Pensé pour devenir le langage universel au sein de la maison connectée, le protocole Matter semble paré pour lever les principaux freins à l’adoption de la smart home. Va-t-il pour autant être un accélérateur du marché ?
Il est difficile de connaître le nombre exact d’objets connectés installés dans les foyers. Mais une chose est certaine : l’explosion prévue par de nombreux cabinets d’analyses depuis des années n’a pas eu lieu. Les études cherchant à identifier les freins à l’adoption massive de la connectivité sont nombreuses. Ce sont souvent les mêmes obstacles qui en ressortent : le prix, les craintes quant à la sécurité des données, l’idée que ça n’est peut-être pas si simple à utiliser ou encore des doutes quant à l’utilité…
Un protocole qui lève les principaux freins
Matter a justement été pensé autour de ces thèmes et semble avoir toutes les qualités pour lever les principales barrières qui font hésiter les consommateurs à s’équiper.
Pour rappel, il se veut plus sécurisé, promet de faciliter l’installation et l’utilisation des équipements, assurera à terme la compatibilité de tous les objets connectés de la maison et devrait même consommer moins d’énergie.
Un choix des équipements facilité
L’interopérabilité est l’une des principales avancées de Matter, si ce n’est la plus importante. Les consommateurs et consommatrices n’auront plus de questions à se poser concernant la marque, les objets connectés qu’ils possèdent déjà, l’application ou l’assistant vocal qu’ils utilisent ou encore l’environnement mobile. Tous les produits estampillés Matter pourront fonctionner ensemble. Cela constitue déjà un grand pas. « Le domaine de la domotique est extrêmement nébuleux pour les non-inités. Cette avancée va donner la possibilité à tous d’interconnecter l’ensemble de leurs équipements, sans se préoccuper de savoir s’ils appartiennent au monde de Google, d’Apple ou d’autres écosystèmes », remarque Philippe Gout, expert indépendant Mission ENR Data.
C’est sans doute la barrière qu’il sera le plus facile et le plus rapide à lever. Les utilisatrices et utilisateurs qui ne sont pas encore équipés n’auront pas à se questionner sur la manière dont ils souhaiteront éventuellement faire évoluer la connectivité dans leur logement. Qu’ils connectent leur chauffage, leurs éclairages, leurs volets roulants… Matter est l’assurance qu’ils pourront élargir leur écosystème et que tout fonctionnera.
Quant à celles et ceux qui sont déjà équipés, leurs réticences quant à la compatibilité de nouveaux équipements devraient également disparaître. C’est notamment l’avis de Christophe Bresson, directeur de la communication Signify : « Cela va donner une certaine confiance aux utilisateurs pour investir dans la maison connectée. On sait qu’en achetant un produit Matter ça va fonctionner. » Il précise que c’est aussi rassurant quant aux questions d’obsolescence technologique : en achetant un produit Matter aujourd’hui, on est sûr qu’il fonctionnera dans le futur au sein de tout un écosystème.
Installation et utilisation simplifiées
Malgré les efforts des fabricants pour rendre l’installation des équipements plus simple et les applications plus ergonomiques, la smart home demeure souvent perçue comme quelque chose de compliqué, plutôt réservé aux technophiles. Sur ce point, les consommateurs auront sans doute besoin d’un peu plus de temps pour être rassurés. Il faudra déjà attendre quelques années pour que Matter soit étendu à la majorité des équipements connectés de la maison. Et que le processus d’installation standardisé fasse ses preuves.
Plus de sécurité, mais surtout plus de confiance
Une partie du public exprime également des craintes quant à la sécurité des données et au risque de piratage. Lever cette crainte pourrait peut-être se révéler un peu plus compliqué. En effet, il y a les aspects techniques qui garantissent que Matter est plus sécurisé (IPV6, chiffrement de tous les échanges entre produits, certification numérique des appareils nécessaire pour qu’ils puissent intégrer le réseau…) et auxquels les utilisateurs les plus technophiles s’intéresseront probablement. Mais, pour la majeure partie, la question de la sécurité reposera sur la confiance. Celle accordée au discours des fabricants, mais aussi aux retours des autres utilisateurs – ce qui prendra un peu de temps après le déploiement du protocole.
En outre, resteront les craintes quant à la collecte des données qu’il sera difficile de faire totalement disparaître, les objets connectés devant quoi qu’il arrive en collecter un minimum pour fonctionner.
À lire aussi
Une démocratisation par le prix ?
Certains Français perçoivent aussi les équipements connectés comme des solutions onéreuses. Alors même que ces dernières années, les prix sont devenus bien plus accessibles, certains acteurs en ayant même fait une priorité (à l’instar d’Ikea ou Leroy Merlin, qui font d’ailleurs partie de la Connectivity Standards Alliance).
La conjoncture ne risque pas de favoriser l’adoption de ces équipements dans un futur proche. Reste à être patient pour observer comment évolue la situation économique dans les années à venir et comment évoluent en parallèle les tarifs des solutions connectées.
On peut en effet se demander si le déploiement de Matter pourrait avoir un impact sur les prix. Plusieurs fabricants nous ont assuré qu’à terme, le fait de devoir travailler sur un unique protocole facilitera le travail de développement. Assurer la compatibilité de leurs appareils avec plusieurs protocoles et plusieurs assistants vocaux était chronophage et coûteux. Ce que confirme Florence Delettre, directrice générale de l’association Promotelec : « Les fabricants ont différentes chaînes de production selon les types de produits, des quantités d’appareils avec des protocoles différents. Donc ça va simplifier les choses à plusieurs étapes : la fabrication, la commercialisation et la maintenance aussi. »
D’un autre côté, des passerelles seront peut-être nécessaires pour garantir la compatibilité de certains appareils d’ancienne génération avec l’écosystème Matter et elles auront forcément un coût, sur lequel nous ne nous avancerons pas à spéculer.
Un discours recentré sur les bénéfices d’usage
Reste la question de l’utilité ou tout simplement de l’intérêt du public pour les solutions connectées. Matter ne va pas d’un coup convaincre les réfractaires des bénéfices de la connectivité.
Toutefois, les fabricants et les distributeurs étant « débarrassés » des questions techniques liées aux protocoles, ils pourront concentrer leur discours sur les bénéfices d’usage et les services rendus. Car si certaines fonctionnalités connectées peuvent passer pour gadget ou apportant un confort dont on peut se dispenser, certaines applications sont très intéressantes, notamment en matière d’économies d’énergie, de maintien à domicile des séniors ou d’aide aux personnes en situation de handicap.
Or, tous les consommateurs n’ont pas connaissance des possibilités offertes par la connectivité. « Pour le grand public, je pense que le premier enjeu est encore un enjeu d’évangélisation. C’est-à-dire essayer de comprendre ce que la connectivité peut apporter », explique Laurent Glaser, directeur Stratégie et Prospective maison connectée chez Leroy Merlin. « Il y aura toujours une frange de passionnés, les “early adopters”. Mais si on veut embarquer une grande majorité, il faut que ce soit vraiment simple, que les protocoles ne soient plus un sujet et qu’il y ait plus de choix sur toutes les verticales d’usage de l’habitat. »
Les futurs acquéreurs n’auront peut-être aucune idée de ce qu’est Matter et peu importe ; ils auront seulement à se concentrer sur les fonctionnalités et services qu’ils attendent. Si le déploiement va nécessiter du temps et du travail pour les fabricants, du côté du consommateur, tout devrait être simplifié, comme l’explique Marc Westermann, directeur produits et services chez Somfy : « C’est compliqué à développer. Mais le processus d’appairage est simple. Le fait que tous les produits Matter soient interopérables est simple. Et ça va rester simple. C’est juste que, par rapport à la promesse d’universalité, il faut être un peu patient. »
Matter, futur booster du marché ?
Nous avons échangé avec de nombreux fabricants, qui tous se réjouissent du déploiement de Matter, même s’il faudra probablement attendre plusieurs années pour que le protocole soit bien installé et atteigne sa maturité. Du fait de ses caractéristiques, tous estiment qu’il sera un « facilitateur », éventuellement un « accélérateur », mais personne ne parie sur une explosion du marché.
S’appuyant sur l’étude de Promotelec/Sociovision 60 ans d’évolution du logement, Florence Delettre nous rappelle que certains consommateurs ne sont tout simplement pas intéressés. « Il faut qu’on arrête de fantasmer sur la maison connectée. Il y aura toujours des gens qui n’adhéreront pas pour des raisons financières, parce qu’ils n’en voient pas l’utilité, par manque d’intérêt… Les gens ne rêvent pas de la maison intelligente et hyper connectée. Ce n’est pas ce à quoi les Français aspirent. »
Néanmoins, elle insiste sur un point particulièrement important, trop rarement abordé selon elle. Équiper son logement d’appareils électriques – qu’ils soient connectés ou non, d’ailleurs – peut présenter des risques si l’installation électrique n’est pas « en sécurité ». Promotelec encourage les consommatrices et consommateurs à vérifier la sécurité électrique de leur logement : prises à la terre, pas de câbles dénudés, un appareil de coupure générale, un tableau électrique qui fonctionne bien…
Il faudra donc patienter quelques années avant que Matter soit déployé et encore quelques-unes de plus pour savoir si c’est un succès auprès du public. Ce qui dépendra peut-être, en partie, de la manière dont les acteurs du marché s’accordent à communiquer, notamment sur les bénéfices d’usage.
À lire aussi
