Décryptage

Expositions immersives : ces visites qui changent notre perception du musée

18 octobre 2022
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“Au-delà des limites” (2018).
“Au-delà des limites” (2018). ©teamLab

Effet de mode ou tendance de fond ? Les réalités alternatives investissent les musées, qui offrent des expositions immersives et ouvrent des espaces consacrés. Loin d’être un simple phénomène éphémère, l’entrée des nouvelles technologies au musée semble être un excellent moyen pour les institutions culturelles de dialoguer avec de nouveaux publics et d’innover.

En septembre 2022, Grand Palais immersif a ouvert ses portes dans la “salle modulable” de l’Opéra Bastille. Un événement qui achève et continue un processus initié en France depuis au moins cinq ans : l’entrée des nouvelles technologies numériques au musée. Au départ perçues comme des outils de seconde zone, les réalités alternatives étaient en contradiction avec le sérieux propre à l’expérience muséale. Toutefois, la pandémie de Covid-19 a accéléré l’entrée du numérique au musée et a démontré toute sa pertinence au sein des lieux culturels.

Entre inclusivité et économies

En 2020, le Louvre créait le dispositif virtuel Louvre immersif et accueillait 14 millions de visiteurs en un mois, alors même que le musée n’en accueille que 10 millions en un an. Une expérience qui a donné à réfléchir et a encouragé les plus grandes institutions à garder vivants de façon pérenne certains parcours nés en période de confinement.

Si des expériences virtuelles remplacent la visite au musée et permettent aux personnes les plus fragiles de participer tout de même aux expositions, d’autres enrichissent la visite par la mise en place de scénographies spectaculaires (comme l’exposition Venise Révélée de Grand Palais Immersif) ou de technologies qui permettent de voir la réalité autrement. C’était le cas lors du Palais augmenté, en juin dernier, qui proposait aux visiteurs du Grand Palais Éphémère de découvrir sur place des œuvres en passant par une application dédiée. Un procédé inspiré de jeux tels que Pokémon Go.

14
millions de visites en un mois pour le Louvre immersif.

Ces technologies réduisent les coûts des institutions culturelles et leur impact écologique :  grâce aux QR codes et aux applications, les musées peuvent en effet se passer de panneaux d’affichage et ont la possibilité de mesurer concrètement et précisément l’engagement des visiteurs.

Fédérer de nouveaux publics

Ces technologies fédèrent aussi de nouveaux publics. Les visites deviennent plus vivantes, innovantes sur un plan pédagogique, et cassent les codes traditionnels de l’expérience au musée. Réalité augmentée, réalité virtuelle, technologies immersives olfactives, visuelles, sonores… Celles que l’on nomme « réalités alternatives » investissent massivement les musées français en quête de nouveaux publics. Ces innovations sont en effet un excellent moyen pour dialoguer avec des audiences nouvelles et de fédérer autour d’expositions accessibles au plus grand nombre. Contrairement à ce qu’on a souvent reproché aux technologies numériques, ces parcours d’exposition évitent l’écueil de l’isolement, en créant des moments de partage collectif.
 
Pionnier en la matière, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) avait rendu hommage à la chanteuse Barbara en 2018. L’INA s’emparait de la réalité augmentée en favorisant l’expérience utilisateur à moindre coût : une application permettait aux visiteurs de scanner les portraits exposés de la chanteuse afin de découvrir des contenus exclusifs.

Le collectif teamLab a été l’un des autres initiateurs de cette vague d’expériences culturelles immersives autour du monde. teamLab crée des expositions visuelles « totales », qui plongent les spectateurs dans des pièces où d’énormes écrans permettent de découvrir une œuvre picturale à 360° ou bien de se retrouver dans des environnements naturels plus vrais que nature ! On se rappellera de l’exposition Au-delà des limites proposée à la Cité des sciences de la Villette en 2018, où l’on pouvait admirer des cascades et d’autres merveilles naturelles en réalité alternative.

