Décryptage

Défis fantastiques : 40 ans d’aventures dont vous êtes le héros

06 septembre 2022
Par Michaël Ducousso
Les décennies passent, les couvertures changent, mais les classiques comme “Le Sorcier de la montagne de Feu” ont toujours autant de succès.
Les décennies passent, les couvertures changent, mais les classiques comme “Le Sorcier de la montagne de Feu” ont toujours autant de succès. ©Gallimard Jeunesse

La célèbre série de livres-jeux traverse le temps en gardant une base de fans toujours aussi fidèles et en séduisant sans cesse de nouveaux lecteurs désireux de partir à l’aventure.

Si vous ouvrez la porte de droite, allez en 227. Si vous empruntez le tunnel à gauche, allez en 101. Lequel de ces choix vous amènera à un trésor ou à une mort certaine ? Impossible de le savoir sans tourner la page… Voilà les dilemmes qui, depuis 40 ans, font frissonner les aventuriers qui se lancent dans des Défis fantastiques. Malgré les années qui passent, les courageux lecteurs de Fighting Fantasy (en VO) sont toujours aussi passionnés. En témoigne la quatrième édition du Fighting Fantasy Fest qui s’est tenue à Londres le 3 septembre dernier, réunissant de nombreux fans venus débattre de leurs aventures favorites et découvrir celles, inédites, écrites pour l’occasion par les pères de la licence : Sir Ian Livingston et Steve Jackson.

Une révolution interactive

À la fin des années 1970, les deux compères étaient surtout connus pour avoir lancé une petite entreprise pleine d’avenir, Games Workshop, qui distribuait en Europe un jeu encore confidentiel : Donjons et Dragons. Flairant le potentiel de ce produit d’un genre nouveau, l’éditeur Penguin Books leur demande d’écrire un livre destiné à présenter ce jeu de rôle et son fonctionnement. Seulement, Ian Livingstone et Steve Jackson vont se montrer plus ambitieux en produisant un livre-jeu composé de 400 paragraphes racontant une histoire interactive dans un univers de fantasy indépendant.

Le Sorcier de la montagne de Feu paraît en 1982 et devient instantanément un succès éditorial, lançant sur de bons rails la collection des Défis fantastiques. Cette série d’ouvrages indépendants, se situant pour la plupart dans l’univers fictif de Titan, s’est depuis écoulée à plus de 20 millions d’exemplaires à travers le monde. À écouter son co-auteur, Sir Ian Livingstone, l’une des raisons de ce succès est le fait qu’il ait enfin permis aux lecteurs d’être actifs.

Les fans restent attachés aux couvertures de leur enfance.©Gallimard Jeunesse

« Les livres traditionnels proposent une narration linéaire et une expérience passive, détaille-t-il. Les Défis fantastiques, eux, sont une expérience avec une narration en arborescence accompagnée d’un système de jeu. Ils demandent aux lecteurs de faire leurs propres choix, de prendre leurs propres décisions. Tourner à gauche ou à droite ? Combattre le monstre ou fuir ? C’est ce qui rend les choses excitantes. En 1982, Le Sorcier de la montagne de Feu, avec toutes ses possibilités et les résultats qui en découlent, a mené de nombreuses personnes qui ne lisaient pas vers la lecture. »

Florent Haro a fait partie de ces jeunes happés par la lecture des Défis fantastiques. Il avait 10 ans lorsqu’il est tombé sur La Citadelle du chaos de Steve Jackson. « C’était le deuxième tome de la série, celui qui introduisait l’usage de la magie, se souvient-il. Pour un jeune de cette époque, quand Harry Potter n’existait pas, c’était une expérience fabuleuse ! »

L’Ombre des géants, nouveau tome de la série signé Ian Livingstone est sorti pour la Fighting Fantasy Fest.©Scholastic

Une expérience qui a marqué de nombreux petits Français, fascinés par la fameuse collection « Un livre dont vous êtes le héros », au sein de laquelle Gallimard publie les Défis fantastiques et d’autres séries de livres-jeux, comme le célèbre Loup solitaire, depuis 1983. Seulement, plusieurs décennies après cette découverte, Florent Haro ne s’en remet toujours pas. Et il n’est pas le seul. Avec d’autres passionnés de Défis fantastiques, il a publié la traduction du jeu de rôle officiel de l’univers Titan, via leur association Scriptarium.

Forte de sa connaissance du monde des Défis fantastiques, l’association en est même venue à conseiller Gallimard, « le seul éditeur au monde à n’avoir jamais cessé de publier la série », dans la publication et la réédition des œuvres originales, afin de donner un peu de cohérence à l’ensemble de l’univers. Et, pour le coup, c’est vraiment un travail de titan.

Un monde d’aventures

Auteurs de récits en « one-shot », Ian Livivingstone et Steve Jackson ne se sont pas toujours souciés d’harmoniser l’ensemble de leurs écrits. Pas plus que certains auteurs qui leur ont succédé en apportant leur pierre à cet édifice baroque. Il y a bien eu un ouvrage de référence, publié en Angleterre quelques années après la sortie du Sorcier de la montagne de Feu (traduit en français en 2014 par l’association Scriptarium), mais il ne suffit pas à éclaircir toutes les zones d’ombres de Titan.

Hidetaka Miyazaki, créateur des célèbres jeux vidéo Dark Souls a confié à Ian Livingstone sa passion pour les Défis fantastiques, qui l’ont inspiré dans son travail.©Ian Livingstone

Au départ, cela a un peu chiffonné Florent Haro, géographe de profession. Mais, finalement, il y voit ce qui fait le charme de cet univers arpenté par des millions d’autres aventuriers. « Est-ce que c’est le monde qui intéresse vraiment les lecteurs de Défis fantastiques ? Je n’en suis pas persuadé, même si ça apporte un ciment à l’ensemble. Mais ça reste un univers médiéval fantastique assez ouvert, avec des zones inexplorées qui laissent plein de possibilités. En discutant avec Steve Jackson, je lui ai fait remarquer certaines incohérences, certaines zones d’ombre sur les cartes, mais il m’a répondu : Tant mieux, ça correspond à un état des connaissances balbutiant, un peu comme pouvaient l’avoir les premiers cartographes du Moyen-Âge, ça laisse un univers largement méconnu qui invite à l’exploration. »

Pour le jeu de rôle officiel de Défis fantastiques, Scriptarium a fait appel aux illustrateurs iconiques qui ont tant fait rêver ou frissonner les lecteurs.©Scriptarium/John Blanche

Cet appel de l’aventure et la place laissée à l’imagination des joueurs a sans doute contribué au succès de la série, tout autant que les illustrations évocatrices invitant au voyage dans un monde magique. Aujourd’hui encore, les fans sont tellement attachés à ces dessins que le moindre changement provoque des tollés. Scholastic (qui publie désormais Fighting Fantasy en anglais) et Gallimard ont ainsi dû reproduire les illustrations intérieures d’origine dans leurs dernières éditions pour apaiser les nostalgiques et séduire la nouvelle génération de lecteurs aventureux.

Transmettre la flamme

Car, en dépit des années, de l’essor des jeux vidéo ou des polémiques médiatiques, les Défis fantastiques n’ont jamais cessé de plaire. Gallimard peut en témoigner. Malgré l’arrêt de l’édition anglaise de Penguin en 1995, le groupe français a continué de publier ou rééditer des Défis fantastiques et peut s’enorgueillir d’en avoir vendu plus de 2,8 millions depuis le lancement de la série.

« Le fait que ça ait toujours été publié lui a permis de trouver sans cesse un nouveau public », estime Florent Haro, en insistant sur le rôle des fans qui ont fait en sorte de transmettre la flamme. « Aujourd’hui, il y a des éditeurs associatifs, issus d’une communauté de passionnés, comme Alkonost ou Posidonia, qui se sont spécialisés dans la publication de livres-jeux beaucoup plus mûrs dans l’écriture et les sujets abordés. Ils rééditent, traduisent ou éditent d’autres collections, avec de nouveaux auteurs très talentueux et ça contribue à un renouveau des livres-jeux avec une offre plus variée pour un public plus large. »

La nouvelle génération d’artistes qui a illustré le jeu de rôle de Scriptarium s’est inspirée des illustrateurs mythiques de Défis Fantastiques.©Scriptarium/Koa

Des lecteurs qui ont désormais l’embarras du choix pour vivre de nouvelles aventures, mais qui pourront toujours compter sur Steve Jackson et Ian Livingstone pour leur opposer de nouveaux Défis fantastiques. Ce dernier explique d’ailleurs que l’engouement des fans le motive à continuer à écrire ces aventures. Surtout que cela lui permet d’assouvir un penchant bien particulier. « Mon petit plaisir est de pousser les lecteurs à faire les mauvais choix, pour qu’ils tombent dans une fosse ou se fassent rôtir par un dragon cracheur de feu. Je ne me lasserai jamais de répandre des pétales de rose sur le chemin qui les conduit à un destin fatal. »

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste