Vies antérieures, entités, ésotérisme… Bernard Werber nous invite dans son monde aussi riche qu’invisible.
Les Fourmis, Les Thanatonautes, Demain les chats… On ne présente plus Bernard Werber. Auteur d’une trentaine de livres, l’écrivain toulousain est lu dans le monde entier. Ses histoires nous font voyager dans des univers fascinants et parfois effrayants. À l’occasion de la sortie de son dernier roman, La Diagonale des reines, et à l’approche d’Halloween, L’Éclaireur est allé à sa rencontre pour parler de son rapport à la vie, à la mort, de ses voyages dans ses vies antérieures – comme celle passée dans l’Atlantide – et de ses expériences parallèles et paranormales.
Vous l’affirmez dans Mémoires d’une fourmi : vous inventez des histoires avec des personnages hors normes. Comment ces protagonistes si particuliers prennent-ils forme dans votre esprit ?
Il faut s’intéresser aux autres. La plupart des gens sont fous et infréquentables. Ils vivent avec des blessures d’enfance qui déforment leur vision du monde. Notre vérité n’est pas celle de tout le monde. Alors, on fait tous semblant d’être normaux et sympas pour essayer d’entretenir des liens avec les autres. Les gens ne sont pas ce qu’ils ont l’air d’être.
Je pense que je suis un peu autiste. Je vis dans un monde imaginaire et j’aurais du mal à m’intégrer dans une entreprise. Pendant sept ans, j’étais journaliste scientifique au Nouvel Obs et j’avais l’impression que les rapports de force fonctionnaient comme dans une cour : il y avait les barons et les cire-pompes. Je n’arrive pas à m’intégrer dans ce système. C’était déjà le cas à l’école, et j’ai trouvé une échappatoire dans les romans.
« J’aime bien l’idée qu’il y avait quelque chose avant, et qu’il y aura quelque chose après. Si on rate cette vie, on pourra revenir et essayer de faire mieux dans la suivante. »
Bernard Werber
Finalement, j’ai l’impression qu’on vit tous dans des bulles de nos propres illusions et qu’on essaie de créer des passerelles avec les autres pour communiquer. Ce n’est pas naturel, mais c’est passionnant. À partir du moment où j’ai pris conscience de tout ça, j’ai fait de mes personnages des êtres bizarres, inadaptés, qui ont des blessures et qui échangent avec des personnes similaires.
Dans Les Thanatonautes, vous explorez un univers rempli de mystères, source de peurs et de fantasmes, celui de la mort. Comment l’imaginez-vous, en réalité ?
Il y a deux possibilités : soit il n’y a rien, soit il y a quelque chose. La première me semble plus probable, mais déprimante. J’ai le grand privilège d’être romancier, donc je n’ai rien à prouver et je peux jouer avec la seconde hypothèse. J’aime bien l’idée qu’il y avait quelque chose avant et qu’il y aura quelque chose après. Si on rate cette vie, on pourra revenir et essayer de faire mieux dans la suivante. J’ai envie de sortir la mort du domaine mystique et religieux, qui entourent cette idée de peur.
On a tous notre propre perception. La mienne varie d’un jour à l’autre, mais tout ce que je sais, c’est que chaque matin, je remercie l’Univers d’être en vie. Je me dis : “Chouette, une journée de plus”, et j’essaie de la rentabiliser un maximum en faisant rayonner mon diamant intérieur, comme diraient les Pink Floyd dans la chanson Shine on You Crazy Diamond.
C’est donc quelque chose qui ne vous fait pas peur ?
J’ai surtout peur de mourir sans avoir réalisé toutes mes missions et de partir avec le sentiment de ne pas avoir fait assez rayonner mon diamant intérieur. Je suis heureux d’avoir accompli ce fameux “socle des 30” : 30 romans, en 30 ans, pour 30 millions de lecteurs dans 30 pays. Mais je m’interroge : est-ce que j’aurai encore le temps de faire autre chose ?
Ensuite, il y a forcément la peur de la maladie ou de la douleur avant de mourir. Ma maman a eu Alzheimer, et j’ai peur de perdre la mémoire. Ça m’arrive parfois, quand je cherche un peu trop un mot ou le nom d’une personne célèbre. Je suis effrayé par le fait que le disque dur s’abîme.
J’ai peur de me tromper dans mes choix, de blesser, et la bêtise des autres qui font briller leur diamant noir. Certaines personnes, comme les pervers narcissiques, prennent un réel plaisir à détruire ceux qui les entourent. Ils ont cette capacité d’éteindre la lumière des autres. J’ai aussi peur des addictions. J’ai vu tellement de gens détruits par l’alcool, la drogue ou le jeu.
L’avenir de la planète m’inquiète aussi beaucoup et depuis très longtemps. Enfin, j’ai peur qu’il n’y ait pas de vie extraterrestre. Si la Corée du Nord s’amuse à faire péter une bombe un peu trop en profondeur et que ça détruit la Terre entière, il n’y aura plus rien, plus de deuxième chance. Toutes ces choses m’occupent l’esprit. Je ne suis pas un garçon très détendu, mais l’écriture m’apporte énormément et donne du sens à ma vie.
En parlant de deuxième chance… Croyez-vous en la réincarnation ?
