[Rentrée littéraire 2023] Sixième roman d’Aurélien Bellanger, Le Vingtième Siècle prend la forme d’une enquête polyphonique et labyrinthique sur les traces du penseur allemand Walter Benjamin (1892-1940).
Depuis son entrée fracassante dans le monde des lettres en 2012 avec la publication de La Théorie de l’information (Gallimard), Aurélien Bellanger a publié quatre romans : L’Aménagement du territoire (Gallimard, 2014), Le Grand Paris (Gallimard, 2017), Le Continent de la douceur (Gallimard, 2019), Téléréalité (Gallimard, 2021). Et, reconnaissons-le d’emblée : non, son nouveau roman ne porte pas un titre trop ambitieux ; puisqu’il contient bel et bien le siècle dernier, dont il dresse non seulement le tableau, mais qu’il théorise aussi.
Dans Le Vingtième Siècle (Gallimard), trois spécialistes de Walter Benjamin – un critique de cinéma, une philosophe et un historien de l’architecture – se lancent dans une double enquête. Ils veulent à la fois comprendre les raisons du suicide du poète François Messigné, mystérieusement survenu en 2014 à l’issue d’une conférence sur le philosophe, et découvrir son dernier manuscrit caché.
Cette enquête s’ancre alors dans l’air du temps, puisque l’œuvre du théoricien ne cesse, à l’aube du XXIe siècle, de ressurgir et d’agiter les milieux universitaires et ceux de gauche. Un groupuscule au nom de l’intellectuel s’est même lancé dans une série d’actions militantes plus ou moins énigmatiques.
« Son œuvre constituerait, d’après les universitaires que nous avons consultés, le piège typique pour intellectuels : éclatée, fragmentaire, presque ésotérique, il est impossible de la comprendre vraiment, impossible par conséquent de la réfuter ; faire de Walter Benjamin un philosophe majeur serait en ce sens exagéré s’il ne s’était reformé à chaque génération autour de lui, de son vivant comme après sa mort et jusqu’à aujourd’hui, un groupe permanent d’adorateurs. »
Aurélien BellangerLe Vingtième Siècle
Si les rencontres et les rebondissements qui ponctuent l’enquête sont nombreux, l’auteur pulvérise néanmoins la forme romanesque en lui imposant un rythme fragmentaire – qui évoque bien sûr l’œuvre dispersée du philosophe allemand. Cette construction savante et parfaitement maîtrisée permet à Aurélien Bellanger de mettre à l’épreuve ses talents de pasticheur, alors qu’il se glisse dans la langue d’Adorno, de Scholem, de Gide, de Horkheimer, mais aussi de certains personnages fictionnels de l’histoire.
Au fil des documents qui composent le roman se dessinent ainsi à la fois l’histoire de Walter Benjamin et de sa pensée, mais aussi celle de son œuvre, de ses relations parfois difficiles avec l’École de Francfort, de ses relais intellectuels et militants.
Formidablement documenté – Aurélien Bellanger est philosophe de formation –, Le Vingtième Siècle renseigne, par les personnages contemporains des trois enquêteurs, sur ce que signifie de vivre selon la pensée de Walter Benjamin au XXIe siècle. Le roman témoigne aussi de la richesse de la vie intellectuelle du siècle dernier, au cœur d’une Europe des années 1930 qui sombre peu à peu dans le nazisme.
À la hauteur de son ambition, la forme du texte dévoile en réalité « un roman dans le roman dont on ne saurait plus lequel enveloppe, lequel dédouble l’autre ». Car Le Vingtième Siècle est à la fois l’intrigue policière de la recherche du manuscrit perdu de François Messigné et ce livre lui-même, habilement mis en abyme.
Le Vingtième Siècle, d’Aurélien Bellanger, Gallimard, 432 p., 23 €. En librairie depuis le 5 janvier 2023.
