Profondément renouvelée dans les années 1990-2000, la scène jazz vocal internationale a réussi à gagner un large public, au prix d’appels du pied vers la pop. Pour autant, de Cassandra Wilson à Katie Melua, qui publie son nouvel album ce printemps, d’authentiques grandes artistes ont émergé de ce large creuset. Voici dix d’entre elles.
Cassandra Wilson – Blue Light ‘Til Dawn (1993)
Si la voix de Cassandra Wilson, avec son timbre chaud et ses inflexions swingantes, rappelle sans peine les grandes artistes du jazz vocal (Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Sarah Vaughan voire Nina Simone), la chanteuse américaine incarne aussi une certaine modernisation de cette scène. Son disque Blue Light ‘Til Dawn, avec ses reprises de hits disco (I Can’t Stand the Rain) en version bluesy, son titre accapella (Sankofa), et sa reprise guitare-voix du standard You Don’t Know What Love Is, s’éloignait des arrangements traditionnels pour proposer une épure digne d’admiration.
Diana Krall – All for You (1996)
Au mitan des années 1990, une chanteuse de 20 ans révolutionnait le jazz vocal. Après que sa voix a ému des titans du jazz traditionnel, notamment le bassiste Ray Brown, Diana Krall débarquait du Canada pour enchaîner les « hits ». All For You, son album hommage au répertoire de Nat King Cole a notamment reçu de nombreux éloges et révélé un certain sens de la reprise surprenant, dont elle ne devait plus jamais se départir. Par ses chiffres de vente et ses multiples Grammy, la pianiste-chanteuse est rapidement devenue la tête de proue du nouveau jazz vocal, se rapprochant souvent de la pop sans jamais franchir le rubicond.
Norah Jones – Come Away With Me (2002)
En Europe, au début des années 2000, la diffusion en boucle de Don’t Know Why et Come Away With Me sur les radios généralistes signait le retour du jazz vocal à une audience populaire, après des années de disette. Succédant à Diana Krall au panthéon des chanteuses jazzy les plus célèbres, Norah Jones livrait un album inoubliable, Come Away With Me, au label Blue Note. Très proche de la variété américaine traditionnelle, sa manière d’arranger et de chanter a entraîné un engouement rare et fait entrer la fille de Ravi Shankar dans le panthéon de la musique mondiale.
Madeleine Peyroux – Careless Love (2002)
Il fallait un certain culot, et un talent certain, pour accomplir le coup d’éclat de Madeleine Peyroux en 2002. S’emparant d’un hit mineur de Leonard Cohen, Dance Me To The End Of Love, la jeune chanteuse américaine en donnait une version jazz parfaite, rehaussée par un timbre unique, voilé mais chaud, qui devait devenir sa signature. Careless Love, l’album dont il est extrait, l’a installée dès 2002 comme l’une des chanteuses les plus intéressantes du jazz vocal moderne.
Patricia Barber – Verse (2006)
Signée chez Blue Note à ses débuts, la chanteuse-compositrice et pianiste Patricia Barber réunit nombre de qualités indispensables à un musicien de jazz. D’abord, au piano comme derrière le micro, elle s’avère assez inventive pour être reconnaissable au premier coup d’oreille. Ensuite, avec une véritable authenticité, elle s’est déjouée des pièges de l’industrie pour proposer des disques originaux, comme Verse, aux paroles littéraires et au son particulièrement ample. Un régal de pur jazz vocal !
Melody Gardot – My One and Only Thrill (2010)
Talent précoce du jazz vocal, Melody Gardot a vingt-cinq ans quand paraît son deuxième album, My One and Only Thrill. Très à l’aise dans un registre mélancolique/nostalgique, cette américaine à la voix pure excelle aussi dans les compositions se rapprochant de la bossa-nova. Ce deuxième opus, extrêmement varié dans ses arrangements, révélait une ouverture d’esprit qui ne devait jamais plus la quitter.
Esperanza Spalding – Radio Music Society (2012)
Grammy Award du meilleur album de jazz vocal en 2012, l’excellent Radio Music Society confirmait l’importance d’Esperanza Spalding au sein de la Great Black Music. La bassiste-chanteuse, prolongeant le travail authentique d’une Meshell Ndegeocello, signait d’excellentes compositions, notamment City of Roses, et réalisait des reprises fameuses, comme le montrait I Can’t Help It, d’après Stevie Wonder, où sa voix se mêlait au saxophone papillonnant de Joe Lovano.
Youn-sun Nah – She Moves On (2017)
Transposer la vigueur du jazz moderne dans la forme pourtant frileuse du jazz vocal : tel est le défi que mène avec brio Youn Sun Nah depuis ses débuts. La chanteuse coréenne préférée des amateurs français a grandi sans référence particulière à la Great Jazz Music. Signée à partir de 2008 sur le label avant-gardiste ACT Music, elle devait développer un art vocal à parti, à retrouver sur l’excellent She Moves On, loin d’être un disque jazz pop comme les autres !
Stacey Kent – Songs from Other Places (2022)
Suivant la grande tradition du jazz vocal, Stacey Kent est passée maîtresse dans l’art des albums dévolus à de grands classiques du répertoire américain (l’American Song Book). Sur Songs from Other Places, la diva dépasse même le cadre des reprises des standards jazz pour s’intéresser à Barbara (Les Voyages), aux Beatles (Blackbird) ou à Paul Simon, réalisant ainsi un joli album bigarré.
Katie Melua – Love & Money (2023)
Née en Géorgie avant de rejoindre le Royaume-Uni à 9 ans, Katie Melua est peut-être aujourd’hui la diva du jazz vocal qui s’est le plus éloignée, au travers de sa discographie, des canons du genre. Sur son dernier disque, sa voix fait cependant toujours mouche : Love & Money, opus apaisé, nostalgique, s’avère davantage un disque de folk-pop où son timbre joue avec le swing qu’un opus authentiquement ancré dans la Great Black Music. Pour autant, l’évolution intéressante de l’artiste montre que la scène portée par Diana Krall et Norah Jones peut mener à de belles trajectoires alternatives.