Comment raconter l’indicible ? Comment trouver les mots ? Si certains survivants tels Primo Levi ou Robert Antelme y sont parvenus dès 1947, d’autres tel Elie Wiesel, ont eu besoin d’attendre « assez longtemps pour unir le langage des hommes avec le silence des morts ». Mais écrire sur la Shoah, c’est aussi poser la question essentielle de la transmission, chère à Simone Veil et Ginette Kolinka. Ou c’est encore s’évertuer, par les voies de la fiction, à comprendre les origines du mal…
Comment raconter l’indicible ? Comment trouver les mots ? Si certains survivants tels Primo Levi ou Robert Antelme y sont parvenus dès 1947, d’autres tel Elie Wiesel, ont eu besoin d’attendre « assez longtemps pour unir le langage des hommes avec le silence des morts ».
Mais écrire sur la Shoah, c’est aussi poser la question essentielle de la transmission, chère à Simone Veil et Ginette Kolinka. Ou c’est encore s’évertuer, par les voies de la fiction, à comprendre les origines du mal…
Si c’est un homme – Primo Levi (Pocket)
Arrêté en février 1944 et déporté à Auschwitz, Primo Levi y restera jusqu’en janvier 1945, à la libération du camp. Si c’est un homme est son premier livre, publié en 1947, et demeure l’un des premiers témoignages sur l’horreur du plus grand complexe concentrationnaire du Troisième Reich. Dans Si c’est un homme, l’auteur décrit son quotidien dans le camp, la lutte et l’organisation des prisonniers pour rester en vie, rongés par cette insupportable culpabilité du survivant. L’auteur réussit à nous montrer l’horreur de son vécu. Un des piliers incontournables de la littérature de la Shoah.
Le Journal d’Anne Frank – Anne Frank (Livre de Poche)
Autre pilier, Le Journal d’Anne Frank nous plonge dans la vie de terreur et de violence d’une jeune juive allemande de 14 ans, exilée dans un Pays-Bas occupé et cachée à Amsterdam avec sa famille. Alors qu’elle se rêve écrivaine, Anne Frank reçoit pour son 13e anniversaire un journal intime dont elle entame aussitôt l’écriture. Nous sommes le 12 juin 1942. Elle y couchera ses dernières lignes le 1er août 1944, jour de son arrestation. Sept mois plus tard, la jeune fille décèdera, malade du typhus, dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Et en 1947, en publiant son journal sauvé des enfers, Otto Frank, son père, réalisait envers et contre tout le rêve de sa fille.
La Nuit – Elie Wiesel (Minuit)
Dix ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Elie Wiesel avant de pouvoir évoquer cette interminable Nuit passée avec sa famille, entre 1944 et 1945 dans l’enceinte concentrationnaire d’Auschwitz-Birkenau, puis à Buchenwald. Dans un style morcelé, celui des « chroniqueurs des ghettos », louvoyant entre les points de vue, Elie Wiesel raconte la souffrance et la faim qui rend fou, le froid et la peur. Celle de l’inhumaine « sélection » quotidienne. Il raconte aussi sa colère et sa foi pourtant profonde mais soudain violemment ébranlée. Un récit autobiographique inestimable, premier volet d’une trilogie avec L’Aube et Le jour, lent et long retour de l’écrivain à la lumière.
L’Espèce humaine – Robert Antelme (Gallimard)
Autre survivant, autre devoir de mémoire : Robert Antelme, dans L’Espèce humaine, fait le récit au jour le jour de son expérience dans les camps de Buchenwald et de Dachau. Au-delà du témoignage, l’écrivain développe une remarquable réflexion sur le statut de déporté. Coexistent dans ces pages l’homme détruit destiné à mourir et son alter ego indestructible, observant et pensant sa condition avec une incroyable clairvoyance. L’Espèce humaine est un livre « important », c’est peu de le dire, dont la lecture ne saurait se passer de celle de La Douleur écrit par son épouse, Marguerite Duras qui raconte la longue attente de son mari prisonnier.
