Amoureux des vinyles, ils collectionnent les disques, les chassent, les classent, les chouchoutent. Ils ont accepté de partager avec nous leurs albums coups de cœur, leurs conseils pour bien choisir une platine, leurs 33 tours incontournables. Ce mois-ci, voici les prescriptions de Alex « CroqMac » Gimenez, DJ et fondateur des labels Croque Macadam et Requiem Pour Un Twister.
Alexandre « CroqMac » Gimenez, 42 ans, arbore la chevelure longue de ses idoles des sixties. Collectionneur passionné depuis près de 25 ans, il écume les disquaires chaque semaine à la recherche de raretés et de nouveaux coups de coeur. Avec son frère Étienne, il a fondé deux labels : Croque Macadam et Requiem Pour Un Twister. Ensemble, ils ont sorti une cinquantaine de disques en une douzaine d’années, explorant les territoires de l’indie pop, du garage et du psyché, en France comme à l’international.
Ses goûts personnels ? Ils sont (très) vastes, de la power pop, au yacht rock, de la soul au funk, en passant par le disco, la new wave, le punk ou l’électro. Loin de se cantonner aux productions anglo-saxonnes, Alex traque également les trésors musicaux francophones, espagnols, portugais, italiens ou japonais. Une curiosité insatiable qu’il cultive sur son propre site et qu’il exprime à travers des DJ sets aussi érudits que festifs dans des lieux parisiens comme le Supersonic.
Cet infatigable digger nous livre ses recommandations pointues pour plonger dans l’univers du vinyle entre indispensables et pépites cachées.
Te souviens-tu de ton tout premier vinyle ?
Quand j’étais petit, j’ai eu quelques 45 tours, je me souviens notamment d’un single des Avions (« Be Pop ») et du générique de Bioman ! Quand j’ai commencé à acheter des disques avec mon argent de poche se fut cependant des K7 ou des CDs. Le premier CD fut un maxi de Björk (Army of Me).
J’ai commencé à acheter des vinyles, quelques années plus tard, à 18 ans. Avec mon frère, nous avions racheté les platines d’un pote. Mon premier achat vinyle fut alors un maxi du producteur britannique Deejay Punk-Roc, le morceau funky One More Bump, chez le disquaire Silly Melody, une boutique vers St-Michel, à Paris, désormais disparue. À cette époque-là, j’écoutais énormément de big beat, un courant anglais de musique électronique de la fin des années 90. Beaucoup de maxis dans mes premiers achats, puis des singles 45 tours.
Qu’est-ce qui t’a fait tomber amoureux du vinyle ?
Je suis très attaché à la matérialité de la musique. Il est facile de s’en moquer ou de trouver cela passéiste. J’aime cette idée de pouvoir piocher un disque et l’écouter. Cette spontanéité et le hasard me manquent souvent en passant au numérique.
J’aime le format vinyle : je le trouve beau. L’expérience de tenir la pochette d’un album entre ses mains est irremplaçable. Pouvoir se perdre les crédits et découvrir les musiciens présents pendant l’enregistrement est un sentiment génial. J’aime aussi ses limitations techniques, à commencer par la durée. Une quarantaine de minutes offre une durée parfaite, surtout avec la pause obligatoire entre les deux faces. Tout cela conduit un album en vinyle à respirer, il est plus facile de s’y projeter.
Le CD est un excellent format également mais les groupes ont eu tendance à abuser de la possibilité de les remplir à ras bord (74 minutes). Le vinyle m’apparaît donc comme le support offrant la meilleure expérience d’écoute.
Quel est le nombre approximatif de vinyles dans ta collection ?
Je ne les compte plus depuis fort longtemps. De surcroît, mon discogs n’est pas non plus à jour ! J’avais entrepris de le faire, à la main, pour les 45 tours, il y a 5-6 ans. Le total dépassait les 7000 disques ! Je pense que je dois être autour de 20 000 disques, désormais, en incluant tous les formats. C’est beaucoup trop : je ne recommande pas ! Cela prend beaucoup de place. Les gros collectionneurs ont la hantise des déménagements.

