 

Oui, ces thématiques sont assez universelles et intemporelles. Par exemple, j’ai déjà eu trois générations de femmes qui sont venues me voir à la sortie et elles avaient ressenti toutes les trois la même chose, certes à différentes échelles et contextes, mais les sentiments étaient les mêmes. Le sexe et l’amour, ce sont les plus grands mystères de la vie. C’est finalement dans ces domaines-là que l’on se prend le plus de râteaux dans la vie. Il y a des enjeux, et c’est tout ce qui fait notre humanité. 

Affiche du spectacle d’Elisabeth Buffet, Mes histoires de cœur. ©Lambert Davis

Comment appréhendez-vous la tournée ? 

J’aime bien prendre mon petit baluchon et parcourir la France. J’aime aller dans les hôtels et manger toute seule dans ma chambre. Ce n’est pas très glamour, mais rencontrer des gens différents, aller voir des salles différentes, j’aime beaucoup cela.

Auriez-vous une recommandation humoristique à nous faire ? 

Le dernier spectacle que j’ai vu, c’est le spectacle de Panayotis Pascot. Je l’ai trouvé extraordinaire, ça joue, c’est super bien écrit et c’est moderne. C’est un ovni. J’ai trouvé son stand-up fantastique et étonnant de maturité pour quelqu’un de son âge. Il a une façon de décortiquer l’âme humaine, c’est un regard très perçant. 

Mes histoires de cœur, d’Élisabeth Buffet, au Grand Point Virgule, à Paris, jusqu’au 3 mai 2023 et en tournée dans toute la France à partir du 14 avril 2023.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste