Game of Thrones, The Handmaid’s Tale, Lupin, La Chronique des Bridgerton… On ne compte plus les séries tirées de romans à succès. Les auteurs voient généralement avec bonheur leur œuvre renaître dans un nouveau format, mais ils sont de plus en plus nombreux à vouloir s’impliquer dans l’écriture, comme consultants ou scénaristes. Alors, jamais mieux servi que par soi-même ? Écrivains et experts de l’industrie décryptent cet exercice d’équilibriste qu’est l’adaptation audiovisuelle.
En mai 2019, Virginie Despentes ne retient pas ses coups contre l’adaptation en série de sa trilogie Vernon Subutex, sur Canal+ : « Ils n’avaient aucune idée de rien, la seule chose à laquelle ils tenaient, c’était que Vernon doive plus de deux ans de loyer, tacle-t-elle dans le magazine Society. Et tu leur dis : “Mais pourquoi est-ce que vous voulez qu’il doive deux ans de loyer ? C’est très rare de rester deux ans sans se faire expulser, dans un logement en plein Paris !” »
La romancière, très remontée contre la réalisatrice Cathy Verney, faisait pourtant partie du projet à son lancement. Mais, au bout de trois mois, lasse de ne pas se sentir écoutée, l’autrice de King Kong Théorie a préféré renoncer… Se satisfaisant tout de même de la « douche de thunes » reçue à cette occasion.
Comme Virginie Despentes avant qu’elle ne claque la porte, les écrivains sont aujourd’hui fréquemment associés au processus d’adaptation en série, une fois que les droits de leur livre ont été cédés à un producteur. À divers degrés, d’ailleurs : en plus de s’autoriser un caméo dans le pilote de The Handmaid’s Tale, adapté de son roman dystopique éponyme, Margaret Atwood est créditée comme consultante du show de Hulu jusqu’en 2018, puis comme coproductrice à partir de 2021.
Le « papa » de Game of Thrones, George R. R. Martin, frustré par la fin de la série culte de HBO sur laquelle il n’avait pas la main, a souhaité être beaucoup plus investi dans le scénario du spin-off, House of the Dragon. La logique est la même de notre côté de l’Atlantique.
En 2018, le prix Goncourt Nicolas Mathieu signait le scénario du feuilleton de France 3, Aux animaux la guerre, dérivé de son premier roman, aux côtés du réalisateur Alain Tasma. Jean-Christophe Grangé a écrit une bonne partie des épisodes des Rivières pourpres, dont la saison 4 a été diffusée à l’automne 2022 sur France 2.
Quant à Sabri Louatah, auteur d’une saga politique en quatre tomes, Les Sauvages, parue entre 2012 et 2016 chez Flammarion, il a cocréé avec la réalisatrice Rebecca Zlotowski la série qui a vu le jour en 2019 sur Canal +.
Dans une interview donnée au CNC au moment de sa sortie, le trentenaire s’est confié sur le processus de création : « J’ai toujours rêvé d’écrire une série… Je suis d’une génération qui a eu 20 ans au moment de l’âge d’or des séries américaines : Les Soprano, Mad Men, Lost… C’était à la télé qu’on trouvait les grands romans pour nous former, nous apprendre ce que c’était que la société, l’ambition, l’amour, la nature humaine. Il n’a jamais été question de procéder autrement que de faire l’adaptation moi-même. »
Des auteurs demandeurs
« Il y a une montée en puissance du rôle de l’auteur dans l’adaptation », confirme Alexandra Buchman, directrice des droits audiovisuels du groupe Editis (Robert Laffont, Le Cherche-Midi, Plon, etc.). D’un côté, les sociétés de production sollicitent davantage le regard de celui ou celle qui a imaginé l’univers fort et les personnages attachants qu’elles veulent adapter.
De l’autre, « les écrivains sont demandeurs et plus sensibilisés qu’avant à l’écriture scénaristique ». En 2020, en plein confinement, Alexandra Buchman a mis sur pied un cycle de masterclass en streaming pour les plumes d’Editis, baptisé « Derrière l’écran ». Ces rencontres avec des scénaristes, producteurs et réalisateurs sur les coulisses de leur métier ont été plébiscitées.
Parmi les auteurs du groupe, Michel Bussi, dont trois romans ont déjà été transposés en série pour TF1, France 2 et M6, est actuellement associé à plusieurs de ses adaptations. « Pour certaines, il participe directement au scénario. Pour d’autres, son travail se fait au niveau de la bible littéraire », ce document qui résume les éléments essentiels d’une série (concept, personnages, enjeux, arc narratif…), précise la directrice des droits. Les auteurs de best-sellers, dont on ne compte qu’une poignée, ne sont pas les seuls à être attirés par l’audiovisuel, et plus précisément par le format star du moment, la série.
