Critique

Hommes, d’Emmanuelle Richard : passions complexes

24 août 2022
Par Sophie Benard
Hommes, d’Emmanuelle Richard : passions complexes
©Pascal Ito/Flammarion

[Rentrée littéraire 2022] De sa plume somptueuse, aussi délicate que triomphante, Emmanuelle Richard sonde les remous de la passion – et prouve que la pensée féministe ouvre de nouvelles voies à la littérature.

Hommes est le quatrième roman d’Emmanuelle Richard, qui a déjà fait paraître La Légèreté (L’Olivier, 2014), Pour la peau (L’Olivier, 2016) et Désintégration (L’Olivier, 2018). Elle est aussi l’autrice de l’essai Les corps abstinents (Flammarion, 2020), dans lequel elle mêlait récit autobiographique et témoignages de celles et ceux qui, comme elle, avaient choisi de renoncer, pour un temps ou pour toujours, à la sexualité partagée.

Hommes, d’Emmanuel Richard. En librairie depuis le 19/08/2022.

Léna a délaissé son isolement et ses échecs professionnels pour partir vivre et travailler en Angleterre, puis en Irlande. Dans la grisaille des campagnes anglo-saxonnes, elle redécouvre son corps et sa force de travail, le paisible écoulement du temps que permet le fait de se tenir à distance de son monde, du monde.

Elle laisse aussi s’exprimer ses désirs ; pour Aiden, puis pour Gwyn. Quand elle reconnaît le visage du premier, plusieurs années après l’avoir rencontré, dans des articles qui le désignent comme un homme recherché pour viols en série, elle questionne son attirance passée et la violence du désir de cet homme.

Hommes est indéniablement un roman féministe, dans lequel la narratrice décrit avec acuité les regards et les commentaires masculins qui l’accompagnent partout où elle se déplace, dans lequel elle analyse la violence et le dérangement intime que suscite souvent le désir des hommes pour les femmes.

Ce qu’ils nomment beauté est le seul pouvoir que tous les hommes respectent, dans un premier temps au moins. Comme ils se couchent devant. Comme ils se montrent odieux, cruels, brutaux dès qu’ils ne nous considèrent pas comme une possibilité de lit. Quand je suis devenue jeune fille, l’âpreté de ce passage d’une place à son opposé, d’un état conspué à l’autre, a déposé en moi un indélébile lit de mépris.

Emmanuelle Richard
Hommes

Mais Hommes est aussi – et surtout – féministe dans ses échappées ; dans ses superbes descriptions de la puissance, de l’intensité, de la vérité du désir féminin, dans le retour à soi, au corps et aux sensations que propose sa somptueuse écriture.

Car la plume d’Emmanuelle Richard est un véritable enchantement, qui sait aussi bien se couler dans la ponctuation que la désordonner. D’une rare puissance, elle transforme à elle seule ce roman sur la violence patriarcale en un bouleversant hymne à la passion et à la sexualité, quand elles sont égalitaires, quand elles enrichissent les deux individus qui y participent.

Je me souviens de ce grand désir physique purement réflexe, dénué de toute connexion ou affect, réactionnel à une seule proximité de corps. Comme – détaché de son objet. C’était un phénomène étrange, c’était. Une indifférence absolue. Dense comme le plomb. Mon corps voulait moi ça m’était égal.

Emmanuelle Richard
Hommes

Hommes, d’Emmanuel Richard, L’Olivier, 256 p., 19 €. En librairie depuis le 19/08/2022.

Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste