Ce début d’année 2022 tournera essentiellement autour de Franz Schubert, mis à l’honneur entre festivals, sorties et focus des médias spécialisés. Retour sur les chefs-d’œuvre du compositeur viennois, qui a su enchaîner les musiques les plus inoubliables au cœur d’un impressionnant catalogue de plus de mille œuvres.
Quatre impromptus D899
Œuvres d’une tranquille quiétude, Les 4 Impromptus D899 forment un cycle d’un romantisme versant calme malgré quelques turbulences. Les Impromptus de Franz Schubert sonnent comment autant de variations sur ce thème : conflit entre poésie et furia de l’Impromptu n° 1, intermède rêveur du n° 2, mélancolie nocturne parfois agitée virant à l’acceptation douce du n° 3, jusqu’au ballet aérien du n° 4. A (re)découvrir dans la brillante version récemment donnée par Alexandre Tharaud.
Sonates pour piano n° 21 à 23
L’ombre impressionnante des 32 sonates de Beethoven continue hélas d’éclipser celles de Schubert. Pourtant, pareilles à celles du maître, les 3 dernières sonates D958-960 de Franz Schubert plongent dans des abîmes d’expressivité éblouissants. Trilogie plus intime (l’influence de la musique de chambre remplace le symphonisme beethovénien), connectée par un tissage harmonique subtil, les sonates D958-960 regorgent d’éléments personnels comme des phrases irrégulières, une évolution tonale très avancée, un impetus rythmique permanent à chaque finale. La sonate D958, sans doute la plus étonnante des trois, se retrouve dans cette splendide version que l’on doit à Adam Laloum aux côtés d’une autre grande sonate : la D894, souvent considérée comme la plus belle de Schubert. (Ré)-écoutez cela sans plus tarder dans ce magnifique disque Sonatas D894 & D958.
Die Schöne Müllerin
Schubert a composé nombre de chefs-d’œuvre isolés dans le lied : Marguerite au Rouet, Le Roi des Aulnes, l’Ave Maria… mais il fut aussi un maître du cycle de lieder. Le cycle Die Schöne Müllerin (La Belle Meunière) est l’un des plus bouleversants de Schubert. L’histoire de ce jeune homme repoussé par une meunière qui lui préfère un chasseur traverse toutes les étapes de l’amour déçu version romantisme morbide, de la joie de la rencontre au suicide final. Les 20 lieder de Franz Schubert demeurent un sommet émotionnel, rythmé par un leitmotiv en forme de mouvement perpétuel symbolisant le fleuve fatal. La fantastique version que l’on doit au duo André Schuen–Daniel Heide montre que nous n’avons pas fini d’épuiser les interprétations possibles de Die Schöne Müllerin.
Schwanengesang
Rarement un titre aura autant mérité son nom : Schwanengesang ou « le chant du cygne ». Car il s’agit bien d’une des dernières compositions de Franz Schubert. Cette collection de 14 lieder embrasse la large gamme de situations et d’émotions amoureuses que Schubert a toujours su invoquer dans ses chants, de la lettre d’amour à l’adieu en passant par la rêverie passionnelle. Reconnu après sa mort, Schwanengesang n’en est pas moins un triomphe supplémentaire pour Schubert comme l’atteste l’interprétation remarquable proposée par Julian Prégardien et Martin Helmchen.
Winterreise
Plus noire que la nuit la plus noire, dans les tréfonds de l’âme assombrie, Winterreise (Le Voyage d’Hiver) est l’incarnation de la figure romantique germanique du « Voyageur ». Cet homme errant le Monde sans repos et sans but est d’abord un spectateur passif entravé par l’amour non accompli et le deuil, avant de céder la place à un plus troublant désespoir existentiel (2 lieder sur 3 sont en mineur). Ce pilier du répertoire du lied a eu droit à une magnifique version pensée par Edwin Crossley-Mercer et Yoan Hereau.