François Nacfer, responsable des formations à la Société des gens de lettres (SGDL), une association de défense des intérêts des écrivains, a vu affluer les demandes pour le module « Du livre au film, une adaptation réussie », créé il y a deux ans. « C’est une formation qui attire. Et, très clairement, les auteurs de romans veulent être impliqués dans la deuxième vie de leur ouvrage », note-t-il.
La situation économique des écrivains étant majoritairement précaire, la motivation est parfois financière. Car une adaptation, « c’est souvent le jackpot pour l’auteur et l’éditeur », rémunérés proportionnellement aux recettes générées par l’œuvre.
« Certains romanciers s’inscrivent parce qu’une cession est en cours et qu’ils veulent y prendre part. D’autres parce qu’ils estiment que leur livre n’a pas rencontré tout son public, ou qu’ils n’ont pas fait le tour d’un thème, d’un univers », ajoute François Nacfer.
Accepter un autre regard
Gwendoline Raisson fait partie de ces derniers. Cette ancienne journaliste a publié près de 80 livres, de l’album illustré pour enfants aux romans ados et adultes, mais elle a aussi écrit des pièces de théâtre et un scénario pour un projet d’animation.
« Je suis habituée à sauter d’un format à un autre, et à transposer un album en pièce de théâtre, ou un roman en bande dessinée, résume-t-elle. La maternité est une thématique qui m’occupe pas mal l’esprit, que j’ai abordée notamment dans la BD Les Mères anonymes, avec Magali Le Huche, et j’avais encore des choses à en dire. »
C’est d’abord en visant un long-métrage qu’elle s’est inscrite à la formation « Initiation à l’adaptation de romans », dispensée par la Fémis depuis une dizaine d’années. Sa bible en main, l’autrice démarche des producteurs, trouve une équipe intéressée, et, au fil des discussions, le projet évolue vers une série d’animation en 30×3 minutes, qui sera diffusée sur Arte en septembre prochain.
« La BD était déjà chorale, cela s’y prêtait. Et tout le travail réalisé à la Fémis m’a permis de mettre les mains dedans, de réfléchir aux lignes directrices. On redécouvre totalement son œuvre et des personnages que l’on pensait connaître par cœur ! », s’exclame-t-elle.
Mais est-ce si facile pour un auteur, qui a parfois porté pendant plusieurs années un roman, une BD, de faire entrer producteurs et réalisateurs dans le processus de création ? À la Fémis, « l’un des principes de bases de la formation, c’est justement de leur apprendre à accepter d’autres regards », décrit la cheffe de projet Carine Burstein.
Chaque participant est tenu de lire les projets des autres et de faire des retours, des scénaristes se penchent sur les écrits en cours, et le stage comprend aussi des échanges avec des professionnels du secteur.
C’est que l’exercice de l’adaptation n’est pas exempt de pièges – ce n’est pas Cathy Verney qui dira le contraire. « Adapter, c’est trahir. Donc c’est compliqué. En France, on considère encore qu’un auteur littéraire ne doit pas travailler sur sa propre adaptation, et certains producteurs peuvent être réticents », précise la responsable de formation.
Sabri Louatah a failli abandonner en cours de route l’adaptation de ses Sauvages : « Adapter un roman, ça a des bons côtés. L’histoire et les personnages ont une qualité organique, ils ont déjà vécu sur le papier, mais ce n’est pas forcément un gain de temps, surtout quand il s’agit d’aborder – comme dans Les Sauvages – des questions d’une actualité littéralement brûlante. J’écrivais le tome 4 quand ont eu lieu les horribles attentats de 2015, et, à ce moment-là, on a failli tout arrêter », raconte-t-il au CNC.
Pour Gwendoline Raisson, le travail main dans la main avec l’équipe de sa série pour Arte s’est bien déroulé, mais cette touche-à-tout ne sait pas encore si elle s’impliquera autant dans de prochains projets d’adaptation.
« C’est tellement de boulot ! La personne qui adapte fait un vrai travail d’auteur, elle s’approprie le livre d’origine pour en faire une nouvelle œuvre, témoigne-t-elle. Selon le type de projet qu’on me présente, je pourrais tout aussi bien dire “allez-y” ! » En attendant, pas question de laisser à d’autres ses Mères anonymes, auxquelles elle cherche désormais un destin sur grand écran.