Ce vendredi 2 février, Jim Bauer, sort son premier album intitulé BB18. Il y a quelques mois, à l’occasion de l’enregistrement de cet opus, l’artiste avait reçu L’Éclaireur en studio afin de revenir sur son parcours, son début de carrière, ses références musicales, et sa nouvelle création. Entretien.
Bien loin de Paris, niché entre forêts et plaines tourangelles, la route est longue pour trouver ce fabuleux manoir, doté d’un gigantesque studio d’enregistrement fantasque. Formidable cocon de création, La Briche est un lieu unique, perdu au milieu de rien, mais où, artistiquement, tout se passe. Nous sommes allés à la rencontre de Jim Bauer, finaliste de The Voice 2021, à l’occasion de l’enregistrement de son tout premier album au cœur de cette grange pas comme les autres.
Vous étiez finaliste de The Voice en 2021. Sans avoir gagné, vous étiez la révélation de cette saison. À quoi a ressemblé l’après ?
Après The Voice, je suis parti en tournée, on sortait de semaines de confinement et d’isolement très strict dû pour le tournage de l’émission. On ne s’était pas rendu compte de ce qu’il se passait à l’extérieur et de l’engouement quand il ne reste que quatre finalistes, puis deux super-finalistes sur lesquels les projecteurs sont braqués. Ça amène une toute nouvelle notoriété, le compte Instagram qui explose, on est reconnu dans la rue… Ce qui était génial pendant la tournée, c’était de rencontrer le public et de voir un peu l’impact que l’émission a eu dans nos vies, dans le réel. Ça devenait enfin concret et non juste une émission télé dans laquelle tu ne sais pas vraiment dans quelle mesure tout ça est vrai ou pas.
Comment en êtes-vous arrivé à la musique et au Jim Bauer d’aujourd’hui ?
À la base, je ne voulais pas être musicien, je voulais être dessinateur ou travailler dans les jeux vidéos. Puis, j’ai commencé à m’intéresser à la musique électronique, parce que c’était proposé dans un cours de musique amateur de mon collège à La Grand-Combe. J’étais surtout amoureux de la fille du prof de musique et, pour être dans sa classe, il fallait que je sois inscrit à ce cours.
« J’ai passé 12 ans à m’éloigner de moi, dans cet album je me retrouve. »
Jim Bauer
Comme j’aimais ces logiciels de base très simples et que je commençais à être passionné, mon père [Axel Bauer, ndlr] m’a installé un logiciel de musiques plus généraliste qui s’appelle Digital Performer, puis Ableton. J’ai tout fait, sauf du rock, jusqu’à mes 15 ans : en commençant à 13 ans avec du rap et un peu d’électro – que j’ai réécouté adulte, et c’était pas si mal.
Votre approche de la musique n’a rien d’académique, pensez-vous que cela ait empêché un formatage ?
Il n’y avait aucune règle. J’expérimentais des choses. J’avais un morceau de 13 minutes de minimale, j’étais à l’antithèse totale de la musique pop. J’étais attiré par tous les styles de musique, même la rave. J’imaginais des titres d’une heure pour un seul DJset. C’était pensé pour être long, avec des montées, à destination de clubs très psychédéliques. C’est seulement à 15 ans que j’ai appris la guitare, parce qu’il y avait cette fille que j’aimais bien qui écoutait Nirvana, Sum 41, ou encore Marilyn Manson. Je me sentais con avec ma culture rap et électro quand je voulais lui parler, alors je me suis collé à la guitare. J’avais très peu d’amis à l’école, j’ai changé tous les ans de collège, j’ai toujours eu du mal à m’intégrer.
C’est seulement à 15 ans, au lycée, que j’ai commencé à me faire une bande de potes, des skaters, fans de rock, un peu cool, avec des groupes. Comme mon père est un brillant guitariste et ma mère [Nathalie Cardone, ndlr] une chanteuse, ça m’a aidé à vite apprendre le chant et la guitare, même si je l’ai fait seul. Au bout de trois mois à apprendre sur une vieille guitare de ma mère, mon père m’a offert ma première guitare acoustique, sur laquelle j’enregistre encore aujourd’hui. J’étais alors dans les groupes du lycée le chanteur, guitariste et le soliste… Au début, c’était plutôt des groupes punk-rock à la Sex Pistols, Nirvana, Clash, Ramones… On situait notre style dans les années 1970 à 1980 de ce courant.
Aujourd’hui, vous enregistrez votre premier album au Studio La Briche. Vous faites de la musique très différente, très éloignée de ce que vous faisiez il y a plus de 15 ans maintenant. Que s’est-il passé ?
Après le lycée, je suis monté à Paris et j’ai passé dix ans à faire mon trou dans le milieu, à me faire des contacts, à entrer dans mon premier groupe “professionnel”, Bristol, avec qui on faisait des tournées. Puis, j’ai bossé avec beaucoup de gens, je me suis adapté à l’industrie, à l’époque, aux labels, aux personnes avec qui je travaillais, sur des projets pop, rap, variété… J’ai aussi passé ce temps à chanter dans le métro et dans les rues de Montmartre. Dans la rue, on joue des chansons plus connues, plus mainstream. Sans m’en rendre compte, je me dirigeais vers quelque chose de plus actuel et de plus calculé. C’est comme ça que j’ai touché un peu tous les styles, eu beaucoup d’opportunités, mais ça m’a aussi perdu.
C’est dû à l’époque. Depuis 10 ans, on n’a que du rap. Je n’osais plus défendre la musique que j’aime le plus : le rock alternatif. J’aime énormément la synth wave, le hip-hop, mais je m’éloignais de ce que je préférais. Ça m’a formaté à penser que ce que j’aimais était ringard et qu’il fallait que je fasse ma place. J’ai un côté grunge-anarchiste, qui met les pieds dans le plat, et j’ai passé dix ans à apprendre à être l’inverse. C’est allé un peu trop loin.
Au début, on me disait trop radical, puis les copains avec qui on enregistre en ce moment, quelques années avant The Voice, m’ont dit l’inverse : “Affirme-toi, fais ce que tu veux.” Il m’a fallu du temps pour calibrer, ça a abouti à une mixtape qui comprenait tous les styles de musique que j’avais explorés. J’étais libre, aucun label pour me dire ce que je devais faire et comment. Toutefois, je ne me suis pas autorisé à le faire à 100 %, je voulais rassurer mon entourage pro, le public, les médias. Il y a plusieurs morceaux formatés, des exercices de style qui ne me ressemblent pas.
Cet album, stylistiquement, est l’aboutissement de ce cheminement vers l’affirmation de soi et l’affranchissement des contraintes ?
À force de réaliser des albums pour d’autres, de composer de la musique de films, de séries, de toucher à trop de styles, trop vite, j’étais au bord du “burnout musical”. Je ne savais plus qui j’étais. Alors, l’été dernier, j’ai terminé les derniers contrats qui traînaient et je suis parti voyager dans le Sahara, puis en Andalousie.
« Moi, je suis “le timide”, pas très testostéroné, je déteste la compétition. »
Jim Bauer
Une fois seul, affranchi des regards de Paris, je me suis rendu compte que j’étais toujours la même personne qu’à 18 ans. Qu’une fois qu’on m’enlève le travail, le regard des gens autour de moi, le milieu professionnel, The Voice… Je me retrouve avec ma guitare, à voyager, à réaliser des rêves de gosse, à rejouer des morceaux rock 1990’s mais aussi pop-folk. En fait, c’était ce que j’étais à 18 ans et que j’ai perdu en chemin. J’ai passé 12 ans à m’éloigner de moi, dans cet album je me retrouve. Ça reste un disque très polyvalent, moins dans l’air du temps, à mon image.
Quel est le propos des titres de cet album ?
L’ensemble du disque a été composé en voyage. J’étais seul, personne ne me connaissait, je me suis confronté à ma timidité et à la difficulté de recréer du lien. Les titres parlent beaucoup de ça. Je redevenais l’ado paralysé à l’idée de parler à un inconnu. Je me rendais compte, aussi, de la place que peuvent prendre les filles dans mes choix. Comme un ado, je suis capable de sacrifier toute une soirée juste pour espérer parler, même quelques instants, à une fille qui me plaît. Je suis toujours dans l’attente qu’elles fassent le premier pas, sinon je n’ose pas.
Finalement, beaucoup de mes textes traduisent cette façon dont j’appréhende les relations. J’ai été élevé par des artistes, dans un environnement où on ne m’a jamais interdit de jouer avec des “jouets de filles”, de porter du rose, d’exprimer mes émotions. À l’école, ce décalage ne pardonnait pas, je n’avais pas les codes de la “garçonnerie”, j’avais pas beaucoup d’amis. Moi, je suis “le timide”, pas très testostéroné, je déteste la compétition.
Par exemple, la chanson I Wish I Were You, c’est précisément ça. Je parlais depuis un moment à une personne sur Tinder. On décide de se donner rendez-vous pour un verre. Sans prévenir, elle ne s’est jamais pointée. À la table à côté, y avait deux gars super à l’aise, qui abordaient deux inconnues sur la terrasse, je pensais qu’ils les dérangeaient, mais en fait non, elles ont fini par s’asseoir avec eux. J’oserais jamais faire ça, je reste comme un con à me faire planter… Cette chanson exprime à la fois cette pudeur, mais également cette envie d’être un jour ce gars qui a au moins une anecdote de drague concrète. Être un mec, ce n’est pas être un gros “winner”. Loin de là, on est plutôt une majorité de “loosers”. L’album parle beaucoup de ça.
Nous sommes à la Briche, un studio-grange, isolé, quelque part entre Tours et Saumur, pourquoi un lieu si reculé ?
En fait, pour cet album j’ai voulu me reconnecter à mon époque groupes de “skate-rock”, quand je vivais à la campagne. L’idée c’est de me barrer avec mes potes, d’enregistrer loin de Paris et des personnes qui m’expliquent ce qu’est du “bon son” en me faisant culpabiliser de mettre de la guitare acoustique dans un album. Je veux pouvoir parler de sujets personnels, sans calculer, parler de mes faiblesses. Ici, il y a un côté sécurisant. C’est important d’avoir le sentiment de pouvoir se “foutre à poil”, sans se sentir vulnérable. Ici, loin de Paris, ça s’y prête.
Comment votre page blanche devient-elle une chanson ?
L’autre jour, pendant une session, Hugo, l’ingénieur du son de l’album, m’a dit : “Il faut commencer par le réel, puis apprendre à le quitter.” Dans mes chansons, je mélange un peu les récits, qui sont les miens ou ceux dont j’ai été témoin, mais que je transforme. C’est jamais “une chanson, une histoire” ; c’est plusieurs de mes histoires qui deviennent un scénario. C’est partir de soi, pour aller vers quelque chose qui n’est pas tout à fait vrai.
« Je reste persuadé que les artistes, pour toucher les gens, doivent parler un peu d’eux. Sinon, le propos de l’artiste devient un jugement. Il ne faut pas parler des autres : le travail de l’artiste, c’est d’apprendre à trouver en lui ce qui le connectent aux autres, puis à l’exprimer. »
Jim Bauer
Pour le morceau Princess of Sahara, un titre de 8 minutes, c’est le mélange de mon goût pour les musiques berbères, d’une composition d’un de mes groupes de rock d’ado, le rêve de dormir dans le désert et l’histoire de ma rencontre avec Lilia, une chanteuse tunisienne incroyable. J’ai transformé tout ça en une chanson qui parle d’un homme qui s’évade et rencontre une princesse dans le Sahara. Je n’ai pas rencontré Lilia dans le désert, c’était ma façon de partir du réel et de le quitter. Toutes mes chansons sont comme ça, ça m’évite de basculer dans un côté narcissique.
C’est un peu le rôle des artistes, de sublimer le réel…
L’idée, c’est de partir de soi pour aller vers l’autre. Le fait de ne pas raconter tout à fait la vraie histoire, mais de me servir de plusieurs autres, c’est une façon d’aller vers l’autre, de donner un message. Dans Princess of Sahara, on parle de contemplation d’une beauté qui est à la fois celle de la rencontre et celle du désert. Les deux se croisent.
Mes voyages façonnent des mythes, qui sont ce mélange de souvenirs. Je reste persuadé que les artistes, pour toucher les gens, doivent parler un peu d’eux. Sinon, le propos de l’artiste devient un jugement. Il ne faut pas parler des autres : le travail de l’artiste, c’est d’apprendre à trouver en lui ce qui le connecte aux autres, puis à l’exprimer. Faire de la musique devient plus facile, les logiciels, les outils permettent ce confort. En revanche, le travail de se livrer, de trouver en soi cette richesse, c’est le plus difficile à faire.