As-tu une platine automatique ou manuelle ?
J’ai des platines manuelles : je préfère les platines style « DJ ». Ce n’est pas une question de purisme. Ce type convient mieux à mon usage personnel. Je les trouve plus rustiques et adaptées à quelqu’un moyennement soigneux dans mon genre. J’aime leur simplicité et efficacité. J’ai toujours peur de casser la courroie ou de mal poser le diamant sur les platines hi-fi.
Tes conseils pour choisir une platine ?
J’ai écrit un papier complet sur le sujet ! Je pense qu’il vaut mieux démarrer sur un modèle milieu de gamme si on en a la possibilité. Pour moi parmi les critères importants à regarder: peut-on changer la cellule par une autre marque sur le marché ? Peut-on la régler (poids, anti-skating…) ?
De ce fait, je conseillerais d’éviter les modèles « en valise » qui généralement ne permettent pas faire de réglages. Il faut, selon moi, faire très attention à la sortie : ligne ou phono ? C’est important vis à vis de l’amplificateur. Sur la courroie ou entraînement direct (comme les machines à laver), je préfère personnellement les « direct drive » mais c’est une question de goût et d’usage.
Je possède actuellement trois platines en fonctionnement chez moi : une Technics SL-1200MK7, une Stanton ST150M2 et une Audio Technica AT120-LP USB. Cette dernière (ou sa remplaçante, la AT120XUSB) me semble être un excellent rapport qualité/prix. Un excellent modèle pour se faire plaisir, tout en restant dans un budget accessible.
Tu préfères écouter au casque, en enceintes, ou en mode salon plein volume ?
Les trois ! Mais à l’usage je pense que j’utilise le plus régulièrement mes enceintes de bureau branchées sur ma table de mixage. J’ai une configuration sympathique dans mon salon, mais j’y passe moins de temps que dans mon bureau. Cet endroit est une tanière avec une énorme bibliothèque de vinyles !
J’aime bien aussi l’écoute au casque, car cela permet de rentrer complètement dans la musique. J’ai deux casques de prédilection, des classiques, à savoir le Beyerdynamic DT770 et le Sennheiser HD25. Le premier est neutre, très confortable, tandis que le second est parfait pour les dj sets.
L’album que tu recommandes pour initier quelqu’un au vinyle ?
Réponse classique mais efficace: Aja (1977) de Steely Dan est un bon point de départ. En plus d’avoir un enregistrement très soigné, Aja est un album génial musicalement. J’ai appris à aimer Steely Dan avec les années… comme le café ! Ce sont deux nerds de musique. Ils ont fait appel à la crème des musiciens de studio.
Dans un autre genre, la discographie de Pink Floyd, et en particulier Dark Side of The Moon (1973), est aussi une bonne option. Rumours (1977) de Fleetwood Mac est aussi un super disque à découvrir, accessible et réussi. Si vous voulez creuser ce groupe, je vous invite à découvrir leurs albums du début des années 70 (Future Games, Bare Trees ou Mystery to Me) ainsi que l’unique album de Buckingham Nicks, paru en 1973.
D’une manière générale, je recommanderais de se faire plaisir et de trouver un album qui a du sens pour soi.
Le meilleur album live à écouter en vinyle ?
Je ne suis pas un fanatique du live sur disque, à quelques exceptions. Il y a cependant deux lives que j’apprécie énormément: Otis Redding (Live in Europe – 1967) et Donny Hathaway (Live – 1972). Otis et Donny sont deux chanteurs soul fabuleux, aux destins tragiques, avec deux disques pleins de ferveur. Sur l’album d’Otis Redding, le public s’emballe, on a l’impression d’y être ! Chez Donny Hathaway, la version de The Ghetto est à couper le souffle.
Un album que tu aimerais voir réédité en vinyle ?
