Les multiples facettes de Michel Houellebecq

Romancier polygenre

Trois ans après le succès phénoménale de Sérotonine, Michel Houellebecq nous fait commencer l’année 2022 sous les meilleurs auspices avec son tout nouveau roman : Anéantir. 

Tiiré pour le moment à 300 000 exemplaires, c’est un livre de 736 pages qui s’apprête à rejoindre le foyer de nombreux français. Quel est-il ? De quoi parle-t-il ? Nous vous dirons tout très prochainement ! 

Romancier polygenre

Michel Houellebecq est certainement l’écrivain français le plus « touche-à-tout ». On le connaît bien sûr pour ses six romans dont La Carte et le territoire, prix Goncourt 2010, ou encore le sulfureux Soumission. De la dystopie, comme ce dernier, à la science-fiction, dans La Possibilité d’une île, en passant par l’enquête policière dans La Carte et le territoire, les thèmes abordés sont éclectiques. Parmi les sujets récurrents, sont explorés la misère sexuelle, le tourisme de masse, la sexualité crue, l’alcoolisme, la vieillesse du corps, le désespoir, l’art, la science… Le regard désabusé que l’auteur semble porter sur le monde ne se départit jamais d’un cynisme grinçant qui prête à sourire.

Poète du trivial

Houellebecq est également l’auteur de plusieurs recueils de poésie. Non réconcilié, publié en 2014, sous-titré Anthologie personnelle 1991–2013, regroupe tous les textes poétiques de l’auteur dans un ordre subjectif : celui que l’écrivain a bien voulu leur donner. La poésie de Houellebecq aborde tour à tour les sujets les plus triviaux (le supermarché, le sexe masculin), mais aussi un profond mal-être : « Le monde est une souffrance déployée » est la première phrase de Rester vivant, le premier recueil de poésie publié en 1997.

Muse populaire

Appréciée ou détestée, la poésie de Houellebecq ne laisse personne indifférent. Son chant de douleur a inspiré de nombreux critiques littéraires, mais il s’est aussi exporté à d’autres champs artistiques comme celui de la musique. Loin d’être marginales, ses collaborations musicales se sont formées avec des chanteurs populaires comme Jean-Louis Aubert. Dans Jean-Louis Aubert chante Houellebecq, l’ancien leader de Téléphone a décidé de mettre en musique (et en voix) le recueil Configuration du dernier rivage. Contrairement à l’usage, Jean-Louis Aubert a choisi de conserver intacts les vers de Houellebecq. Les arrangements sont simples : des cordes, du piano, un peu de violoncelle et de kora suffisent à accompagner les textes puissants du poète. La voix mélancolique et éraillée du chanteur donne du coffre aux vers douloureux de Houellebecq.

Chanteur de slam

Cet épisode musical n’est pas isolé : avant même d’être reconnu en tant qu’auteur, Houellebecq avait interprété ses propres textes dans un album intitulé Présence humaine, réalisé avec Bertrand Burgalat (musicien, compositeur, producteur français qui a travaillé sur plus de 200 albums). Sorti en 2000, l’album est resté plutôt confidentiel, la diction volontairement morne de l’auteur étant peu séduisante pour les néophytes. Le « chant » du romancier s’approche du slam, il est une sorte de déclamation sans artifice ni effet vocal. Mais cette tentative musicale a le mérite d’avoir prouvé que la poésie houellebecquienne est destinée à être prononcée et entendue. L’auteur l’a confié au cours d’une interview donnée à Libération en 2013 : « Mes limitations vocales m’empêchent d’arriver au niveau que mes textes mériteraient. Il y a plein de trucs utilisables dans mes textes, mais il faut chanter, vraiment. »

Philosophe méthodique

Décidément, le rock s’attache à Houellebecq. En plus du leader de Téléphone, Iggy Pop s’est inspiré d’un de ses ouvrages pour en déduire une méthode de vie : Rester vivant : méthode est un film ovni qui prend la forme d’un documentaire de création, bien qu’il joue avec les limites de la fiction. Houellebecq interprète le personnage de Vincent, un homme qui vit reclus et travaille à l’écriture d’une œuvre qui révèlerait le secret de l’existence. Iggy Pop est également présent au cours du film pour lire des passages de Rester vivant, le premier recueil personnel publié par Houellebecq en 1997. À la lecture de ces poèmes, la rock star a eu l’intuition d’une solution pour survivre à la souffrance existentielle. Pour Iggy Pop, il semble que la sublimation par l’art soit l’une des manières de « se consoler » de la vie.