Palais augmenté au Grand Palais Éphémère.©Gourau Phong

En France, le véritable tournant a été la mise en place en 2021 de Palais augmenté, une exposition organisée en partenariat avec le magazine Fisheye. Cinq jeunes artistes issus des Gobelins et de l’École cantonale d’art de Lausanne y présentaient leurs œuvres, visibles uniquement en téléchargeant une application. La curation était le fruit d’une collaboration avec Fabbula, un collectif spécialisé en réalité virtuelle et augmentée.

Une expérience reconduite en 2022, avec une deuxième édition du Palais augmenté. Cette approche se base sur une application mobile de géolocalisation très poussée et, grâce à des données gyroscopiques mises en place par le scénariste de l’exposition, introduit des éléments virtuels dans le monde réel. En 2017, suite à l’explosion de Pokémon Go, certaines villes avaient proposé de redécouvrir leur patrimoine architectural par la réalité augmentée !

Tintin, l’aventure immersive

À la rentrée 2022, une exposition en particulier se démarque, conçue pour les familles, les grands et les petits : Tintin, l’aventure immersive se tient à L’Atelier des lumières du 21 octobre au 20 novembre 2022 (38, rue Saint-Maur à Paris). L’espace accueille des expositions en réalité augmentée depuis 2018. Il a marqué les esprits avec son expérience immersive dédiée à Gustav Klimt. Culturespaces et Tintinimaginatio s’associent pour présenter cette nouvelle expérience qui retrace l’histoire du personnage de BD depuis la première édition de Tintin au pays des Soviets en 1929 jusqu’aux parutions les plus récentes. La conception et l’animation sont le fuit du travail de Spectre Lab.

Tintin, l’aventure immersive, du 21 octobre au 20 novembre 2022 à l’Atelier des lumières, à Paris.©Culturespaces/C. de la Motte Rouge/Hergé/Tintinimaginatio

Et en attendant Tintin, d’autres expériences se déroulent dans le même espace : des visites immersives de La Nuit étoilée de Van Gogh (jusqu’au 20 octobre 2022), ainsi que des peintures de Cézanne et Kandinsky ou l’expérience Recoding Entropia (toutes jusqu’au 2 janvier 2023).

Réfléchir à notre rapport à l’environnement et au collectif

Le collectif Fabbula est à l’origine d’Octobre numérique – Faire monde, un festival de réalités alternatives se tenant à Arles du 5 au 30 octobre 2022. Le thème de cette édition est Collective Play et met en lumière les pratiques qui créent et renforcent les relations avec le virtuel. On y parle metaverse, blockchain soutenable, nouvelles économies virtuelles respectueuses de l’environnement.

« Le festival célèbre l’autonomisation ancrée dans un virtuel ludique et collectif. »

Collectif Fabbula

Pour les organisateurs du festival, les technologies numériques permettent d’établir des « nouvelles connexions avec le vivant, des “communs” numériques, des communautés en ligne inclusives, des nouveaux modes de participation et de réappropriation de l’espace public : le festival célèbre l’autonomisation ancrée dans un virtuel ludique et collectif ».

À l’église des Trinitaires, le collectif u2p050 nous immerge dans une installation locale et incarnée, où personne parmi le plancton, le flamant rose et les humains ne l’emporte sur les autres. On traverse un environnement naturel-virtuel en imaginant à quoi ressemblerait notre monde si tous les êtres cohabitaient avec équilibre.

À l’église Sainte-Anne d’Arles, l’équipe du festival prépare une salle de jeux vidéo d’artistes pour expérimenter avec les autres : c’est un parcours en réalité augmentée qui dévoilera des œuvres numériques dans des lieux emblématiques et insolites d’Arles et de ses environs – places publiques, monuments historiques et paysages de Camargue.

“On ne peut pas empêcher les oiseaux…”, une exposition numérique du collectif u2p050.©ONFM 2022

Archéologie virtuelle : pour découvrir les lieux mythiques en réalité alternative !

Comme l’indique le chercheur et professeur Stéphane Bourliataux-Lajoinie dans The Conversation, « Le cas de la substitution totale de la visite réelle par la visite virtuelle trouve son origine dans les travaux des archéologues. Ces derniers utilisent depuis longtemps la modélisation 3D pour recréer un site à partir des traces archéologiques. Il est ainsi possible de visiter d’anciennes villas de Pompéi ou l’épave d’un bateau gisant par plus de 60 mètres de fond. »

L’histoire de France en 400 dates

Parmi les expositions utilisant la réalité virtuelle, Cité de l’histoire est l’une des plus sensationnelles de la rentrée 2022. Après l’expérience immersive d’Éternelle Notre-Dame, le groupe Amaclio propose cet automne un nouveau concept qui prendra place dans le socle de la Grande Arche de La Défense. Un parcours numérique et immersif de plus de trois heures dans l’histoire de France à travers 400 grandes dates.

À partir du 22 octobre 2022, il sera possible de découvrir des moments clés de l’histoire du pays grâce à un procédé sensoriel et visuel, dans 17 salles, chacune représentant une grande période. Guidé par des comédiens, le spectateur assistera à un spectacle de 30 minutes dans un espace de 700 m², tournant à 360°, sur les traces d’un personnage majeur, entre film et spectacle immersif.

©Cité de l'Histoire

Venise révélée, l’exposition virtuelle de l’automne 2022

L’exposition phare de la rentrée en matière de réalité virtuelle est néanmoins Venise révélée à Grand Palais Immersif. Cette exposition est réalisée en coproduction avec les Musei Civici de Venise et Iconem. Grâce à la numérisation et à la modélisation 3D de Venise, réalisée par Iconem, le visiteur est plongé au cœur de la cité des Doges, ville conçue comme un somptueux décor de théâtre. Il parcourt ainsi ses palais, son Grand Canal, tout en découvrant son environnement naturel et ses enjeux, son ingénierie de construction unique au monde.

Cette mise en situation lui offre l’occasion de mieux comprendre son histoire autant que son patrimoine artistique grâce à des images à couper le souffle issues des technologies les plus innovantes, et accompagnées d’une composition musicale inédite. L’exposition s’articule autour de quatre chapitres, conjuguant chronologie historique et déambulation à travers les sites majeurs de la ville : la naissance de Venise dans les méandres d’une lagune ; l’âge d’or : Venise, puissance commerciale et navale ; Venise, une domination politique, économique et religieuse ; demain, une nouvelle renaissance ?

Vue aérienne en transparence du nuage de points de la place Saint-Marc.©Iconem – GPI

Toutes les images sont extraites d’un modèle 3D massif réalisé à l’aide de drones par l’équipe d’Iconem, en 2021. Elles reconstituent, grâce à la technologie de la photogrammétrie, l’ensemble de la ville en volume. Cet univers virtuel recompose par des milliards de points, avec une grande précision, à la fois l’espace urbain, l’architecture des palais et les détails des peintures intérieures.

« Loin d’être seulement une ville-musée, Venise est surtout une ville du futur à la pointe des enjeux contemporains. L’immersion incomparable engendrée par les images totalement inédites de l’exposition numérique Venise Révélée nous permettra de faire sentir et comprendre comme jamais la richesse et la complexité de cette ville hors norme », déclare Gabriella Belli, directrice honoraire de la Fondazione musei civici di Venezia, commissaire générale de l’exposition. Grâce à cette exposition ouverte jusqu’au 19 février 2023, Grand Palais immersif ouvre une nouvelle et effervescente saison d’expositions immersives, en poussant ces technologies à un niveau supérieur.

Orthophotographie du plafond de la salle du Grand Conseil.©Iconem – GPI

La réalité alternative permet de dématérialiser l’expérience du musée, de changer le modèle économique de la culture dans une période particulièrement fragile et d’ouvrir les institutions culturelles à de nouvelles audiences. Loin d’isoler le spectateur et d’amoindrir l’importance des œuvres, il semblerait bien que ces expositions contribuent à sensibiliser aux enjeux économiques de l’art, à l’écologie, au respect et à la découverte du patrimoine.

Le grand défi reste, pour les musées, d’attirer un public physique tout en développant des expériences alternatives. Des lieux comme Grand Palais immersif sont nés de ce constat : les réalités alternatives auront probablement de plus en plus leurs espaces, leurs hauts lieux permettant de maximiser toutes leurs capacités.

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