Le nombre est interminable, d’ailleurs, régulièrement, je fais des listes d’albums à rééditer sur mon site. Si je ne devais en mentionner qu’un, je pense que je partirai sur l’unique album d’Ilous, sorti en 1974. Ce disque est une merveille de pop française et y gagnerait certainement un petit public supplémentaire à l’étranger. Bernard Ilous n’a pas eu la carrière solo qu’il méritait mais c’était un musicien de studio réputé et apprécié. Vous pouvez l’entendre sur certains albums de France Gall ou Véronique Sanson.
Un morceau qui sonne vraiment mieux sur vinyle qu’en numérique ?
Une question presque philosophique ! D’une manière générale, probablement un morceau des années 60/70. Après il y a tellement de critères à prendre en compte : qualité du pressage, de la source, du mastering… Une bonne source numérique vaut mieux qu’un vinyle rincé.
En tout cas, je suis toujours bluffé de la manière dont sonne Send me a Postcard des Shocking Blue en vinyle. Ce morceau a une sacrée patate ! Shocking Blue était un groupe néerlandais avec une chanteuse d’origine hongroise (Mariska Veres). Pour l’anecdote, Nirvana a repris une de leurs chansons (Love Buzz).
Un duo d’artistes rêvé pour une face A/face B ?
Sur notre label (Croque Macadam), nous avons fait quelques sorties avec des collaborations de ce genre. Il y a notamment un disque où les Young Sinclairs reprennent les Hanging Stars et inversement. Ces deux groupes partagent beaucoup d’influences communes. C’était vraiment chouette de les retrouver sur le même 45 tours.
Sinon, j’adorerais une collaboration entre Michael McDonald (des Doobie Brothers) et Michael Rault (excellent musicien indé signé chez Wick). D’autres duos qui m’amuseraient beaucoup : The Lemon Twigs avec Paul McCartney, Bertrand Burgalat avec Michel Jonasz, Diane Tell avec Klaus Johann Grobe. Ce dernier duo marcherait superbement, je pense.
Une pochette de disque que tu pourrais accrocher chez toi comme une œuvre d’art ?
Réponse efficace : le premier album du Velvet Underground par Warhol ! D’ailleurs, ma chérie en a fait une version en tufting magnifique. Côté suggestions moins évidentes : j’ai quelques pochettes du label Requiem Pour Un Twister dans un couloir au mur, dont celle de l’album de Triptides, Visitors (2018). Le visuel a été dessiné par Jeremy Perrodeau, un illustrateur de bande dessiné, et je le trouve sublime.
D’une manière générale, j’adore la « ligne claire », un style graphique inspiré d’Hergé, particulièrement populaire dans les années 80. Nous retrouvons cette esthétique, par exemple sur ces pochettes : A Treat of a New Beat (1980) des Rousers (Joost Swarte), Regarde le Ciel (2012) d’Aline (Martin Etienne) et La Belle Vie (1983) de Bill Baxter (Ted Benoit). J’adore également l’illustration de Bye Bye Baby (2021) de Requin Chagrin par Guy Billout.
Le vinyle préféré de ta collection ?
Beaucoup trop évidemment ! Néanmoins, je vais m’arrêter sur l’unique 45 tours des Gyspsys, une formation française beat/garage des années 60. Compte tenu des conditions difficiles, je trouve ça admirable d’avoir un aussi bon single de rock en France à l’époque (1966). Ce vinyle est à la croisée de beaucoup de choses qui m’intéressent : la francophonie, le son beat/garage et les années 60.
Certaines sorties des labels me tiennent aussi beaucoup à coeur, par exemple le premier single des Guillotines (L’aube en 2011) ou Azur (2015) de Triptides.

Un disque que tu pourrais écouter en fond sonore toute la journée ?
Question difficile ! J’ai tendance à faire tourner les albums sur plusieurs semaines à raison d’une ou deux écoutes complètes par jour. Je partirais ainsi sûrement sur un disque qui me plaît toujours autant avec les années, par exemple Odessey and Oracle (1968) des Zombies. Cet album est une merveille de pop psychédélique. L’histoire a été un peu dure avec eux (le groupe s’est séparé dans la foulée), mais sa reconnaissance tardive a mis cet album sur le chemin de nombreux passionnés.
