D’abord lancée en ligne avant de connaître une publication en volume relié, l’adaptation en manga d’Elden Ring ose transposer son univers sinistre dans une pure comédie fantastique. Comment expliquer un tel parti pris ? Notre avis sur ce titre étonnant destiné à ceux qui ont déjà longuement souffert dans l’Entre-Terre.
Comme pour toute adaptation dérivée d’une franchise de renom, les questions se bousculent avant même l’ouverture du manga inspiré du jeu Elden Ring. Car le soft réalisé par Hidetaka Miyazaki et les équipes de FromSoftware, avec la participation de l’auteur George R. R. Martin (Le Trône de fer) n’est pas seulement l’un des phénomènes les plus importants du jeu vidéo.
Elden Ring a décroché le titre suprême de « jeu de l’année » (Game of the Year) aux Game Awards 2022. Mieux encore, à l’approche de son premier anniversaire, il dépasse déjà les 20 millions de copies vendues à travers le monde. Une performance hallucinante pour un jeu hors normes, capable d’attirer à lui un éventail de joueurs considérable alors même qu’il est connu pour être l’un des titres les plus exigeants et punitifs de ces dernières années.
Qu’importe ! Le phénomène est tel que tout le monde a envie de s’y essayer pour comprendre en quoi cet Elden Ring dont on parle tant est à ce point remarquable. On ne saurait d’ailleurs même pas par où commencer pour évoquer ses points forts, tant il épate à tous les niveaux : sa direction artistique époustouflante ? Son monde ouvert aux proportions gigantesques ? Son challenge redoutable, mais gratifiant, qui pousse à se surpasser ?
Considéré initialement comme un jeu de niche, il a démontré qu’il avait en lui tous les arguments pour impressionner quiconque osait pénétrer dans l’Entre-Terre. Et même ceux qui ont échoué à en voir le bout ne lui en tiennent pas rigueur, tant y jouer quelques heures suffit déjà à laisser des souvenirs indélébiles.
Elden Ring revisité dans un manga humoristique
Il y a donc plus qu’une œuvre culte derrière le nom d’Elden Ring et l’idée même d’une transposition de son univers en manga avait de quoi faire trembler les fans. C’est sans doute pour cela que son auteur, Nikiichi Tobita (à qui l’on doit aussi les séries Monster X Monster et Shinobi Gataki) a décidé de prendre tout le monde de court en proposant une adaptation à la tonalité bien différente.
Au lieu de transposer plus ou moins fidèlement l’expérience vécue par les joueurs sous la forme d’un récit d’action ou de fantasy, l’auteur a carrément opté pour un manga humoristique. Une comédie fantastique qui ne se prend absolument pas au sérieux, là où le jeu misait justement sur un univers sombre et cauchemardesque.
Honnêtement, il vaut mieux avoir cela à l’esprit avant d’entamer la lecture du manga Elden Ring : le chemin vers l’Arbre-Monde, car ceux qui s’y aventureraient avec pour seul désir de prolonger l’expérience dans un autre format n’y trouveront probablement pas ce qu’ils sont venus y chercher. Pourtant, l’idée de retrouver tous les codes du jeu vidéo dans un manga truffé de références à l’Entre-Terre n’est-elle finalement pas plus alléchante ? Examinons tout cela d’un peu plus près.
Le long chemin vers l’Arbre-Monde
Commençons déjà par rappeler que cette adaptation très libre proposée en France par les éditions Mana Books a d’abord connu un lancement en version numérique (simultrad) avant d’être proposée en version papier. Le tome 1 reprend l’intégralité des neuf premiers chapitres, avec quelques pages couleur en bonus qui illustrent bien le registre de comédie fantastique adopté par ce manga.
C’est d’ailleurs cette introduction colorisée qui se charge de planter le décor pour resituer le contexte propre à l’univers d’Elden Ring, y compris pour ceux qui se lanceraient dans le manga sans rien connaître du jeu vidéo.
Y sont brièvement évoqués l’assassinat de Godwyn le Doré durant la Nuit des Couteaux Noirs et la guerre insensée déclenchée par les descendants de la reine Marika, un conflit brutal à l’échelle de demi-dieux revendiquant la possession des éclats du Cercle d’Elden connus sous le nom de Grandes Runes.