Scénariste et réalisateur méconnu

Avec Michel Houellebecq, les écrits sont intranquilles : ils ne restent jamais à leur place. En 1999, Philippe Harel s’est lancé dans l’adaptation d’Extension du domaine de la lutte, le premier roman de Houellebecq publié deux ans auparavant. Le narrateur solitaire et désabusé – comme souvent chez cet auteur – jette un regard froid et cynique sur le monde qui l’entoure. Il est amené à côtoyer le personnage incarné par José Garcia qui se caractérise par sa grande misère sexuelle en raison de son incapacité à séduire. Houellebecq est scénariste de ce film qui a finalement peu marqué les esprits. Un autre des romans de Houellebecq a été adapté au cinéma en 2008 : La Possibilité d’une île, réalisé cette fois par Michel Houellebecq lui-même, avec Benoît Magimel en personnage principal. Le film ne remporte pas non plus les lauriers de la critique bien que la performance de Benoît Magimel soit remarquable.

Acteur star

La relation de Houellebecq au cinéma ne s’arrête pas là puisque l’écrivain-star a, en 2014, obtenu le premier rôle du film de Guillaume Nicloux dans lequel il joue son propre rôle. Dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq, l’auteur se fait enlever par des ravisseurs placides et non-violents. Ils obéissent à un commanditaire et ne savent pas pourquoi ils ont enlevé l’écrivain, aussi se noue entre eux une relation de bienveillance, voire d’amitié. Le romancier joue également le premier rôle dans Near Death Experience de Benoît Delépine et Gustave Kervern, film dans lequel il incarne le personnage de Paul, un travailleur lambda qui fume et boit beaucoup. Confronté au néant de son existence, il se rend sur la montagne Sainte-Victoire et décide d’en finir. Réalisé avec un très petit budget, la qualité de l’image du film est volontairement inégale et la critique est restée très partagée quant à la réussite de cet ovni cinématographique.

Photographe du kitsch

En 2016, le Palais de Tokyo a dédié une importante exposition à Michel Houellebecq où ses photographies sont mises en résonnance avec des sons, des installations et des films conçus par lui. L’exposition avait vocation à illustrer l’univers protéiforme de l’auteur ainsi qu’à témoigner de l’influence de la photographie dans son cheminement artistique. Le livre de l’exposition Michel Houellebecq, Rester vivant permet à ceux qui ont raté l’événement de se faire une idée de l’imaginaire du romancier-artiste. Les photographies dévoilent une fascination pour le tourisme de masse et le kitsch qui y est associé (sujet longuement abordé dans La Carte et le territoire ou encore Plateforme), mais aussi pour son chien Clément.

Journaliste insolite

Paru en 1998 puis dans une nouvelle édition augmentée en 2009, Interventions (puis Interventions 2) est un recueil de textes inclassables publiés dans des revues ou des journaux (des Inrockuptibles à Paris Match). Réflexions sur la connerie de Prévert, le salon de la photo hot ou encore critiques d’art, l’auteur se fait essayiste, journaliste, fin connaisseur d’art. Le choix éclectique des sujets évoque les Mythologies de Barthes, le regard féroce sur la modernité rappelle la voix de Céline. La verve comique de l’auteur y fait rage et n’épargne personne – surtout pas ses contemporains.

