Quitter le monde réel pour un monde de fantasy est un sujet qui fascine le manga depuis des décennies, au point d’en devenir un genre : l’isekai. Nombreuses sont les œuvres à embrasser cette thématique, qu’elles soient japonaises ou pas. Et, depuis quelques années, les mondes virtuels issus des jeux vidéo ont pris le pas sur les autres.
Au début des années 2010, il a suffi d’un seul titre pour bousculer toute l’industrie du manga : Sword Art Online (ou SAO pour les intimes). D’abord publiée sous forme de light novel (des séries de romans courts au style épuré), l’œuvre a ensuite été adaptée en anime, puis en manga, avant de connaître un succès mondial fulgurant. Pourtant, à première vue, cette série n’avait rien d’original. En effet, elle appartient à l’isekai, un genre de récit très populaire en light novels et en manga au Japon (Mär, Re : Zero, ou le manga français Dreamland). Sous-genre de la fantasy, il raconte l’histoire d’un personnage lambda transporté dans un monde parallèle, souvent un monde d’heroic fantasy.
Sword Art Online a une particularité : le monde dans lequel ses héros sont piégés n’est pas un univers parallèle, mais un jeu vidéo grandeur nature, un MMORPG dans lequel tous les joueurs sont bloqués tant qu’ils ne l’ont pas fini. Ce n’est pas le premier isekai à se situer dans un jeu, mais Sword Art Online est le titre le plus connu du genre et a engendré de nombreuses inspirations.
L’isekai en jeu vidéo, un fantasme de gameur
L’isekai est un genre très populaire dans la fantasy japonaise. Modifier sa forme pour le placer dans un jeu vidéo est une manière de le réinventer, le moderniser, voire de le rendre plus palpable. Quel fan de gaming n’a jamais rêvé de vivre dans le monde de son jeu préféré ? Entre la réalité virtuelle et les avancées technologiques de plus en plus importantes sur les capteurs sensoriels, cela pourrait probablement être le cas dans quelques décennies. Cela a, du moins, plus de chances d’arriver que d’être transporté dans un monde parallèle. C’est pourquoi cela excite beaucoup plus l’imagination des auteurs comme celle des lecteurs.
Qu’ils soient japonais ou pas, les mangas dont les héros évoluent dans un jeu vidéo sont très populaires. De nouveaux titres sortent chaque année et le genre traverse les frontières. En France, deuxième plus gros consommateur de mangas au monde, le genre passionne aussi. Outlaw Players (Ki-Oon), écrit et dessiné par Shonen, est l’un des cinq mangas français les plus vendus au monde – et il est même publié au Japon. Là encore, l’histoire suit les aventures d’un joueur bloqué dans un MMORPG ultraréaliste.
La web-série française Noob, dans laquelle les héros sont des joueurs de MMORPG, s’est elle aussi déclinée en manga avec Noob Reroll. Ici, la réalité virtuelle permet aux joueurs d’être entièrement transportés dans le monde d’Horizons, le jeu fictif de la série, et d’en garder toutes les sensations.
Le manga n’est pas le seul média à être fasciné par cette possibilité. On peut notamment citer le roman Ready Player One d’Ernest Cline, adapté au cinéma par Steven Spielberg, qui explore les possibilités et les limites de vivre dans un jeu vidéo.
Un genre aussi adoré que détesté
Dernier titre du genre en date, Bofuri : Je suis pas venue pour souffrir alors j’ai tout mis en défense, dont le premier tome est paru le 1er septembre dernier aux éditions Mana Books. Avec cette sortie, il apparaît clair que l’isekai issu du jeu vidéo est devenu un genre à part entière avec ses codes, ses archétypes et ses clichés. C’est pourquoi il est très souvent reçu de manière extrême par les lecteurs qui soit adorent, soit détestent. Le fan-service est important dans ces histoires, car ce sont des perssonnages lambda qui obtiennent un pouvoir démesuré et font ce qu’ils veulent.
On peut aussi y voir une forme de paresse : c’est un sujet à la mode et le meilleur moyen de créer un univers de fantasy sans s’embêter avec le lore dudit univers. Pas besoin de se prendre la tête avec le réalisme. En effet, les personnages qui le peuplent ne sont pas enrichis avec autant de détails que dans les univers de fantasy classiques, car ils sont issus du monde réel et parlent comme tout le monde. Au détail près que le vocabulaire de gameur est très utilisé.
Une vision parfois négative du jeu vidéo
Dans les isekai, la vision du jeu vidéo est parfois étriquée. Les personnages de ces œuvres sont souvent prisonniers du jeu et, quand l’avatar meurt, ils meurent aussi dans la réalité. Cela symbolise le prétendu enfermement du public dans les mondes virtuels et l’aspect néfaste du jeu vidéo sur les joueurs. Ils donnent également une image très négative de ces derniers, dépeints en pervers, losers incapables de vivre une vie normale et qui vont se laisser aller à tous les vices possibles dans le monde virtuel.
Ce n’est heureusement pas le cas de tous les isekai, mais ces détails participent à la diffusion de clichés les plus détestables. Néanmoins, de nombreuses séries en prennent le contre-pied et détournent les codes du genre à des fins comiques ou dramatiques. De quoi le pérenniser et lui permettre d’élargir ses horizons.