Le mot “croyance” n’existe pas dans mon système. Je ne crois en rien, je suis là pour poser des questions. Tout à l’heure, vous me demandiez si je croyais en la vie après la mort : je n’en sais rien. Est-ce que je crois aux vies passées ? Je ne sais pas non plus. Cependant, j’ai fait de l’hypnose régressive qui m’a donné la très forte illusion de me retrouver dans des vies passées, avec une masse de détails surprenante. Je fais des insomnies tous les jours, à 2h13 précisément.
« Quand j’avais 13 ans, j’ai rencontré un jeune de mon âge qui m’a appris à me lever à 6 heures du matin, à me mettre en position du lotus et à ralentir mon rythme cardiaque pour faire sortir mon esprit de mon corps. »
Bernard Werber
Je profite de ce temps libre pour aller dans mes vies antérieures. Il y en a une que j’aime particulièrement, et que je décris dans La Boîte de Pandore. Je pense avoir vécu dans l’Atlantide et l’être que j’ai été était tellement cool ! Tout lui glissait dessus. Il disait toujours que “rien n’est si grave”, alors que je passe mon temps à répéter “pourvu que ça marche”.
Quelles autres vies explorez-vous ?
J’aime bien mes vies de femme, car ce qu’il y a dans leur tête est très différent de ce qu’il se passe dans celle des hommes. Je l’ai été en Orient ou en Amérique du Sud, et je me souviens que leur statut était abominable. À l’inverse, il était bien plus intéressant en Atlantide. C’est la seule vie où j’ai vu des rapports entre les deux sexes harmonieux. Il y avait une véritable égalité et une parole libre. Les couples se faisaient et se défaisaient sans culpabilité ni justification. Il n’y avait pas de possession ni de souffrance. Uniquement du plaisir. Chez nous, tout est plus grave et il y a un vrai manque de communication.
Vous êtes membre d’honneur de l’Institut de recherche sur les expériences extraordinaires (Inrees). Vous êtes donc ouvert au monde de l’invisible ?
Comme tout le monde, j’ai deux cerveaux : le gauche, qui est scientifique, et le droit, qui s’intéresse à l’irrationnel, celui qui fait des rêves et qui m’apporte ma créativité. Je cultive les deux. Je pense que ceux qui disent que l’irrationnel n’existe pas sont limités, et ceux qui sont entièrement occupés par l’irrationnel le sont aussi. Donc j’essaie de faire des passerelles entre les deux. Je suis agnostique : je n’ai pas de croyance, mais je me pose des questions et je me renseigne.
Avez-vous déjà vécu des expériences paranormales ?
Quand j’avais 13 ans, j’ai rencontré un jeune de mon âge qui m’a appris à me lever à 6 heures du matin, à me mettre en position du lotus et à ralentir mon rythme cardiaque pour faire sortir mon esprit de mon corps. Ce n’est pas de la magie : il appelait ça le raja yoga. Les expériences de vie antérieures sont aussi irrationnelles, et ma visite de l’Atlantide lors d’une séance d’hypnose régressive est le trip le plus dingue que j’ai jamais eu.
Je ressens les énergies et les entités. Je crois que le monde de l’invisible est comme celui du visible : il y a des bonnes et des mauvaises personnes. Il n’y a pas de démons ni d’anges. Il y a des gens qui prennent du plaisir à nous embêter et d’autres à nous aider. Il faut simplement se connecter à cette deuxième catégorie.
Les générations précédentes ont tellement vécu dans la peur de la guerre, du danger et de la famine qu’elles n’avaient pas le temps de développer une spiritualité tranquille. Ils n’allaient pas rester immobiles pour faire ralentir leur cœur et visiter des mondes invisibles alors qu’ils n’avaient rien à manger. Aujourd’hui, nous prenons le temps de fermer les yeux pour explorer notre esprit.
Ces voyages, ces ressentis ne vous ont jamais effrayé ?
Je ne me connecte pas aux entités. Je pense avoir des talents de médiumnité, mais je ne souhaite pas les développer. C’est un univers parallèle que je ne connais pas. C’est comme si j’entrais dans une forêt sans savoir comment apprivoiser les tigres. Dans le doute, je préfère ne pas y pénétrer et rester prudent. Je me méfie de tous ceux qui se connectent au monde de l’invisible.
J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens qui jouent avec ces choses d’une manière imprudente et qui le font mal. J’espère que mes livres ne donneront pas envie aux lecteurs de se lancer dans la sorcellerie et des pratiques dans lesquelles ils pourraient se perdre. C’est aussi une forme d’addiction.
Tarot, sorcellerie, voyance… L’ésotérisme est néanmoins devenu un véritable phénomène de mode. Comment l’expliquez-vous ?
Les gens ont besoin de rêver. Le monde normal est tellement décevant – il suffit de prendre le métro en heure de pointe pour s’en rendre compte. C’est le thème de La Diagonale des reines : est-on mieux seul ou accompagné ? On peut l’appliquer au monde invisible : est-on mieux seul ou connecté ? Pour moi, cette mode de l’ésotérisme ressemble un peu au Far West et il y a plus d’individus qui en abusent que de personnes réellement lumineuses.
Je crois qu’on est dans une période où on va faire beaucoup de découvertes dans le monde de la spiritualité. Ça va bouger, et en bien. Il y a une accélération de l’histoire. Mais on aura toujours deux choix : l’ombre ou la lumière – comme dans la Guerre des étoiles. La voie obscure va plus vite, et elle tente beaucoup de monde, mais le prix à payer est énorme. Il faut toujours choisir la bienveillance en tant que stratégie globale de bonheur.