Le tourisme dans le metaverse a-t-il un avenir ? S’il semble assez évident qu’il ne pourra jamais remplacer les émotions du vrai « voyage », le monde virtuel a bien des choses à apporter.
« Soyons clair, le métavers ne sera jamais un substitut au tourisme, affirme d’emblée Sophie Lacour, chargée de la chaire Innovation Tourisme Lab de l’Esthua (Université d’Angers). Mais cela pourra être un complément très intéressant. » Un avis partagé par les professionnels du tourisme. « Le métavers sera une évolution du marché, mais il ne pourra pas remplacer l’expérience du voyage, du moins pas de mon vivant », estime Tariq Al Mutawa, country manager de la Thaïlande pour la compagnie aérienne Emirates.
Cette dernière a développé une expérience de réalité virtuelle compatible avec le casque Oculus de Meta. Quiconque peut – gratuitement – aller se balader en classe affaires, découvrir l’intérieur du cockpit d’un avion et « expérimenter le luxe du service à un passager de première classe ». L’idée ne vous séduit pas plus que cela, voire vous laisse un goût amer dans la bouche ? L’offre virtuelle permet aussi, plus prosaïquement, de visualiser avec précision la place de son siège grâce à un rendu 3D de la cabine.
Métavers et tourisme, des termes antinomiques ?
« En apparence, le métavers est l’antithèse du voyage, pointe Max Starkov, consultant américain dans le tourisme. Voyager, c’est faire plaisir à vos cinq sens : le goût, l’odorat, le toucher, l’ouïe et la vue. Au mieux, le métavers peut vous permettre d’en expérimenter deux : l’ouïe et la vue. Alors, comment peut-il avoir un impact sur le tourisme ? Une chose que le métavers et le voyage ont en commun est que les deux sont sociaux. »
Il croit en trois façons de faire se rencontrer les deux mondes. D’un côté, par les événements virtuels et hybrides, comme les concerts. D’autre part, pour faciliter les rencontres professionnelles – une des pistes actuellement explorées par le groupe français Accor avec Microsoft. Enfin, pour explorer des destinations très lointaines ou désormais inaccessibles. Comme un lieu fermé au public ou dont l’accès est de plus en plus limité. En la matière, on peut imaginer des visites totalement virtuelles depuis le fond de son canapé ou un système plus hybride, qui implique quand même de se rendre dans le pays. « Le tourisme, c’est un climat, des odeurs, des gens, une langue… Si on ne peut pas visiter un lieu comme le Machu Picchu au Pérou ou le Taj Mahal en Inde, on peut imaginer voyager quand même sur place. Mais, une fois à proximité, découvrir le site historique via un casque de réalité virtuelle ou une pièce immersive. On profite quand même de l’ambiance locale », déclare Sophie Lacour.
Tourisme virtuel, intérêt réel
Une étude dévoilée par Dynata s’est penchée sur le métavers. Intitulée New Experience Economy et réalisée auprès de 11 000 consommateurs dans 11 pays, elle en conclut que 40 % des personnes interrogées se disent intéressées par un voyage virtuel. 51 % ont même déclaré être tentées par une visite virtuelle d’un musée, d’une galerie d’art ou d’une exposition. Un autre sondage, réalisé par Accenture dans 35 pays auprès de 24 000 répondants, confirme cet intérêt du grand public pour ces immersions virtuelles.
On y découvre que 50 % des gens sont intéressés par l’achat d’une expérience de voyage telle qu’un séjour à l’hôtel ou une activité dans le métavers. Ce chiffre grimpe même à 55 % pour les millennials. En revanche, il n’est que de 29 % pour les baby-boomers. Une tendance qui fait écho au fait que 47 % des Français souhaitent se déplacer de façon plus respectueuse de l’environnement, selon une étude réalisée par Booking.com.
Parce qu’on n’a pas envie de prendre l’avion, parce qu’on préfère rester en France en période de pandémie, comme solution face à un handicap, un budget trop serré ou pour éviter la fatigue des longs voyages quand on vieillit… Les raisons de choisir le voyage virtuel peuvent être nombreuses.
Bien plus que des « visites virtuelles »
« Selon moi, le métavers ne va pas forcément trouver son intérêt en faisant visiter des lieux emblématiques en 3D, mais il va plutôt intervenir autour du voyage lui-même, assure Sophie Lacour. Cela permettra de créer des sites internet évolués, qui permettent de rentrer plus facilement dans la préparation de son voyage en découvrant en détail les chambres d’un hôtel, les expériences proposées autour de la destination, etc. »
Concrètement, un hôtel – ou une chaîne d’hôtels – va acheter une parcelle dans un métavers, si possible en bord de mer (virtuelle) ou à proximité d’un lieu très fréquenté (boîte de nuit, boutique de marque de luxe…) pour avoir du passage. « Comme dans la vraie vie, il faut choisir le bon emplacement dans le métavers, note Sophie Lacour. Il faudra ensuite recréer l’hôtel en lui donnant un aspect assez similaire et en proposant à l’intérieur la reconstitution des différents types de chambres, de l’espace restaurant, du lounge, etc. Et proposer un aperçu des produits additionnels, comme les excursions. » Dans cet espace, l’hôtel pourra aussi créer, animer et gérer sa communauté en proposant régulièrement des événements. « Assister à un petit concert dans le metaverse pour se replonger dans l’ambiance de ses dernières vacances, c’est quand même plus sympa que de recevoir un mailing promotionnel », avance Sophie Lacour.
Le tourisme dans le métavers, un vrai pari sur l’avenir
Tout cela reste encore très virtuel et fantasmé. Même Sophie Lacour l’admet. Elle prodigue ses conseils chez Advanced Tourism, une société spécialisée dans la prospective, l’intelligence artificielle et la robotique dans le domaine du tourisme. Si elle invite les spécialistes du tourisme à ne pas attendre pour essayer le métavers, elle les exhorte à limiter leurs investissements. « Aujourd’hui, c’est encore très cher de se lancer, car la technologie n’est pas encore totalement au point. Ce sera sans doute le cas dans cinq ans, mais pas avant. Ensuite, il faut choisir sur quel métavers se concentrer. Il y en a 25 connus, 150 moyennement développés et plusieurs milliers qui pointent le bout de leur nez. Difficile de savoir lequel ou lesquels seront en première ligne d’ici quelques années. Dans les années 1990, on avait Lycos et Club Internet. Qui aurait pu prédire Google et Facebook ? »
Elle estime qu’il faudra cinq à dix ans pour que le métavers commence à devenir mainstream. « Mon conseil, c’est : allez-y pour voir. Mettez quelques billes, comme au poker. Achetez un petit terrain et faites de petits investissements sur deux ou trois métavers, à raison de 4 000 ou 5 000 euros à chaque fois. Ce sera déjà très bien pour comprendre comment cela fonctionne et faire les premiers tests. »
Les grands groupes en première ligne
Des acteurs locaux, comme l’office du tourisme de Val d’Isère, achètent déjà des terrains. La station de ski s’est offert une parcelle sur le métavers Next Earth. La station balnéaire espagnole Benidorm a créé BenidormLand sur la plateforme de jeux en ligne Steam, accessible à 140 millions d’utilisateurs. Mais ce sont surtout les grands groupes du tourisme (compagnies aériennes, réseaux hôteliers, plateformes de réservation), avec de gros moyens financiers, qui vont explorer les multiples possibilités des mondes virtuels.
Brian Chesky, le patron d’Airbnb, reste cependant réaliste sur les limites de ces voyages virtuels. « Ces expériences numériques font, pour moi, office de passerelles. Les gens seront en mesure, grâce au métavers, d’essayer Airbnb pour 10 ou 20 dollars. Ils pourront se connecter avec un hôte sans avoir à prendre l’avion et séjourner dans la maison de quelqu’un dans un autre pays. Mais cela restera limité », a-t-il déclaré lors du Skift Global Forum à l’automne 2021. Il craint surtout que ces technologies n’accroissent le sentiment de solitude des gens alors qu’Airbnb aspire à rapprocher les personnes de cultures différentes.
Marriotts, Hilton, Accor… les grands groupes explorent les différentes possibilités du métavers. Début mai, la chaîne singapourienne Millennium Hotels a ouvert M Social Decentraland, un premier hôtel virtuel. « Il résume l’essence de la marque M Social avec son style de vie avant-gardiste », affirme la marque dans un communiqué. Un réceptionniste virtuel vous y accueille et votre avatar peut se mêler aux autres personnes présentes dans les lieux. Il peut aussi assister à des événements organisés sur place et même y passer la nuit. Le but est de « redéfinir le modèle traditionnel d’hospitalité » en créant de « nouvelles expériences immersives ».
L’attrait des NFT
Si le métavers en est encore à ses balbutiements, les NFT, en revanche, attirent dès à présent les professionnels du tourisme. L’idée est de proposer à des amoureux du lieu de villégiature d’acquérir un Non Fungible Token, bien souvent une œuvre d’art visuelle numérique, qui prouve son amour d’une expérience, d’un bâtiment, d’une plage, etc. La ville de Cannes vient de s’y essayer.
Après le Festival de Cannes dupliqué dans Fortnite, la ville a vendu aux enchères une partie de son patrimoine sous la forme de NFT durant le Cannes Lions Festival. Le boulevard de la Croisette, le Palais des festivals, le Port Canto, l’île Sainte-Marguerite, l’écomusée sous-marin, la Malmaison, le Vieux-Port, le marché Forville, le Suquet, la pointe Croisette ou encore le campus Georges-Méliès ont été vendus virtuellement sur le site de la maison Artcurial. Quelque 330 000 euros ont ainsi été collectés (dont 50 000 euros rien que pour le Palais des festivals). Chaque heureux acquéreur a reçu la représentation numérique du lieu, mais aussi une véritable maquette en 3D.
Pour la municipalité, c’est « une nouvelle façon innovante de financer des actions environnementales et sociales ». Ainsi, 10 % de la somme récoltée a été reversée au Fonds de dotation Cannes pour le développement de projets liés à l’environnement. Selon ce principe, on pourra garder le NFT d’un voyage aux Maldives, d’une excursion dans les îles Svalbard au nord de la Norvège ou d’un trek au Népal… Nul doute que cela pourrait séduire les touristes. Une nouvelle fabrique des souvenirs, en somme.