Décryptage

Manifest V3 arrive et menace les bloqueurs de publicité en ligne : ce que ça va changer pour vous

01 février 2023
Par Benjamin Logerot
Le changement de règles pour les extensions Chrome a entraîné une levée de boucliers de la part de nombreux développeurs.
Le changement de règles pour les extensions Chrome a entraîné une levée de boucliers de la part de nombreux développeurs. ©Google

Google prépare la transition des extensions pour navigateur Chromium vers son protocole Manifest V3. Un changement qui ne fait pas que des heureux et que critiquent les organisations de défense des internautes.

N’y allons pas par quatre chemins : le passage du Manifest V2 vers le Manifest V3 voulu par Google pourrait menacer à terme les bloqueurs de publicités sur ordinateurs. Sous couvert d’apporter une plus grande sécurisation des extensions pour les usagers, Google a décidé d’entrer dans les dernières étapes de la transition tant redoutée.

Un changement qui fait débat et qui pourrait donc modifier vos habitudes en ligne. Pour bien comprendre de quoi il retourne, voici un rapide tour d’horizon de cette affaire.

C’est quoi ce Manifest V3 ?

Cela fait plusieurs années que les développeurs entendent parler de ce fameux Manifest V3. Le grand public, lui, a pu le découvrir en 2021, mais encore plus l’été dernier, lorsque les plaintes à son encontre se sont multipliées.

Manifest V3 est une API, ou interface de programmation d’application, proposée par Google qui vise à remplacer sa version existante, la V2, sur les navigateurs Chromium. Google Chrome, mais aussi Microsoft Edge, Opera ou encore Brave seront concernés. Même Firefox, qui n’est pas développé sous Chromium, le sera, mais nous y reviendrons plus tard.

Ce Manifest V3, qui définit les droits des extensions, apporte de nouvelles contraintes de développement pour les extensions de navigateur afin de renforcer la sécurité et la confidentialité des utilisateurs et utilisatrices, selon Google. Parmi les changements apportés par le géant de la tech, le remplacement de Web Request par une toute nouvelle API appelée Declarative Net Request. C’est ce changement qui a provoqué la levée de bouclier de nombre de développeurs d’extensions.

web request
Le fonctionnement de Web Request est assez simple, mais apporte de ce fait des comportements malveillants, selon Google. ©Google

Web Request observe et analyse le trafic et peut alors bloquer, intercepter ou en modifier des éléments à la volée. Les bloqueurs de publicités y ont énormément recours et c’est de là qu’ils tirent leur efficacité : par cette liberté, cette souplesse d’utilisation et cette facilité à repérer les informations relatives aux publicités et à les bloquer avant qu’elles n’arrivent chez l’utilisateur. Mais c’est aussi ces points qui en font sa faiblesse, toujours d’après Google (les extensions malveillantes peuvent, elles aussi, observer le trafic et avoir une influence dessus), qui a donc décidé de changer d’API pour instaurer une passerelle moins permissive.

Declarative Net Request apporte donc un changement radical. Elle oblige désormais les développeurs à spécifier en amont des requêtes qui indiquent à l’extension comment elle doit se comporter en fonction du trafic. En d’autres termes, les extensions ne pourront plus observer librement et modifier à tout instant les requêtes. « Cela permet aux extensions de modifier les demandes du réseau sans les intercepter et sans en voir le contenu, ce qui assure une plus grande confidentialité », comme nous l’explique Google sur la page dédiée à l’API.

Les bloqueurs de publicités sont-ils en danger ?

Il est fréquent de voir arriver sur Internet un article prophétisant la mort des bloqueurs de publicité sur les navigateurs au moindre petit changement de Google. Si le géant ne verrait aucun inconvénient à faire disparaître ces outils (qui entravent son business), il s’agit en général de tempêtes dans un verre d’eau. Cette fois cependant, tout pourrait prendre une autre ampleur.