Le Grand Voyage – Jorge Semprún (Folio)
Dans son roman autobiographique Le Grand Voyage, Jorge Semprún relate son interminable voyage à bord d’un wagon de marchandise. Départ : Compiègne. Terminus : Buchenwald. Cinq jours, quatre nuits entassées avec 114 autres détenus. À 40 ans et 17 après les faits, Jorge Semprún déroule le récit romancé de sa déportation qu’il entrelace avec d’autres souvenirs. Son arrestation, la libération du camp, la vie après la guerre… Au Grand Voyage succèderont deux autres livres : un roman, Quel beau dimanche !, sur son expérience à Buchenwald, et des mémoires, L’Écriture ou la vie, sur sa sortie du camp et la difficulté de raconter la déportation.
Une jeunesse au temps de la Shoah – Simone Veil (Livre de Poche)
Une enfance heureuse à Nice, la guerre qui éclate, la montée de l’antisémitisme puis, à 17 ans, l’horreur des camps de concentration, suivie du difficile – impossible – retour à la « vie normale » auprès de ceux qui n’y étaient pas. Extraits d’Une vie, autobiographie bien plus vaste, les chapitres qui composent cette Jeunesse au temps de la Shoah racontent avec pudeur et dignité les événements tragiques survenus dans la vie de Simone Veil entre 1927 et 1954. Une œuvre dont la concision n’a d’égale que la formidable résilience qui s’en dégage. Le combat d’une femme qui en préfigure bien d’autres.
Retour à Birkenau – Ginette Kolinka (Livre de Poche)
Simone Veil et Ginette Kolinka ont partagé le même convoi pour Auschwitz. « Elle était ma camarade de déportation ». Elle deviendra l’amie d’une vie. Dans Retour à Birkenau, Ginette Kolinka livre à son tour ce qu’elle a vécu. Déportée à 19 ans, elle se souvient des odeurs, de la faim et des coups, des appels et des poux. De la honte de la nudité et la peur de la douche. Mais aussi de cette robe offerte par Simone… Comment a-t-elle pu traverser tout cela ? Ginette Kolinka se le demande encore et le partage autant qu’elle peut. Un bouleversant récit des camps et de l’ « après » par l’un des derniers témoins de la Shoah.
Maus d’Art Spiegleman – Pierre Alban Delannoy (L’harmattan)
Ceux qui persistent à ne voir dans la BD qu’un art mineur n’ont certainement pas (encore) lu Maus d’Art Spiegleman. Dans un étonnant roman graphique anthropomorphe, l’auteur américain entrecroise deux arcs narratifs. Le récit du présent, en 1978. Celui de ses entretiens menés avec son père, Vladek Spieglman, juif polonais rescapé d’Auschwitz. Et le récit du passé, celui de ce même Vladek racontant sa déportation, de 1930 à 1945. Des dessins en noir et blanc où les juifs sont des souris et les nazis, des chats pour raconter l’enfer des camps sans aucune concession. Une œuvre majeure sur la Shoah et sa transmission. Un classique du « devoir de mémoire », récompensée en 1992 du prix Pulitzer.
La Mort est mon métier – Robert Merle (Folio)
Question épineuse que celle de la Shoah vue du côté des bourreaux. Robert Merle est le premier à s’y être essayé dans La Mort est mon métier. L’écrivain y donne la parole à Rudolf Lang, commandant du camp d’Auschwitz, chargé de mettre en place « la solution définitive du problème juif en Europe ». Et l’officier SS de s’acquitter de sa tache sans ciller et avec conscience. Nourri des interrogatoires du véritable commandant du camp Rudolf Hoess et des archives de son procès à Nuremberg, le roman fut vivement condamné à sa sortie en 1952. Le ton froid et cynique, les détails souvent crus, il demeure pourtant une glaçante illustration de la « banalité du mal » d’Hannah Arendt.
Les Bienveillantes – Jonathan Littell (Folio)
Ils ont été nombreux à sa sortie en 2006 à rapprocher Les Bienveillantes de Jonathan Littell de La Mort est mon métier de Robert Merle ou du Roi des Aulnes de Michel Tournier. Là encore, on y suit, dans une narration à la première personne, les mémoires imaginaires du Dr Maximilien Aue, juriste enrôlé dans la SS et planificateur rigoureux des « usines de la mort ». Ultradocumentée et colossale à plus d’un titre, l’œuvre fascine autant qu’elle nous met à l’épreuve. Rien ne nous est épargné de la terrifiante réalité de ce massacre de masse. Le regard du narrateur est froid, chirurgical. Et Littell de nous interroger là encore sur la dimension humaine de l’inhumain. Celui d’un mal commis « par devoir ».
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