Trio pour piano et cordes n° 2
Célèbre par son utilisation lancinante dans le Barry Lyndon de Stanley Kubrick – et reprise ensuite des dizaines de fois à l’écran – ce Trio n° 2 de Schubert frappe par ses longueurs inhabituelles même aujourd’hui (près de 50 minutes). L’intensité romantique de Franz Schubert, qu’elle soit électrique ou contemplative, fait une nouvelle fois merveille, notamment dans le fameux Andante central, inspiré par un chant populaire suédois ici transfiguré par une nappe de tristesse ineffable. Il a eu droit à une interprétation mémorable dans cette intégrale des trios du compositeur.
Quatuor à cordes n° 14 « La jeune fille et la Mort »
Incontournable de tout quatuor qui se respecte, le Quatuor n° 14 de Franz Schubert déborde d’une telle violence et d’une telle résignation que l’on peut soupçonner un programme caché. L’histoire supposée – une jeune fille tente de tenir à distance la Mort – est orientée par la citation au 2e mouvement du lied éponyme. Malgré le répit du mouvement lent, le Quatuor « La jeune fille et la mort » est un enchaînement de secousses telluriques, où les éclats explosifs du 1er mouvement et la danse macabre du scherzo se résolvent dans une terrifiante tarentelle dessinant une course à l’abîme frénétique, à la coda dévastatrice. A entendre dans l’étourdissante version imaginée par le Quatuor Modigliani dans leur intégrale des Quatuors de Schubert.
Quintette avec piano « La Truite »
Aux côtés des œuvres vibrantes de désespoir ou de fureur romantiques, Franz Schubert ne fut pas avare d’œuvres plus classiques et/ou légères. Le célèbre Quintette à cordes « La Truite » (nommé à cause de la citation du lied éponyme) est une curieuse apothéose en hommage à ce poisson. Son fameux thème – parodié maintes fois – d’un amusement comique, a été pour beaucoup une porte d’entrée efficace dans l’univers de Schubert. Le Quintette « La Truite » est à entendre dans l’interprétation décontractée menée par le Quatuor Thymos, Christoph Eichenbach et Yann Dubost.
Quintette à deux violoncelles D956
Unanimement célébré comme l’un des pics absolus de la musique de chambre, le Quintette à deux violoncelles est l’incarnation même du pathos pur et sans partage que Schubert savait si bien surgir de sa plume à la fin de sa vie. Au cours de ce voyage ténébreux où l’âme humaine chante, crie et murmure sa tristesse, le Quintette à deux violoncelles trouve une résonance funéraire, au point que plusieurs instrumentistes l’ont demandé comme musique de leurs funérailles. Difficile de ne pas être saisi par la version habitée du Quatuor Ebène et de Gautier Capuçon.
Symphonie n° 8 « Inachevée »
Enigme que cette Symphonie n° 8 « Inachevée », dont Franz Schubert ne termina que les 2 premiers mouvements avant de l’abandonner. Le scherzo ne fut qu’esquissé et le finale demeure un mystère, quoiqu’une hypothèse veut qu’il soit devenu le 1er entracte de la musique de scène de Rosamunde. Pourtant, en tant que telle, l’ « Inachevée » n’en est pas moins un chef-d’œuvre accompli. La tragédie latente, parfois à nu de l’Allegro moderato trouve une résolution sublime dans la lumière paradisiaque de l’Andante, comme deux faces d’une même pièce. Le chef d’orchestre Claudio Abbado a dans Symphonies n°5 et 8 merveilleusement capté toute la richesse de cette n° 8, « Inachevée » formellement mais pas artistiquement.
Symphonie n° 9 « La Grande »
Les célestes longueurs de cette symphonie vantées par Schumann ne plurent pas au public à ses débuts. Injustice réparée aujourd’hui tant la Symphonie n° 9 de Franz Schubert est un manifeste optimiste, grandiose, d’un marbre orchestral impressionnant. Du ferme solo de cor initial à la course motorique du finale d’une jubilation constante, la Grande Symphonie en ut de Schubert est un tour de force d’une énergie cinétique sans cesse renouvelée. Tout y est frais, joyeux, physique, à écouter sans retard dans l’intégrale de référence, Les symphonies, dirigée par Nikolaus Harnoncourt.
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