Un imaginaire baigné d’un folklore ancestral, l’une des plus anciennes poésies, un sens inné de l’absurde et de la satire, le romantisme échevelé et le gothique inspiré, une sensibilité à fleur de peau… La littérature irlandaise est l’une des plus prolifiques et inventives au monde. En voici quelques-uns des plus éminents représentants : de Jonathan Swift à Colum McCann, de William Butler Yeats à Oscar Wild en passant par Bram Stoker ou encore James Joyce.
Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift
On connaît tous, sans forcément l’avoir lu, le roman de Jonathan Swift, Les Voyages de Gulliver. On a tous en tête, telle une lointaine réminiscence de notre enfance, l’image de ce géant fermement ficelé au pays des nains lilliputiens. Pamphlet génial, sommet de la satire sociale et politique, Les Voyages de Gulliver se voudrait la métaphore du krach boursier survenu en Grande-Bretagne en 1720 et qui coûta cher à Jonathan Swift. Une histoire culte à la portée universelle à travers laquelle le romancier prend un malin plaisir à caricaturer la société anglaise, à dénoncer la guerre, la bêtise, le mensonge et l’hypocrisie des hommes.
La Rose et autres poèmes de William Butler Yeats
Il fut l’un des fers de lance du mouvement littéraire de la « Renaissance irlandaise », cofondateur en 1904, à Dublin, de l’Abbey Theatre, berceau de bon nombre de dramaturges de l’Éire. Mais c’est en poète, l’un des plus grands du XXe siècle, que William Butler Yeats s’est imposé comme chef de file de la littérature irlandaise avec son écriture épurée et sensuelle, à la fois baignée des mythes et du folklore de son pays mais aussi, sur la fin, d’une étonnante modernité. Cette anthologie La Rose et autres poèmes en est une parfaite illustration et une excellente porte d’entrée vers l’univers de Yeats.
Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde
Un jeune homme d’une incroyable beauté voit son portrait s’enlaidir au fur et à mesure que son âme se noircit… Célèbre variation du mythe de Faust transposé au cœur de l’époque victorienne, Le Portrait de Dorian Gray reste sans doute l’œuvre la plus aboutie de Sir Oscar Wilde. C’est d’ailleurs en toute immodestie que l’écrivain reconnaissait lui-même : « Un livre est bien écrit ou mal écrit, un point c’est tout. » Le verbe noble et ciselé, le ton cinglant et pince-sans-rire, Wilde délivre une merveille de récit fantastique aux réflexions philosophiques sur des thèmes aussi variés que la jeunesse et la beauté, l’art et l’esthétique, la morale et l’hédonisme.
Dracula de Bram Stoker
Si la figure du vampire hantait déjà avant lui les pages de la littérature gothique du XIXe siècle, notamment sous la plume de Joseph Sheridan Le Fanu dans son macabre mais admirable Carmilla (1872), c’est bien Bram Stoker qui l’immortalisa en 1897 sous le nom de Dracula. Sous les traits de ce comte mystérieux aussi fascinant que repoussant, Bram Stoker a posé les bases du mythe. Celles-là même qui sont encore aujourd’hui à l’origine de toutes les déclinaisons vampiriques, que ce soit en littérature, au théâtre, au cinéma ou à la télévision. Un roman épistolaire admirablement angoissant où l’écrivain interroge les frontières troubles entre science et superstition, vice et vertu, désir et mort, Éros et Thanatos…
Ulysse de James Joyce
Tout commence le 16 juin 1904 à 8 heures pour se terminer au cœur de la nuit, sur les coups de 3 heures. Entre les deux, l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature moderne. Alors oui, Ulysse est une très longue odyssée d’un millier de pages. Un voyage aussi déroutant que fascinant où l’on suit les déambulations de Leopold Bloom et Stephen Dedalus dans la ville de Dublin. Alors que Gens de Dublin préfigurait l’œuvre monumentale, James Joyce s’amuse ici avec génie à démanteler la construction logique du discours et la structure romanesque classique. Ne voyez pas en Ulysse un livre qu’ « il faut avoir lu » mais plus une expérience de lecture à part.
En attendant Godot de Samuel Beckett
Sacrée « expérience » irlandaise encore que cette célèbre pièce de théâtre du tout aussi illustre Samuel Beckett. L’histoire de deux mendiants, Vladimir et Estragon, attendant un certain Godot qui n’arrivera jamais. S’ensuivent des inquiétudes, des rencontres et des dialogues « pour ne rien dire »… Au lendemain de l’hécatombe de la Seconde Guerre mondiale, au début de la guerre froide, le dramaturge met en scène un monde qui ne tourne pas rond et illustre l’absurdité de nos existences. En attendant Godot, une lecture aussi déconcertante que réconfortante et un pilier fondateur du théâtre du XXe siècle.
Eureka Street de Robert McLiam Wilson
Une belle ville aux maisons pittoresques, rebelle et fière, aux habitants tout aussi « colorés » qui aiment, rêvent, travaillent, boivent, rient, se chamaillent… vivent ! Bienvenue dans le Belfast de Robert McLiam Wilson. L’écrivain y est né, y a grandi, au cœur du quartier catholique ouvrier de Falls Road. Il en fait ici le personnage central de son foisonnant roman Eureka Street, chronique drolatique de deux trentenaires dans le Belfast des années 1990, à la fin du conflit nord-irlandais. S’il ne nie pas l’histoire tragique de sa ville natale, McLiam Wilson lui adresse là une véritable déclaration d’amour, suscitant une envie irrésistible d’en arpenter les rues, de pousser les portes de ses pubs, d’en rencontrer les femmes, les hommes et les enfants. Une merveille !
Et que le vaste monde poursuive sa course folle de Colum McCann
7 août 1974, New York. Le funambule Philippe Petit s’élançait sur une corde tendue entre les Twin Towers, le balancier d’acier entre les mains, 412 m sous les pieds. Vu d’en bas, comme la silhouette d’un Christ en croix… De ce miracle bien réel, Colum McCann tire les fils du destin de toute une ronde de personnages : un prêtre irlandais en mission dans les rues du Bronx, une prostituée épuisée et rongée de désespoir, des mères pleurant leurs fils morts au Vietnam… Avec Et que le vaste monde poursuive sa course folle, McCann dresse le portrait du New York effervescent des seventies et de ses humains en quête de grâce, en dépit de l’adversité. Aussi éclatant que déchirant.
Brooklyn de Colm Tóibín
Enfin, autre balade irlandaise à New York, de l’autre côté de l’East River, avec Brooklyn de Colm Tóibín : déjà auréolé du succès de son Maître, brillante immersion dans la vie et l’œuvre d’Henry James, l’écrivain irlandais évoque ici l’exil contraint vers les États-Unis d’une jeune Irlandaise dans les années 1950. La plongée dans l’inconnue et le mal du pays, la rupture et la quête d’identité… Autant de thèmes que Colm Tóibín aborde avec toujours ce sens aigu du détail dans la description des pensées et des émotions de sa discrète héroïne, ainsi que de ses personnages secondaires – le sont-ils vraiment ? Une histoire d’une très grande sensibilité qui donne autant à rêver qu’à réfléchir.
*Copyright visuel de fond : Hugues de BUYER-MIMEURE via unsplash