Conformisme ou avant-garde ? Génie ou faute de goût ? Si l’on parle souvent du contenu d’un album, quelle place occupe donc sa pochette dans l’imaginaire collectif, et que révèle-t-elle de l’état d’esprit d’un artiste, d’une scène musicale ou d’une époque ? A l’occasion de la sortie du guide « Discothèque idéale, la culture de la pochette », revenons sur 10 pochettes cultes et chargées d’histoire qui sont entrées au Panthéon de la musique.
Découvrez plus de 1000 pochettes mythiques dans La Discothéque idéale : la culture de la pochette. De Nirvana à Pink Floyd en passant par Yes ou Gainsbourg, la pochette de disque est devenue un aspect fondamental pour l’œuvre musicale à laquelle elle est associée. Les mondes rutilants de Jean-Baptiste Mondino, les portraits sensibles des jazzmen signés Leloir, les mises en scène de Grace Jones par Jean-Paul Goude, les paysages oniriques de Roger Dean pour Yes, les cinématographies psychédéliques du Studio Hypgnosis pour Pink Floyd et tant d’autres, le grain d’Anton Corbijn, et les traces indélébiles laissées par Andy Warhol, Banksy, Keith Haring dans l’univers de la musique enregistrée et commercialisée… Tout cela constitue un corpus qui a marqué les époques de façon indélébile. Vous retrouverez, dans cet ouvrage, des photos, des illustrations ou des graphismes des différentes pochettes d’albums cultes de jazz, hip-hop, rock, électro, pop… mais aussi des interviews exclusives de Jean-Baptiste Mondino, Nigel Grierson, Chris Bigg et Fifou.
Retrouvez la playlist des pochettes mythiques sur Deezer :
OK Computer de Radiohead, ou cinquante nuances d’aliénation
Sorti en 1997, cet album de Radiohead a marqué à lui seul une révolution musicale. Mais qu’en est-il de sa pochette ? Née de l’artiste Stanley Donwood, qui a collé aléatoirement par ordinateur des images et textes, celle-ci est une commande du chanteur Thom Yorke en quête d’un visuel illustrant les paroles. La couleur est annoncée : sur un champ blanc, une cacophonie de paysages urbains, autoroutes et aéroports, augmentés d’annotations diverses et de gribouillages et tâches dans diverses teintes de bleu. Derrière cette abstraction se cache le revirement du groupe, qui, las d’être une vache à lait pour les radios, signe un album conceptuel d’une ambition folle qualifié par son label de « suicide commercial ». Angoissée, voire hantée, cette pochette n’a pas fini de nous questionner.
The Dark Side of the Moon des Pink Floyd, ou l’obscure clarté
Si la magnificence de cette pochette de 1973 ne fait nul doute, ce qui ne cesse d’étonner est la simplicité avec laquelle les magiciens de Pink Floyd nous enveloppent dans leur univers complexe sans en rajouter. En témoigne cette pochette dépouillée, avec son prisme de verre réfractant la lumière sur un champ noir, qui véhicule une émotion esthétique puissante et indescriptible. Fruit du travail du collectif artistique Hipgnosis, elle fut proposée au groupe en même temps que six autres designs, sur la seule consigne d’imaginer un logo intelligent, soigné et élégant. Finalement, elle fut retenue pour la triple symbolique qu’elle permettait de projeter : le large spectre de sujets abordés, qu’ils soient existentiels ou hallucinés, l’alliance de l’audace et de la simplicité, et les jeux de lumière en concert.
The Velvet Underground & Nico de VU & Nico, ou la pop subversion
Album phare des années 60, le serait-il autant s’il n’était affublé de la plus provocante des pochettes possibles, c’est-à-dire une bête banane ? Sous ses airs innocents, la bande à Lou Reed et John Cale subvertit tous les codes du rock ‘n’ roll d’alors, proposant un rock expérimental proto-punk et invitant l’inénarrable Andy Warhol, qui produit certains titres, à poser sa patte pop art. Tout le contraste se situe dans cette accaparation d’imagerie familière à la pop culture par des artistes iconoclastes. A l’image de cette banane dont le jaune brillant, chatoyant, est rongé par le temps, comme les nouvelles modes musicales s’appuient sur les actuelles pour mieux les remplacer.
Abbey Road des Beatles, ou la marche des empereurs
Difficile de faire plus iconique que cette photographie, prise le 8 août 1969 près du studio où l’album sera enregistré, dans la rue d’Abbey Road à Londres. Pour la petite histoire, la photo des quatre messies du rock anglais sera sélectionnée à partir de six prises différentes, ne donnant au photographe Iain Macmillan que dix minutes pour capturer les légendes en costume. Debout sur un escabeau, et alors qu’un policier retient la circulation juste derrière, celui-ci capture également son époque : celle d’une révolution culturelle et sexuelle, des beatniks pieds nus (comme un certain Paul McCartney sur la photo) et cheveux longs. Un succès tel que la Volkswagen Beetle visible derrière se fera voler sa plaque d’immatriculation par un fan, comme la vie de Lennon sera volée par un autre.
