Décryptage

Astrophotographie : la tête dans les étoiles

10 juillet 2022
Par Louis Cayatte
Si vous avez la chance de vous rendre dans les régions polaires à la fin de l’automne, vous aurez peut-être la chance de photographier des aurores boréales…
Si vous avez la chance de vous rendre dans les régions polaires à la fin de l’automne, vous aurez peut-être la chance de photographier des aurores boréales… ©Thierry Legault

La période estivale est particulièrement propice à l’observation du ciel et des étoiles filantes. Pourquoi ne pas en profiter pour immortaliser quelques paysages nocturnes avec son appareil photo ? Sous la houlette de Thierry Legault, l’un des plus éminents photographes français dans ce domaine, voici quelques pistes pour s’initier aux joies de l’astrophotographie, sans complexe et sans instruments autres que le bagage photographique commun. Dans un premier temps…

Le pic de l’activité se situe en général à la mi-août : à l’œil nu, on observe alors un défilé régulier d’étoiles filantes. Ces pluies de météores, nommées Perséides, sont un spectacle accessible au plus grand nombre, à condition de s’éloigner suffisamment de toute pollution lumineuse, un préalable nécessaire pour s’initier à la prise de vue nocturne. Il faut aussi garder un œil sur les prévisions météo, notamment les alertes aux orages et aux incendies dans certaines régions, avant de s’aventurer avec sa frontale sur des chemins noirs. Loin des lumières de la ville.

Configuration de base

Quitte à sacrifier quelques heures de sommeil, mieux vaut disposer d’un appareil photo digne de ce nom, et dépasser les automatismes et la taille réduite des capteurs embarqués dans les smartphones : n’importe quel compact ou bridge à capteur 1 pouce fera l’affaire, dans un premier temps – bien sûr, un système à optiques interchangeables reflex ou hybride Micro 4/3, APS-C ou 24×36 sera toujours préférable – à deux conditions. Qu’il soit possible de photographier en Raw et de le débrayer en mode manuel.

De l’importance d’un premier plan sur sa composition…©Thierry Legault

Lorsqu’il débute en numérique, au début des années 2000, Thierry Legault utilise un compact Casio de 2 Mpx. Ce qui ne l’empêche pas de figer une saisissante éclipse en Angola. Depuis, l’auteur de l’ouvrage Astrophotographie, dont la quatrième édition vient de paraître chez Eyrolles, collectionne les distinctions. Un astéroïde (numéro 19 458) porte même son nom, Legault, selon les souhaits de l’Union astronomique internationale. Lorsqu’on lui demande quel accessoire est nécessaire pour débuter, il cite naturellement le meilleur ami des aficionados de poses lentes : « D’une manière générale, tenir un appareil à main levée, suffisamment stable, c’est quand même compliqué. Un trépied reste incontournable. A minima, un sac de riz ou bean bag, tout ce qui permet de stabiliser le matériel et de l’orienter vers le ciel fonctionne. »

Ensuite, que l’on utilise un reflex ou un hybride, mieux vaut viser par l’écran LCD, en LiveView, en coupant le système autofocus, guère fiable en pleine nuit, même sur une Voie lactée parfaitement tracée : « On fait en sorte de visualiser les étoiles nettes sur l’écran, avec la mise au point manuelle. Dans les menus, il faut que l’accentuation soit à 0 et la réduction de bruit très faible, si elle est activée. Le diaphragme doit être ouvert au maximum pour engranger le plus de lumière possible. Pour le temps de pose, si on veut bien voir la Voie lactée, il faut aller vers 10, 20, 30 s, en utilisant une focale la plus grand-angle possible, car elle traverse le ciel. En pleine campagne, le moindre arbre peut être intégré au premier plan pour donner un peu plus de sens à la photo. » Finalement, l’astrophotographie est une discipline photographique comme une autre, tout autant régie par des règles en matière de composition.

Téléobjectif Lune

Si les paysages nocturnes nécessitent une optique grand-angle, le sujet le plus évident et le plus accessible exige à l’inverse l’emploi de longues focales. Et, contrairement à ce qu’on pourrait penser, le meilleur moment pour passer à l’action n’est pas celui où on le voit le plus, explique Thierry Legault : « Au premier abord, le plus facile, c’est de photographier la Lune. Il ne faut pas attendre la pleine Lune : il n’y a pas d’ombre, pas de relief. On photographie plutôt les petits croissants, avec la lumière cendrée qui résulte d’un clair de Terre sur la Lune. C’est en général plus joli qu’une pleine lune. Au grand-angle, on la percevra difficilement. Il faut zoomer le plus possible, à partir de 100 mm. On peut facilement photographier les plus grands cratères. Elle est très brillante, donc les temps de pose sont plus rapides, de l’ordre de 1/10 s à 1/30 s. Le trépied demeure toutefois recommandé en employant de telles focales. »

Quand on débute, mieux vaut fuir les lumières de la ville et privilégier les croissants de Lune… Ce contre-exemple parfait, dans les deux cas, montre qu’il est parfois bon de contourner les règles.©Thierry Legault