Et le vinyle parfait du dimanche ?
Pour un dimanche ensoleillé, il faut de la musique joyeuse et uptempo ! Ce serait alors Vontade de Rever Você (1981) de Marcos Valle. Sur cet album, le chanteur brésilien collabore avec Leon Ware. C’est un super album, pont entre la culture brésilienne (MPB) et nord-américaine (soft rock, soul, funk).
Si le temps est maussade, un disque plus intimiste, avec des tonalités folk. Deux me viennent tout de suite en tête : les magnifiques Five Leaves Left (1969) de Nick Drake et La Question (1971) de Françoise Hardy, un des albums les plus beaux en langue française et l’un des préférés de mon amoureuse, Joséphine. Pour rester dans la francophonie, je complète d’ailleurs avec Les Cinq Saisons (1975) d’Harmonium, un disque québécois somptueux et délicat.
Est-ce qu’il y a un disque que tu ne passes jamais parce qu’il est trop précieux ?
Certains, oui ! J’ai perdu un 45 tours des Flirtations (Nothing but a Heartache avec la pochette française) il y a quelques années. Je m’en mords toujours les doigts.
Il est presque certain que je n’amènerai jamais le 45 tours des Nerves en soirée aussi. Il s’agit d’une formation powerpop californienne de la fin des années 70. Sur ce disque, on retrouve notamment la version originale de la chanson Hanging on the Telephone, reprise par Blondie, mais mon morceau préféré de l’EP est When You Find Out.
Un artiste actuel qui devrait sortir un vinyle collector ?
Les conditions pour sortir des vinyles ne sont pas les plus simples. L’augmentation des tarifs pour presser des disques et la difficulté de vendre des vinyles (en tout cas dans la musique indépendante) sont de vraies difficultés. Je pense que je serai preneur d’une compilation de morceaux rares de Tame Impala, regroupant des morceaux parus ici et là comme sa collaboration avec Thundercat (No More Lie), avec Diana Ross (Turn Up the Sunshine) ou le titre Patience.
Ton dernier vinyle acheté ?
Je vais régulièrement chez les disquaires, presque toutes les semaines. Mon dernier achat est Exotic Illusions de D.D. Mirage, l’excellent premier album d’un duo australien, trouvé chez Betino’s. De la musique funky et dansante, avec des synthétiseurs, pas très loin de Nu Genea, par exemple.

Exotic Illusions de D.D. Mirage
J’achète des vinyles d’occasion comme neuf. Malheureusement, le prix des nouveautés a beaucoup explosé depuis quelques années. Je suis donc un peu plus sélectif et j’achète moins sur la base d’un coup de cœur pour une chanson.
Le graal absolu de ta wishlist vinyle ?
Je serais extrêmement heureux de récupérer un pressage original du premier album de Big Star (#1 Record sorti en 1972) tant cet album revêt une importance particulière à mes yeux, c’est un des plus beaux disques de rock des années 70. Ce groupe avait des songwriters très talentueux, Alex Chilton et Chris Bell.
Je découvre régulièrement des disques qui me font de l’œil. C’est une quête sans fin et c’est vraiment le plaisir et la richesse de cette passion.
Tes disques préférés pour l’été ?
J’adore la compilation Latin Soul – New York Barrio Grooves 1966-1972 éditée par Nascente au début des années 2000. Le boogaloo fonctionne bien avec l’été et c’est probablement ma compilation favorite couvrant le genre (la plus didactique et consistante).
Dans un autre registre, je réécoute aussi souvent des albums d’America ou Crosby Stills & Nash à cette période de l’année, leurs premiers albums respectifs, parus en 1971 et 1969. Le folk-rock aux harmonies travaillées répond aussi très bien aux hausses de température. Evidemment, c’est aussi une excellente période pour revenir à la musique brésilienne et pourquoi pas le récent album hommage à la MPB de Léo Blomov (Blomovinho sorti en 2025 chez Tricatel), très réussi.