Soyons clairs, tout ceci est évoqué si rapidement qu’un lecteur totalement néophyte entamera sa lecture avec davantage de questions que de réponses concernant les légendes fondatrices de l’Entre-Terre. Le manga s’apprécie autrement plus lorsqu’on connaît déjà les fondamentaux du jeu vidéo, condition sine qua non pour relever les incessants clins d’œil à l’œuvre originale. D’entrée de jeu, le manga annonce la couleur en s’adressant presque exclusivement aux joueurs qui ont écumé les vastes contrées de ce monde ouvert par le biais du titre de FromSoftware.
Pour autant, il n’est pas impossible de se délecter de cette plongée insolite dans le monde d’Elden Ring par simple curiosité ou pour la fascination qu’exerce son univers, voire pour se familiariser avec sa logique avant de se lancer dans le jeu… en gardant tout de même à l’esprit que la tonalité humoristique du manga n’a rien de comparable avec le caractère très sombre de l’œuvre originale. Mais n’est-ce pas précisément en cela que cette adaptation étonnante peut justifier sa légitimité, dans le sens où elle apporte quelque chose en plus à un titre que tant de fans connaissent déjà sur le bout des doigts ?
Le plus pitoyable de tous les “Sans-éclat” ?
Combien de fois s’est-on senti ridiculement vulnérable dans le monde si punitif du jeu ? Avant que les plus persévérants d’entre nous ne parviennent à surmonter ses épreuves d’une sévérité parfois décourageante, de longues heures auront été nécessaires rien que pour commencer à trouver ses repères. Bien qu’elle ne soit pas la plus impitoyable des créations signées FromSoftware, Elden Ring n’en reste pas moins cruel dans sa logique visant à nous forcer à tirer la leçon de nos échecs pour progresser, quitte à souffrir de très nombreuses morts.
Les habitués des Dark Souls-like sont peut-être en terrain connu, mais les autres gardent sûrement en mémoire une souffrance certaine à l’évocation de ce titre truffé de confrontations épiques avec des boss de taille déraisonnable… Sachant que leur design suffit déjà à nous glacer le sang. Le manga s’amuse justement de cet aspect-là pour nous rappeler notre insignifiance absolue dans un monde qui n’a que faire de notre minuscule présence.
Le héros n’est d’ailleurs qu’un simple Sans-éclat rebaptisé vulgairement « Sans-nom » là où tant de figures mémorables ont déjà inscrit leur légende dans le marbre. Pat l’Affranchi, Blaidd le Semi-Loup, Margit le Déchu, Godrick le Greffé ou encore Ranni la Sorcière ne sont que quelques-uns de ces individus téléportés dans les pages du manga pour nous présenter une autre facette de leur histoire.
Débarquant à moitié nu dans un environnement plus qu’hostile où les chances de survie se limitent parfois à quelques minutes, notre jeune Sans-éclat amnésique va pourtant se voir missionné par Mélina pour tenter d’atteindre l’Arbre-Monde. C’est d’ailleurs à l’animal Torrent (la monture de notre avatar dans le jeu) que la jeune fille spectrale choisira de s’adresser pour s’assurer qu’il n’y a pas erreur sur la personne.
Et la réponse de la créature vaut son pesant de cacahuètes… Mais l’habit ne fait pas le moine et notre protagoniste peu vaillant partira bel et bien arpenter l’Entre-Terre pour tenter d’accomplir sa noble destinée. C’est du moins ce que l’on souhaite croire. Car, du royaume de Nécrolimbe au château de Voilorage, ses aventures loufoques ne font en réalité que commencer à l’issue de ce premier volume.
Non content de briser allègrement le quatrième mur en s’adressant directement au lecteur via des références très précises au jeu vidéo, le manga Elden Ring donne surtout envie de savoir comment tout cela va se terminer. Est-ce que le fait d’avoir réparti tous les points de ce protagoniste navrant dans la statistique « intelligence » suffira à en faire un héros digne de ce nom ? Les prochains tomes devraient nous apporter des éléments de réponse.
Elden Ring – Tome 01, de Nikiichi Tobita, Mana Books, 184 p., 7,95 €. En librairie le 2 mars 2023.