Article

La folle (et véritable) histoire de Dofus

07 juillet 2022
Par Agathe Renac
La folle (et véritable) histoire de Dofus
©Ankama

C’est un jeu culte et légendaire. En 18 ans, des dizaines de millions de comptes ont été créés. Si Ankama est devenu un empire, son lancement a pourtant été chaotique.

Dofus a marqué toute une génération. Les joueurs et joueuses ne comptent plus le nombre d’heures passées à se perdre dans cet univers unique. C’est une Madeleine de Proust. Une vraie. Le genre de jeu dans lequel on se replonge 15 ans après, le sourire aux lèvres et des milliers de souvenirs dans la tête. Le titre a marqué des millions d’utilisateurs et continue d’attirer.

Lancé le 29 juin, Osatopia – Temporis VII (un serveur temporaire à la sauce Pokémon) a pulvérisé tous les records d’audience depuis la création du jeu – même ceux (exceptionnels) comptabilisés lors du confinement en 2020. Dofus aurait enregistré des pics de fréquentation à plus de 400 000 joueurs par jour (pour Dofus, Wakfu, Touch et Temporis). Des chiffres impressionnants pour un jeu made in Roubaix qui aurait pu ne jamais voir le jour.

Le créatif, le technique et le commercial

Ankama, c’est l’histoire de trois potes : Anthony Roux, alias ToT (An), Camille Chafer, alias Cam (Ka) et Emmanuel Darras (Ma). Dans les années 2000, ils se rencontrent à iPuzzle, une agence qui crée des sites web pour ses clients. Anthony est passionné par les figurines, les cartes Magic et le dessin. Mais, ce qu’il aime par-dessus tout, c’est raconter des histoires. Très rapidement, il devient le créatif de la bande. Camille a passé son adolescence à jouer à des jeux vidéo que ses amis lui partagent sur disquettes. Lui, c’est le geek, le vrai, celui qui a déjà conçu des petits jeux et qui comprend toute la technique. Le troisième mousquetaire, Emmanuel, est le spécialiste du marketing et des relations client.

3 000
En euros, la somme investie par chaque fondateur d’Ankama

En mai 2001, ils décident de tout plaquer pour ouvrir leur propre web agency : Ankama. Leur mission est sensiblement la même. Ils créent des sites web, mais, cette fois, pour leurs propres clients. Ils investissent 3 000 € chacun pour lancer l’entreprise. Les trois premières années sont difficiles, car les contrats sont rares. « C’était tellement compliqué au démarrage qu’on a été interdits bancaires pendant cinq ans avec ma femme », confie Anthony Roux à Konbini. Mais ils ne lâchent rien et profitent de leur temps libre pour jouer (beaucoup) et apprendre à utiliser Flash – un outil qui permet de créer des images, des animations et des vidéos sur Internet.

“Vous allez droit dans le mur”

Petit à petit, une idée émerge : et s’ils créaient leur propre jeu ? Le premier, Foo, est un jeu de plateforme sur PC. Ils enchaînent ensuite avec Arty Slot, un jeu de réflexe qui aura trois suites, dont Arty Slot Duel. Grand fan de Final Fantasy Tactics sur PlayStation, Anthony Roux s’est inspiré de cette expérience pour le développement, mais il a ajouté un détail qui lui tenait à cœur : la possibilité d’affronter d’autres joueurs.

L’équipe voit le potentiel du jeu et décide de poursuivre l’aventure. Ils créent tout un monde, des quêtes, des monstres, des métiers, des donjons, des équipements, une histoire… Après des nuits blanches et des journées de 14 heures de travail, Dofus voit le jour.

« La phrase que j’ai le plus entendue, c’est : “Vous allez droit dans le mur”, détaille Anthony Roux à Konbini. Un jeu en ligne, 56K ? Vous le faites en Flash ? Vous allez droit dans le mur. » Selon le cocréateur du jeu, Flash était « un non-choix », car ils n’avaient pas les moyens de développer le titre autrement. ToT a donc dû imaginer des décors et des personnages peu détaillés et assez légers pour être supportés par l’outil.

