Le roman graphique est un art majeur, capable de lier l’intime à l’universel avec force. Qui de mieux pour incarner et explorer ce genre, tantôt drôle, tantôt bouleversant, que l’une des artistes les plus emblématiques de la BD française actuelle ? De ses débuts de blogueuse à ses succès internationaux, Pénélope Bagieu s’impose comme l’ambassadrice idéale de ce mois spécial. Une occasion rêvée de mettre en lumière des récits graphiques percutants, qui résonnent avec son univers audacieux.
Longtemps cantonnés à une niche, les romans graphiques ont explosé ces dernières années, portés par des auteurs qui n’hésitent pas à sortir des cases. Pénélope Bagieu est l’une de ces figures de proue. À l’occasion du mois de la BD, retour sur le parcours de celle qui a bousculé les codes et focus sur les coups de cœur du moment, entre pépites méconnues et incontournables.
Pénélope Bagieu, la voix d’une génération
C’est l’histoire d’une ascension fulgurante qui ferait presque un bon scénario de BD. Tout commence sur la toile avec son blog intitulé Ma vie est tout à fait fascinante, où son trait vif et son humour décapant séduisent immédiatement. Très vite, Pénélope Bagieu s’impose comme une référence ; si l’on se souvient évidemment de Joséphine, l’héroïne aux hanches larges et aux tracas quotidiens, c’est pourtant avec des œuvres plus ambitieuses qu’elle conquiert définitivement le grand public et la critique.
Impossible de ne pas citer Culottées, ce diptyque devenu culte – et adapté en série d’animation – qui brosse le portrait de femmes ayant bravé leur destin. Un projet féministe et pop qui a résonné dans le monde entier, traduit dans de multiples langues et récompensé par le prix Eisner aux États-Unis.
Mais Pénélope Bagieu, c’est aussi une capacité à se renouveler sans cesse. De l’adaptation rocambolesque de Sacrées Sorcières de Roald Dahl au récit autobiographique touchant avec Les Strates, elle explore, elle ose. Une effervescence créative et une curiosité insatiable qui en font la guide idéale pour nous orienter dans la jungle des sorties littéraires.
La nuit retrouvée – Lola Lafon et Pénélope Bagieu (Gallimard BD)
Mais avant cela, on revient sur son récent projet, pour lequel elle s’est alliée à la romancière contemporaine majeure et talentueuse : Lola Lafon. Dans La nuit retrouvée, la sensibilité littéraire de l’une rencontre l’humour tendre de l’autre. Ensemble, elles nous entraînent au cœur de la forêt des Landes, dans l’intimité moite d’une nuit d’été. C’est le décor feutré choisi par une mère pour délivrer un lourd secret à sa fille. Loin des éclats, l’émotion surgit de cet équilibre parfait entre la finesse psychologique du récit et la justesse du dessin. Une exploration douce et puissante des non-dits et des liens mère-fille, à découvrir sans attendre.
La sélection coups de cœur en romans graphiques
Là où tu vas – Étienne Davodeau (Futuropolis)
Quand le maître du reportage dessiné tourne son regard vers l’intime, le résultat est poignant. Dans Là où tu vas, Étienne Davodeau délaisse les grands espaces pour une immersion totale dans le quotidien de Françoise, sa compagne. Son métier ? Accompagner ceux qui s’égarent dans le brouillard d’Alzheimer et autres maladies neuro-dégénératives. En se faisant l’ombre de celle qu’il aime, l’auteur use de toute la sensibilité de ses planches pour nous raconter ce voyage au pays de la mémoire qui flanche. Une chronique réaliste et vibrante qui célèbre l’instant présent et le lien humain. Un témoignage nécessaire !
Gatsby le Magnifique – Benjamin Lacombe et Francis Scott Fitzgerald (Gallimard Papillon Noir)
C’est un monument de la littérature américaine qui s’offre ici un écrin de toute beauté. Sous les crayons de Benjamin Lacombe, Gatsby Le Magnifique, chef-d’œuvre de F. Scott Fitzgerald, se métamorphose en une odyssée visuelle envoûtante. L’illustrateur capture comme personne la fièvre des Années folles, mêlant une esthétique Art déco ciselée à son univers poétique. Entre l’or des fêtes décadentes et l’ombre des destins brisés, il tisse un parallèle fascinant entre les héros de papier et le couple mythique Zelda et Scott. Plus qu’un livre, un objet d’art total qui revisite le rêve américain – et ses désillusions – avec une élégance sombre.
Kennedy(s) – Philippe Pelaez et Bernard Khattou (Glénat)
On reste aux États-Unis, mais on quitte le faste des soirées mondaines pour les coulisses du pouvoir. Tout le monde connaît la fin de l’histoire : Dallas, 1963. Mais connaissez-vous vraiment les débuts ? Avec Kennedy(s), les auteurs ne cherchent pas à résoudre l’énigme de l’assassinat, mais à en disséquer les racines. Des docks de Boston à la Maison Blanche, ce roman graphique au noir et blanc tranchant remonte le fil d’une dynastie aussi fascinante que maudite. Loin des fantasmes, l’album s’appuie sur une documentation colossale pour explorer l’ambition dévorante du patriarche et les tragédies intimes du clan. Un panorama historique vertigineux sur la fabrique d’un mythe.