Illmatic de Nas, ou la surimpression du passé et du présent
1994. Année charnière pour le hip-hop américain, en pleine crise identitaire. Pris en étau, entre d’une part le hip-hop commercial grand public, et d’autre part une recherche d’authenticité. Nas est de cette génération de nouveaux conteurs de la rue, qui avec le Wu-Tang et Biggie, va employer le potentiel immense du hip-hop afin de dénoncer les conditions de vie et le sentiment d’exclusion ressentis par une partie de l’Amérique. L’enfant de la pochette n’est autre que Nas lui-même parvenu à l’âge de raison, un âge auquel on est façonné par son environnement – en l’occurrence le Brooklyn et ses violences de gangs. L’artiste met donc en évidence la forte symbolique de la surimpression du passé sur le soi actuel, dans une mise en parallèle de la construction identitaire et du rap en tant que genre et phénomène social.
Nevermind de Nirvana, ou la (contre) plongée dans le bain de la vie
Étape obligatoire lorsqu’on évoque les pochettes cultes, celle de Nirvana est à l’image du rock en 1991 : en pleine (re)naissance artistique, le grunge ayant relancé l’intérêt du grand public pour le rock, depuis plusieurs années pris entre des modes éphémères et des scènes émergentes (hip-hop, électro…). Tout un condensé de cynisme Cobain-ien nous est donné ici : nous sommes pourris par l’appât du gain, et les groupes à succès ont la tête sous l’eau, immergés par un star system impossible et égocentré. Le titre de l’album, stylisé, reflète l’attitude je-m’en-foutiste et rebelle du groupe, qui n’est pas échaudé par le risque de censure au sein d’une Amérique puritaine.
Master of Puppets de Metallica, ou la concurrence enterrée
On ne pourrait trouver meilleure illustration de l’état de la concurrence en 1986 qu’avec cette sombre pochette des Four Horsemen. L’artiste Don Brautigam ne s’y trompera pas : un album légendaire réclame une pochette toute aussi mythique. Au premier plan, les dommages collatéraux d’une autre guerre désastreuse rappellent à l’Amérique le sentiment de « plus jamais ça » de ses propres enfants ; dans les ombres, un marionnettiste manipule les vies à sa guise, telle une élite félonne aux mains sales. En fond, le crépuscule est couleur d’Apocalypse et d’hémoglobine. La typographie du logo du groupe, quant à elle, rappelle que le règne sans partage de Metallica laisse à ses adversaires le goût métallique du sang.
Mezzanine de Massive Attack, ou la leçon de claustrophobie
Après deux albums tirant vers la soul, et le départ de Tricky, l’une des têtes pensantes de la formation anglaise, le Massive Attack de 1998 prend un virage à 360° mention trip hop indus. Quintessence d’abstraction, cette pochette susceptible de lever des sourcils annonce l’expérience sonore proposée à vos délicates oreilles : un labyrinthe d’ambiances sombres et claustrophobes servies par une production léchée et une poignée de vocalistes à forte identité. A l’instar de cet insecte, l’album aux plus de dix disques de Platine vous agrippe pour ne plus vous lâcher d’une semelle, fascine autant que dérange l’auditeur.
What’s Going On de Marvin Gaye, ou le regard tourné vers le monde
Mais où le regard de Marvin Gaye se porte-t-il ? Certainement vers un point d’horizon perdu au loin, mais encore plus certainement vers la réalité de 1971, celle des traumatismes de la guerre du Viêtnam, d’un monde en pleine prise de conscience écologique et d’une Amérique qui pourrait donner tant mais ghettoïse une partie de son avenir. Ce regard, c’est celui d’un espoir transporté par des convictions d’amour et de paix, qui brave les temps couverts et aspire à une communion des âmes. De quoi donner au prophète de la soul, et à la postérité, un impérissable sourire.
London Calling des Clash, ou le pétage de plomb dans les règles de l’art
Voilà une pochette qui devrait mettre tout le monde d’accord. Qui n’a jamais rêvé de tout détruire dans la pièce, de partir en roue libre quand le monde environnant nous déçoit un peu plus chaque jour ? Hum… En tout cas, cette pochette, dont la typo est un vibrant hommage au premier album d’Elvis, rend également hommage à toutes ces petites choses frustrantes du quotidien. Si, comme le bassiste Paul Simonon des Clash, vous vous exaspérez du chômage, de la guerre, du matérialisme à outrance, du stress d’être humain et tutti quanti, alors vous ne pouvez que compatir avec cette scène so rock’n roll.