« On est partis sur un rendu japonisant, car ils ont une culture de la simplification et de l’efficacité dont on avait besoin pour Flash », résume-t-il au média français. Ce qui semblait être une contrainte est finalement devenu une force. Grâce à cet outil, les utilisateurs n’ont pas besoin d’une machine de guerre pour se lancer dans l’aventure. Ils peuvent jouer sur n’importe quel PC, ce qui rend le titre accessible à un très large public. Ce design unique a aussi participé à sa popularité, en lui donnant une identité propre et assumée.

©Ankama

Autre particularité de Dofus : ses noms plus improbables les uns que les autres. Pourtant, là encore, rien n’était calculé. Xelor (Rolex), Sadida (Adidas), Enutrof (Fortune), Eniripsa (Aspirine)… Les personnages et qualifications sont des jeux de mots qui parodient le quotidien et la pop culture.

Anthony Roux explique à Konbini qu’ils ont été écrits lors d’une nuit blanche. « On en avait marre d’écrire des trucs classiques. À trois heures du matin, c’est parti en vrille et on a mis que des conneries. Le lendemain, d’autres personnes de l’équipe sont arrivées, ont testé le jeu, et elles étaient mortes de rire. Dans notre tête, c’était un délire, on pensait le changer. »

450 000 joueurs séduits en un an

Le 1er septembre 2004, la première version du jeu sort avec ses blagues et son monde singulier. L’accès est gratuit, mais l’utilisateur doit s’abonner pour découvrir de nouvelles zones sur la map. Les créateurs fixent alors l’abonnement de base à 5 € (que de nombreux adolescents paient en cachette avec le téléphone de leurs parents). Durant la phase de lancement, ils réussissent à attirer 1 000 joueurs.

Dofus commence à fonctionner et de nouveaux utilisateurs se laissent tenter chaque mois. Six mois plus tard, les revenus mensuels montent à 600 000 €. Un an après sa sortie, le titre peut compter sur 450 000 joueurs et 25 000 abonnés. Face au succès, l’équipe grandit. Ils passent de quatre à plusieurs dizaines de salariés.

Le 23 novembre 2004 sort un autre jeu qui deviendra culte : World of Warcraft. Anthony Roux confie à Konbini que cette nouveauté les a inquiétés. « On s’est dit qu’ils allaient nous faire énormément de mal parce qu’ils faisaient la même chose que nous, c’est un jeu communautaire. Au final, ils ont démocratisé le MMO et ça nous a ramené énormément de joueurs. »

Pour le créateur, cet esprit de communauté fait la force de Dofus. Au début des années 2000, les réseaux sociaux n’existent pas encore et le jeu donne la possibilité aux utilisateurs de communiquer et de nouer des liens. « Énormément de personnes se sont rencontrées grâce à Dofus et sont devenues amies, se sont mariées, ont eu des enfants… », s’amuse ToT.

Quand l’empire Ankama contre-attaque

Le succès est exponentiel. En mars 2007, le jeu compte plus de trois millions d’utilisateurs, dont 20 % de femmes. Cinq ans après son lancement, Dofus dévoile une version 2.0 et les chiffres s’affolent. En 2010, le jeu enregistre son record d’audience : 200 000 joueurs et joueuses sont connectés simultanément. Le titre grandit et s’exporte à l’international.

Aujourd’hui, Ankama compte 250 salariés (dont des informaticiens, des graphistes, des animateurs…) et a enregistré un chiffre d’affaires de 38 millions d’euros en 2021. L’entreprise a réussi à développer son univers à travers divers supports comme des films, des BD, ou encore de nouveaux jeux vidéo. Leurs séries animées sont diffusées dans le monde entier, et Radiant est le premier manga français à s’être fait une place au Japon. Dofus, c’est finalement une histoire de qui fait du bien, et nous rappelle que rien n’est impossible.

À lire aussi

À lire aussi

Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste