Découvrir Agnès Varda : par où commencer ?

1962 : Cléo de 5 à 7, la fiction réinventée

Bien avant la série 24, le mode narratif du « temps réel », par lequel un film raconte des événements sans ellipse, a été immortalisé au cinéma par Agnès Varda. Cléo de 5 à 7, réalisé à une époque d’expérimentations multiples du cinéma français (ce que l’on nomme la « Nouvelle Vague ») part d’un scénario assez simple : une jeune femme, Cléo (Corinne Marchand), chanteuse de son état, attend l’heure fatidique de 18h30, soit le moment des résultats d’une analyse médicale. Le film raconte donc les 90 minutes qui précèdent, depuis une séance de cartomancie jusqu’au moment de l’annonce (ou non) d’une suspicion de cancer. Dans l’intervalle, Cléo s’éveille à la connaissance de l’autre, à travers sa rencontre, entre autres, avec un soldat en permission, et prend conscience de la gravité (et de l’importance) de la vie. Chef-d’œuvre du cinéma des années 1960, Cléo de 5 à 7 a contribué à la reconnaissance internationale d’Agnès Varda, qui livrait là, aux côtés d’À bout de souffle ou du Beau Serge, un témoignage de la vitalité et de l’audace du cinéma français intimiste de l’époque. Le film est à retrouver, avec ses autres fictions, dans le Coffret Le Cinéma d’Agnès Varda.

1975 : Daguerréotypes, le documentaire de création

Les premières vues photographiques de Paris sont des « daguerréotypes », une technique de prise de vue découverte en 1835 par l’artiste Louis Daguerre. Cette invention lui a valu de donner son nom à une rue du quatorzième arrondissement de la capitale. C’est là qu’Agnès Varda choisit d’introduire sa caméra en 1975, pour tourner Daguerréotypes auprès des commerçants du quartier où elle vit depuis vingt-cinq ans. Avec un dispositif léger, la réalisatrice et sa chef opératrice ont mis en images les instants de vie de ces épiciers, coiffeurs, boulangers et autres bouchers qui contribuent à l’ambiance d’un lieu. S’attardant sur leurs gestes, mais aussi sur leur parole, la documentariste livre là un témoignage unique sur la France des années 1970. C’est aussi à cette occasion qu’elle démontre son talent dans le « documentaire de création ». Le long-métrage intègre notamment des effets de cinéma direct, les entremêle avec des passages de prestidigitation, et porte la marque artistique d’Agnès Varda, qui livre l’exact inverse d’un reportage d’information avec Daguerréotypes.

1985 : Sans toit, ni loi, le grand film social

Le début de Sans toit ni loi fait frissonner à plus d’un titre. Il narre la découverte du corps d’une vagabonde, vingtenaire, Mona, morte de froid. Le film entreprend alors de raconter comment cette jeune femme a pu se retrouver dans un tel dénuement, une telle solitude. Incarnée par Sandrine Bonnaire, Mona reste tout au long du récit une inconnue insaisissable : même si différents témoignages tracent son portrait, celui-ci reste flou. Et pourtant, tout concourt à faire de l’héroïne une martyre d’une société qui a du mal à se montrer solidaire, à accueillir, à comprendre les raisons qui poussent certains à vivre en marge. Revenant à la fiction, huit ans après L’une chante, l’autre pas, Agnès Varda recueillait avec ce film les éloges de la critique (Lion d’or à Venise) et faisait de trois acteurs de la jeune génération (outre Sandrine Bonnaire, Yolande Moreau et Stéphane Freiss faisaient des apparitions remarquées) des partenaires inoubliables d’un film qui marqua son époque.

2008 : Les Plages d’Agnès, autoportrait attachant

Si nombre de documentaires d’Agnès Varda la voient se mettre en scène elle-même, elle n’était jamais allée aussi loin que dans Les Plages d’Agnès, film réalisé à l’occasion de ses 80 ans. Prenant le prétexte d’un voyage à travers ses plages préférées, la réalisatrice-photographe-artiste totale y évoque ceux qui ont compté pour elle, de son mari (Jacques Demy) à ses personnes rencontrées le temps d’un film ou d’une œuvre. Patchwork d’images, de destins, de sensations, Les Plages d’Agnès contribue également à faire découvrir sur grand écran le personnage Agnès Varda. Clownesque, habitée d’engagements politiques et artistiques certains, sensible à ce que la vie a à offrir, elle devint par le biais de ce long métrage l’octogénaire préférée du cinéma français, obtenant un vrai succès public après des années de moindre notoriété auprès du grand public. En 2019, avec Varda par Agnès, elle a donné une sorte de suite à cette autobiographie pas comme les autres, jamais égotiste, toujours partageuse.

2017 : Visages, villages, un documentaire à quatre mains

Les grands documentaristes aiment à sillonner leur pays pour en capturer l’image, l’ambiance, faire témoigner les habitants. Les Profils paysans de Depardon en sont un exemple. Visages, villages, un autre : Agnès Varda y noue un dialogue intergénérationnel avec le photographe JR. Ensemble, ils parcourent l’Hexagone avec le but avoué de rencontrer ceux qui le peuplent, de les photographier, et d’en tirer des clichés gigantesques, collés ensuite sur le territoire. Un projet artistique ambulant qui nourrit la matière d’un passionnant documentaire sur l’ouverture aux autres. JR et Agnès Varda y construisent une amitié intergénérationnelle savoureuse, en montrant la proximité de leur œuvre malgré les différences d’âge et de codes sociaux…

Et pour aller plus loin…

La biographie Agnès Varda signée Laure Adler

Le catalogue de l’exposition Viva Varda et sa bande originale.