Compagnon de voyage

Dans En Patagonie avec Michel Houellebecq, Houellebecq arpente les paysages saisissants de la Patagonie en compagnie de son traducteur et ami brésilien Juremir Machado da Silva. Au fil du récit, le romancier livre des confidences et des réflexions sur l’écriture, le tourisme ou le sens de la vie. L’ouvrage est avant tout destiné à ceux – nombreux – qui sont fascinés par la personnalité énigmatique de l’écrivain.

Biographe de l’horreur

Le mythe autour de l’auteur iconique dispose heureusement de beaucoup de matières pour se nourrir. En 1991, avant d’avoir écrit les romans qui l’ont rendu célèbre, Houellebecq a écrit une singulière biographie de Howard Phillips Lovecraft, auteur de L’Appel de Cthulhu, Dagon ou Les Montagnes Hallucinées. Intitulé H.P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie et préfacé par Stephen King en personne, le livre retrace l’itinéraire mouvementé de cet homme qui ne connut pas le succès de son vivant. La rencontre avec cet auteur, génie de l’horreur et du fantastique, constitue un repère important dans l’évolution du style de Houellebecq. Il n’a cessé de le lire et le relire depuis sa prime jeunesse, et semble avoir tiré de ses lectures ce regard désenchanté si caractéristique de son écriture.

Houellebecq vu par les autres

– Icône

Malgré une intense production textuelle, Houellebecq ne s’est que très peu répandu sur sa biographie personnelle. Denis Demonpion, journaliste au Nouvel Observateur, a comblé ce manque en 2005 avec Houellebecq non autorisé, enquête sur un phénomène, consacrant définitivement le statut d’écrivain-star à cette personnalité.  À la manière d’un thriller, cette enquête sur le passé de Houellebecq cherche à dissiper le brouillard dont s’est volontairement entouré le sulfureux romancier. Demonpion a rencontré de nombreuses personnes proches de l’auteur (camarades de lycée, éditeurs, avocats, journalistes, amis, fans, détracteurs) pour cerner un peu mieux ce qui se cache derrière ce personnage en spectacle permanent.

– Objet d’étude

Les essais littéraires qui analysent le style de Houellebecq sont multiples, ce qui est rare pour un auteur toujours vivant. Par exemple, Agathe Novak-Lechevalier, grande spécialiste du XIXe siècle en littérature, a consacré plusieurs publications à l’étude de la voix houellebecquienne ainsi qu’au système de pensée construit dans ses écrits. Dans Houellebecq, L’Art de la consolation, elle affirme que les romans de l’auteur ne sont pas seulement « déprimistes » mais qu’il s’en dégage, au contraire, un art de la consolation par la littérature. L’universitaire a également dirigé le Cahier de l’Herne dédié à Houellebecq, contenant à la fois des écrits inédits, mais également des témoignages de ses contemporains et proches.

– Modèle

Le style de Houellebecq, autant que sa personnalité, fascine ses contemporains. Certains écrivains revendiquent ainsi une véritable filiation avec le célèbre romancier. Aurélien Bellanger, auteur de La Théorie de l’information, assume dans une interview donnée aux Inrockuptibles l’adjectif « houellebecquien ». Le jeune auteur refuse tout esthétisme ou lyrisme et prône plutôt un écriture prosaïque, proche du réel. Dans ses livres se retrouvent certains thèmes chers à Houellebecq comme la vanité de la sexualité, la classe moyenne, l’absolue solitude de l’humanité, etc. Aurélien Bellanger a d’ailleurs dédié un essai à l’auteur multiforme, Houellebecq, écrivain romantique, dans lequel il tente de prouver la filiation romantique de l’auteur. Une chose est certaine, Houellebecq a profondément marqué ses contemporains. Une « génération Houellebecq » est peut-être à venir.

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Aller + loin :

L’indispensable Cahier de l’Herne pour comprendre l’œuvre de Michel Houellebecq

Les meilleurs livres de Michel Houellebecq

Rencontre filmée avec l’auteur (2010)

Jean-Louis Aubert chante Houellebecq

Photo de Michel Houellebecq : Philippe Matsas © Flammarion