Homo economicus, une brève histoire de l’économie – Daniel Cohen, Aude Massot et Laurence Trouvé (Albin Michel)
Et si l’économie devenait enfin passionnante ? C’est le pari réussi de Homo economicus qui adapte la pensée du regretté Daniel Cohen. Sous le trait malicieux d’Aude Massot, les concepts les plus ardus deviennent limpides. De la charrue à l’ère numérique, en passant par le krach écologique, ce roman graphique nous embarque dans une fresque érudite bien qu’amusante. Plus qu’un cours magistral, c’est une réflexion profonde sur notre course effrénée au bonheur et les paradoxes de nos désirs. Un indispensable pour comprendre le monde !
Un plan infaillible – Pacco (Casterman)
Pacco avait un rêve de gosse : vivre de la bande dessinée. Mais entre le fantasme et la réalité, il y a souvent un monde… et quelques galères ! Dans Un plan infaillible, album à la bonne humeur contagieuse, l’auteur conte son parcours sans filtre, mêlant anecdotes hilarantes et conseils ultra-pratiques. Une méthode en six étapes pour transformer ses envies en projet concret, le tout servi par un dessin vif et tendre. Oubliez les manuels austères : voici le boost de motivation qu’il vous fallait pour enfin oser.
Nos accords imparfaits – Cécile Dupuis et Gilles Marchand (Casterman)
L’amour, c’est comme un vinyle : il y a deux faces, et parfois elles se rayent. Face A : le quotidien d’Anton, livreur, et Hélène, violoncelliste. Ils s’aiment, écoutent de la musique, vivent en symbiose… jusqu’à ce que le silence s’invite. Anton perd ses mots, et peut-être un peu de lui-même, laissant la distance se creuser. Face B : le récit bascule dans le surréalisme. Une panne, une ville introuvable sur les cartes et un dernier colis mystérieux à livrer… à Hélène. Entre chronique de couple intimiste et voyage onirique, Nos accords imparfaits explore avec force la peur de perdre l’autre et la difficulté de communiquer. Une partition graphique bouleversante.
Les Moribonds – Florence Dupré La Tour (Casterman)
Gabriel a un sérieux problème. Ce n’est pas tant l’apocalypse qui ravage le monde, ni les hordes de morts-vivants qui grouillent partout. Non, son souci est plus pragmatique : il a faim. Car Gabriel est un vampire, et avec l’extinction de l’humanité, c’est son unique source de subsistance qui disparaît ! Avec Les Moribonds, Florence Dupré la Tour signe une tragi-comédie brillante et féroce. En inversant la chaîne alimentaire, elle livre une satire sociale mordante : que devient le prédateur aristocrate quand il n’a plus personne à « exploiter » pour survivre ? Une fable jubilatoire sur la lutte des classes et la fragilité des puissants.
La Dent – Nicolas Pitz et Pierre Lecrenier (Glénat)
On laisse ici les monstres fictionnels pour se confronter à une horreur, elle, bien réelle. « J’ai découpé Lumumba ». Cette phrase glaçante, prononcée par un mercenaire exhibant une dent comme trophée, est le point de départ de ce récit saisissant. Nicolas Pitz et Pierre Lecrenier ne se contentent pas d’expliquer la fin tragique de Patrice Lumumba ; ils retracent le destin exceptionnel de cette figure majeure de l’indépendance du Congo. Paradoxalement, le trait est lumineux et fluide, apportant une grâce inattendue à cette page sombre de l’histoire coloniale. La Dent constitue une œuvre nécessaire pour comprendre les mécanismes d’un martyr politique.
Hazara Blues – Yann Damezin et Reza Sahibdad (Sarbacane)
Né à Mashhad, Reza apprend vite qu’être Hazara fait de lui un paria. En Iran comme en Afghanistan, ses origines le condamnent au racisme et à l’exclusion. Son seul refuge ? Le cinéma, découvert clandestinement via des VHS. Bravant les interdits – jusqu’à se déguiser en imam pour étudier – il reçoit un prix au Vatican qui scelle son destin : l’exil plutôt que la soumission. Des geôles iraniennes aux campements de Stalingrad à Paris, Hazara Blues relate un parcours migratoire marquant. Un témoignage brut sur la condition de réfugié, porté par une passion vitale pour le 7e art.
Pour le lectorat peu effrayé par une pile à lire qui n’en finit pas, voilà encore d’autres titres qui devraient plaire !
- Les Guerres de Lucas, épisode 2 – Laurent Hopman et Renaud Roche (Deman)
- God Bless America – PF Radice et Richard Morgiève (Sarbacane)
- Sapiens, tome 4 – Yuval Noah Harari, David Vandermeulen et Daniel Casanave (Albin Michel)
- Son odeur après la pluie – José Luis Munuera (Le Lombard)
- Le Journal de Samuel – Émilie Tronche (Casterman)
- Libres d’obéir – Philippe Girard et Johann Chapoutot (Casterman)
- Le Paradoxe de l’Abondance – Hugo Clément, Vincent Ravalec et Dominique Mermoux (Dargaud)