Certains appareils, comme le bridge Nikon P1000 et son stratosphérique zoom 125x, équivalent à un 24-3 000 mm en 24×36, dispose d’une fonction dédiée (mode Lune). De quoi envisager la prise de vue de sujets normalement uniquement observables avec un télescope. « Jupiter a quatre grands satellites, quatre grandes lunes. Au-dessus de 150 mm, on arrive à les distinguer, précise Thierry Legault. Pour apercevoir les deux anneaux de Saturne, il faut aller au-delà de 1 000 mm. On est vraiment aux limites des téléobjectifs. On bascule dans le domaine des télescopes. »

Le bridge Nikon P1000 et son zoom 125x intègrent un mode Lune.©Nikon

Les passionnés d’astronomie ont d’ailleurs la possibilité d’adapter un appareil sur leur outil d’observation : « Toutes les lunettes et télescopes qui sont en vente dans les magasins d’astronomie ont prévu un système d’adaptation pour un appareil photo, souvent optionnel. L’idée étant de monter sur le télescope le boîtier grâce une bague, sans objectif, pour disposer d’un gros téléobjectif, sans autofocus ni stabilisation d’image. De la même manière qu’on n’apprend pas à conduire sur un poids lourd, il faut avoir conscience qu’un téléobjectif imposant sera plus difficile à manier. Mieux vaut commencer avec un appareil classique. »

Le Canon EOS Ra, ici monté sur un télescope, est un appareil hybride spécialement conçu pour l’astrophotographie. À considérer, une fois la phase d’initiation effectuée…©Canon

Priorité aux grandes ouvertures

En partant du principe qu’on utilise un système à optique interchangeable, priorité doit être donnée aux optiques lumineuses, plutôt grand-angles, pour photographier des sujets autres que la Lune et se familiariser avec de longs temps de pose. « En astronomie, on manque toujours de lumière. On est donc toujours à l’affût d’objectifs lumineux, avec de grandes ouvertures, à f/1,4 ou f/2. On se méfie de la montée en Iso. On ouvre le diaphragme au maximum. On augmente le temps de pose, mais pas trop, en raison de la rotation de la Terre. Pour réaliser des filés d’étoiles, il faut un intervallomètre (fonction time-lapse). On capte des images pendant plusieurs dizaines de minutes sur trépied, avant de les assembler avec un logiciel. C’est très facile à faire quand on débute et très valorisant. Et peut-être que, sur l’une de ces poses, on aura la chance d’obtenir une étoile filante. »

L’assemblage de plusieurs images par la voie logicielle donne plus de densité à la Voie lactée.©Thierry Legault

La phase de postproduction est donc cruciale, mais Thierry Legault insiste sur le fait qu’il ne faut pas forcément investir dans les logiciels les plus complets et onéreux du marché : « Dans le cadre d’une initiation, tous les logiciels qui permettent de développer des Raw conviennent. On va jouer sur l’exposition, les contrastes, la balance des blancs. Le ciel a par exemple tendance à tirer vers les rouge-orange à cause de la pollution lumineuse. Il ne faut pas “torturer” une prise de vue astronomique. S’il y a un problème, c’est qu’il est survenu à la prise de vue : le temps de pose est trop court, le diaphragme pas assez ouvert, l’environnement pas assez sombre, etc. »

Repérage céleste

Reste un aspect crucial, quand on situe vaguement La Grande Ourse et que le calendrier des éphémérides nous est étranger. À défaut de maîtriser quelques fondamentaux en matière d’astronomie, on peut faire confiance à quelques applications sur son smartphone pour cadrer à bon escient. Thierry Legault en cite quelques-unes : « Je pense surtout aux applis de cartographie du ciel, qui proposent un affichage en temps réel, pour identifier les constellations et les planètes. Sky Map, Star Tracker ou Stellarium, qui montre le ciel depuis n’importe quel lieu, à n’importe quelle date et heure de l’histoire. »

D’autres sources sont précieuses pour se repérer, comme les revues d’astronomie telles Ciel et espace et Astrosurf magazine. Thierry Legault recommande aussi chaudement la lecture de l’ouvrage Le Ciel à l’œil nu (éditions amds), de Guillaume Cannat, dont l’édition 2022 est disponible, marquant le 20e anniversaire de la parution de la première édition.

Thierry Legault, Astrophotographie, 4e édition, aux éditions Eyrolles.©Eyrolles

Par la suite, la marge de progression est infinie, et les outils, plus élaborés, qu’il s’agisse d’appareils spécialement conçus pour l’astrophotographie (Canon EOS Ra, Nikon D810a…) ou d’accessoires dédiés aux experts pour composer avec la rotation de la Terre (les montures équatoriales). Thierry Legault est loin d’avoir fait le tour de la question : « Certains photographes photographient tout type de sujets dans le ciel. D’autres se sont spécialisés, en se focalisant sur le Soleil ou des planètes, ou en participant à la recherche scientifique en se concentrant sur les astéroïdes ou de nouvelles comètes. C’est un peu comparable à l’escalade. Il y a tellement de montagnes dans le monde, tellement de manières de les aborder, à toutes les saisons, en employant différentes méthodes. Il y a une telle diversité qu’on ne peut se lasser. » À vous de jouer !

À lire : Thierry Legault, Astrophotographie, 4e édition, Eyrolles, 170 p., 39,90 €.

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