La puissante Electronic Frontier Foundation, qui milite pour un Web ouvert, s’est de nombreuses fois positionnée sur le sujet en condamnant les changements apportés par la firme de Mountain View. Pour l’association, ce nouveau Manifest ne viendra pas seulement blesser les éditeurs d’extensions, mais aussi directement les utilisateurs, ainsi que les efforts entrepris depuis des années pour la protection de la vie privée.

L’article de condamnation a été soutenu notamment par des universitaires et des développeurs d’extensions de protection des internautes. TrackMeNot, AdNauseam ou encore Ghostery, principal concurrent du célèbre Adblock Plus, se sont prononcés contre l’arrivée de ce nouveau Manifest.

ghostery
Présent sur la plupart des gros navigateurs, Ghostery est une des voix principales contre ce changement de Manifest. ©Ghostery

De son côté, Adblock se dit prêt à passer au Manifest V3 en prenant toutes les dispositions nécessaires. Comme beaucoup le soulignent, l’extension avait été épinglée dès 2015 pour avoir des liens financiers avec Google. L’entreprise dirigée par Sundar Pichai est accusée par les intéressés de conflit d’intérêt.

Officiellement, comme nous avons pu le dire plus haut, Manifest V3 a été conçu pour apporter plus de sécurité et de protection aux utilisateurs des extensions sur les navigateurs Chromium. Cependant, Google est une des plus grandes régies publicitaires du monde. Les revenus publicitaires du groupe Alphabet (maison mère de l’entreprise) s’élevaient en 2021 à 210 milliards de dollars. L’entreprise a donc besoin de ces rentrées d’argent et les bloqueurs de publicité n’aident pas. Simple tentative de récupérer le manque à gagner, donc ? Google s’en défend et assure même que les bloqueurs de publicités pourront toujours fonctionner, mais en utilisant des règles différentes.

Ce que cela peut changer pour vous

Si Google avait prévu en fin d’année dernière une feuille de route précise jusqu’à l’abandon de Manifest V2, l’entreprise a finalement revu ses plans et a décidé de tout décaler à des dates ultérieures suite aux retours des développeurs. Ainsi, la date de fin de Manifest V2, qui devait entrainer la suppression du magasin de toutes les extensions n’ayant pas opéré la transition, ne se fera plus en janvier 2024, mais plus tard.

feuille de route manifest v3
Sur son site, Google a modifié sa feuille de route pour l’instauration totale du Manifest V3. Un répit donné aux utilisateurs et aux développeurs pour peaufiner leurs extensions. ©Google

À vrai dire, il est encore assez difficile de se rendre bien compte, lorsqu’on n’est pas du côté technique de la force, du véritable choc que va opérer la transition vers Manifest V3 sur le grand public. Effectivement, les bloqueurs de publicités sembleront plus limités dans leur efficacité, mais de là à dire qu’ils disparaîtront complètement, cela paraît plus difficile. Et encore, nous ne parlons que des extensions sur Google Chrome ou les navigateurs Chromium. Mais, parmi ceux-ci, Brave ou Opera ont intégré directement dans leur code des fonctionnalités visant à protéger la vie privée de leurs utilisateurs. Ces lignes ne seront en aucun cas modifiées.

De son côté, Firefox se prépare et espère capitaliser un minimum sur cette affaire. Oui, le navigateur sécurisé utilisé par plus ou moins 5 % des utilisateurs dans le monde, va s’adapter et adopter le Manifest V3. Les raisons sont simples : cela permettra une interopérabilité des extensions bien plus simple entre les navigateurs. Cependant, dans un billet de blog posté l’année dernière, le navigateur annonçait que l’API Web Request serait toujours supportée.

Quand bien même les bloqueurs de publicités seraient réellement menacés sur Google Chrome, les utilisateurs et utilisatrices ne se retrouveraient pas sans alternatives. Vient ensuite le choix et la volonté de changer de navigateur au besoin et d’abandonner sa zone de confort en quittant le navigateur le plus utilisé au monde.

À lire aussi

Article rédigé par