
Du raffinement du Dit du Genji aux hallucinations modernes de Kafka sur le rivage, la littérature japonaise offre une plongée unique dans l’âme d’un archipel où le silence, la beauté, la violence et la mélancolie dialoguent en permanence. À l’occasion de la Japan Mania, voici les chefs-d’œuvre à découvrir ou redécouvrir absolument.
Je suis un chat – Natsume Sôseki (Gallimard)
Avec un humour acide et un regard implacable, un chat errant observe la société japonaise de l’ère Meiji. Publié pour la première fois en 1905, Je suis un chat, véritable roman fondateur, est bien plus qu’une fantaisie animalière : il signe l’entrée de la modernité dans la littérature japonaise. Natsume Sôseki, considéré comme l’un des pères des lettres nippones modernes, y mêle satire sociale, philosophie de l’absurde et réflexions existentielles. Un chef-d’œuvre ironique, lucide et toujours actuel.
Le marin rejeté par la mer – Yukio Mishima (Gallimard)
Quand un jeune garçon découvre la liaison de sa mère avec un officier de marine, il organise avec sa bande d’amis une vengeance glaçante. Derrière les mots de l’ouvrage Le marin rejeté par la mer se dessine l’obsession de Yukio Mishima pour l’honneur, la pureté et la décadence. Ce court roman, tendu comme un sabre, illustre à merveille l’esthétique tranchante de l’un des écrivains les plus énigmatiques du Japon du XXe siècle.
Kafka sur le rivage – Haruki Murakami (10-18)
À la croisée du rêve et du réel, ce roman culte suit un adolescent en fuite et un vieil homme capable de parler aux chats. On y retrouve l’univers onirique et musical propre à Haruki Murakami, entre références littéraires occidentales et étrangeté japonaise. Publié en 2002, Kafka sur le rivage est un labyrinthe romanesque inoubliable, oscillant entre quête d’identité et introspection fantastique. Magistral !
Les Belles endormies – Yasunari Kawabata (Le Livre de Poche)
Un vieil homme s’installe dans une maison close très particulière où de jeunes filles endormies sont offertes au regard des clients, sans qu’ils puissent les réveiller. Cette fable trouble et méditative interroge le désir, la solitude et la mort. Prix Nobel de littérature en 1968, également connu Tristesse et Beauté, Yasunari Kawabata signe avec Les Belles endormies une œuvre à la sensualité énigmatique, où la avec beauté devient un dernier refuge face au temps qui passe.
Rashômon et autres contes – Akutagawa Ryûnosuke (Gallimard)
Maître de la nouvelle, Akutagawa Ryûnosuke est un pilier de la littérature japonaise moderne. Ces récits brefs, souvent cruels et ambigus, inspirèrent Kurosawa pour son film Rashômon. Le mensonge, la perception et la subjectivité sont au cœur de ces textes, où chaque vérité est réversible. Une lecture fulgurante, d’une densité rare.
Le Pavillon d’Or – Yukio Mishima (Gallimard)
Inspiré d’un fait réel – l’incendie du célèbre temple Kinkaku-ji de Kyôto – ce roman explore les tourments d’un jeune bonze fasciné jusqu’à la folie par la beauté du Pavillon d’Or. Une réflexion vertigineuse sur l’esthétique, la destruction et le besoin d’absolu. Yukio Mishima y déploie toute la puissance de sa prose, entre lyrisme à couper le souffle et noirceur psychologique.
Le Dit du Genji – Shikibu Murasaki (Verdier)
Écrit au XIe siècle par une dame de cour, Shikibu Murasaki, ce roman fleuve est considéré comme le premier véritable roman psychologique de l’histoire. Il retrace la vie sentimentale du prince Genji, figure emblématique de l’idéal courtois japonais. Fresque raffinée de la vie à la cour de Heian, Le Dit du Genji, texte fondateur, continue de fasciner par sa finesse d’analyse, sa sensibilité esthétique et son atmosphère onirique.
Pays de neige – Yasunari Kawabata (Le Livre de Poche)
Dans les montagnes du nord du Japon, un homme de la ville entretient une liaison avec une jeune geisha. La beauté du paysage enneigé contraste avec l’impossibilité des sentiments durables. Épuré, mélancolique, Pays de neige illustre à merveille l’art du non-dit et du minimalisme émotionnel qui fait la grandeur de Yasunari Kawabata. Une lecture aussi fragile qu’un flocon sur la paume, d’une poésie rare.
Soleil couchant : crépuscule de l’aristocratie – Osamu Dazaï (Gallimard)
Soleil couchant : crépuscule de l’aristocratie, racontant la chute d’une famille aristocratique dans le Japon d’après-guerre, devient le miroir d’une société en pleine mutation. Dans ce roman empreint d’autobiographie, Osamu Dazaï mêle désespoir, tendresse et lucidité sur la fin d’un monde. Une œuvre poignante, marquée par le style direct et intime de l’auteur de la célèbre Déchéance d’un homme, ouvrage écrit peu de temps avant sa mort.
Naufrages – Akira Yoshimura (Actes Sud)
Dans un village isolé du Japon médiéval, les habitants attendent les naufrages pour survivre. Le destin d’un jeune garçon se heurte à une tradition cruelle, au rythme des saisons. Porté par une écriture sobre et puissante, Naufrages, d’une noirceur fascinante, explore les ressorts de la misère et de la fatalité. Akira Yoshimura nous livre ici une fable saisissante, aussi violente que contemplative.
Ces romans incarnent toute la richesse de la littérature japonaise : une tension constante entre beauté et douleur, tradition et modernité, contemplation et tragédie. Lire le Japon, c’est aussi écouter ses silences. Et parfois, s’y perdre pour mieux se retrouver.