En musique aussi, les femmes doivent encore jouer des coudes au 21ème siècle, et bien leur en prennent. Toucher soul, spirituel, contemporain, blues ou gospel, découvrez l’actualité du jazz dont les frontières sont si mouvantes que les codes musicaux que l’on qualifie de « classique » s’évaporent comme l’eau en cette période de réchauffement climatique. Focus sur cinq artistes qui conduisent leurs carrières comme elles l’entendent… À nous de les écouter maintenant !
Working girls !
Le constat est sans appel. Dans nos vies familiales, professionnelles comme dans les sphères artistiques : les femmes ne sont pas moins « au charbon » que les hommes et ce n’est pas nouveau, juste un peu plus visible peut-être. Les mœurs évoluent, la parole se libère et on peut espérer que l’avenir des générations futures tendra vers une société plus égalitaire, équilibrée et paritaire. En musique aussi les femmes doivent encore jouer des coudes au 21ème siècle, et bien leur en prennent. Jazz au toucher soul, spirituel, contemporain, blues ou gospel, découvrez l’actualité de Samara Joy, Sandra Nkaké, Camille Bertault, Sunny War et cette drôle d’énergumène qu’est la chanteuse multi-instrumentiste Angel Bat Dawid. Alors que l’on célèbre cette année l’immense Nina Simone, éternelle combattante et personnalité insaisissable, son influence sur ces cinq artistes qui conduisent leurs carrières en assumant des choix et des directions singulières ne fait aucun doute.
Samara Joy : La fulgurante nouvelle voix du jazz
Certains d’entre vous ne la connaissent peut-être pas encore, mais depuis l’obtention de son double Grammy en février 2023 (best album, best new artist), autant vous dire que cette talentueuse vocaliste new yorkaise fait tourner les têtes des mélomanes adeptes d’un jazz vocal « classique » et de très bonne facture. Dans le genre affolement, je ne vous explique pas les compteurs de streams, ventes d’albums en rupture de stock permanentes, concerts à guichets fermés…Le grand tournis quoi. Née dans une famille de musiciens en 1999 au cœur du Bronx, elle n’a qu’une grosse poignée d’expériences dans le jazz mais jouit déjà d’une solide réputation qui ne devrait que grandir dans les années à venir. Allez vous promener sur son site à la page des concerts à venir, ébouriffant ! Pour célébrer ce moment de grâce, son 1er album de 2021 ressort ces jours-ci. Vous avez aimé Linger Awhile, son second disque qui l’a mise en orbite, vous allez adorer le précèdent. Rassurez-vous ça fonctionne aussi très bien dans l’autre sens.
Sandra Nkaké : Jazz, soul et plus encore
15 ans après avoir entamé une carrière sans fausse note qui l’a amenée à collaborer à de nombreux projets soul, funk, jazz, electro, la chanteuse franco-camerounaise Sandra Nkaké livre son 5ème opus sous son nom propre. Sans surprise, elle est une nouvelle fois épaulée par son camarade de jeu de longue date, le flûtiste et metteur en son Jî- Drû. Polyglotte (français & anglais), engagée, foncièrement féministe et affranchie des codes et des conventions, son nouvel album SCARS résonne de toutes ces musiques qui l’ont construite (jazz et soul en tête de liste). Une voix intense, honnête, sans ligne de démarcation clairement définie puisque comme souvent chez cette anti-diva, le moteur de la démarche est une affaire d’ensemble, de collectif, loin du disque de chanteuse avec accompagnement. Jouer collectif, une évidence par les temps qui courent.
Camille Bertault : Jazz with a french touch
Les critiques de jazz l’aiment bien car elle fait généralement sourciller le public. Compositrice, chanteuse, arrangeuse, pianiste, Camille Bertault pourrait peut-être aussi ajouter aux cordes de cet arc artistique, la comédie. Théâtrale, fantaisiste et burlesque, elle n’en est pas moins une exceptionnelle vocaliste qui habille son jazz de chanson, de scansion, de danse et d’invités de renoms. On l’a vue aux cotés de Jacky Terrasson, Minino Garay, Daniel Mille et bien d’autres dans des exercices stylistiques audacieux et pas du tout ennuyeux. Quatre albums au compteur dont Le Tigre, paru en 2020 qui a remporté un joli succès public et critique. Souhaitons le même chemin à cette nouvelle pirouette jazz non dénuée d’humour (on pense inévitablement à l’ami André Minvielle, l’accent occitan en moins) et que les risettes de Camille Bertault nous réjouissent encore longtemps.
Sunny War : Blues et gospel de combat
Avec Anarchic Gospel, Sunny War fait donc une entrée fracassante dans ce monde du blues dont elle est au départ bien éloignée. Bien conscient que cette native de Nashville ne bénéficie pas d’une visibilité médiatique très développée de ce côté-ci de l’Atlantique, on notera que ce 5ème album est publié par l’infatigable Dan Auerbach des Black Keys dont on sait l’appétence pour ce qui touche au Blues de près ou de loin. Venu des circuits alternatifs US, quelque part entre folk, punk et vie de bohème, les 14 titres de cet album flirtent de fait avec des élans folk, country, soul, rock, gospel mais dont la vibration et le cri primal a surtout à voir avec ce blues tellurique que pouvaient chanter les cadors du delta.
Angel Bat Dawid : L’ovni jazz
Attention free party ! Quelques très bons articles (d’une presse bien renseignée) autour de cette poly instrumentiste/vocaliste installée à Chicago auront permis de découvrir ce personnage fantasque aux univers particuliers, entre jazz en roue libre, politique et grooves mystiques. Jazz lady iconoclaste à la dégaine ravageuse et à la posture rageuse. Impossible de ne pas la raccrocher aux frasques de l’Art Ensemble Of Chicago, de Sun Ra, ou à cet album culte Alchemy Of The Blues de l’activiste Sarah Webster Fabio. Plus généralement, la musique d’Angel Bat Dawid se rapporte à ces formes dissidentes que le jazz engendre parfois. Énergie punk, slams revendicatifs, jam improvisée, notes et grooves croisés. Difficile de mettre des mots sur ce happening musical fidèlement restitué, mais on ne peut que vous conseiller d’y jeter un œil, vos oreilles ou de sauter à pieds joints dans son nouvel Object Musical Non Identifié, un OMNI qui prend la forme d’un requiem jazz en 12 actes.