En 1976, les Rolling Stones surprenaient leurs fans avec « Black and Blue », un disque où le rock se frottait au funk et à la soul. Cinquante ans plus tard, cet album longtemps mésestimé revient sous les projecteurs grâce à une luxueuse réédition qui révèle toute sa richesse et son audace.
Un peu comme avec le foot, quand on se penche sur le cas des célèbrissimes Rolling Stones, tout le monde a son avis sur la question. Les uns défendent bec et ongles leur point de vue, d’autres s’improvisent rapidement docteurs ès Stones, comme ces envolées footballistiques auxquelles on assiste à chaque grande compétition internationale, de plateaux TV en comptoirs de café.
Car si, comme dans tous les disques des Stones, Black and Blue comprend son lot de tubes intemporels, l’album paru initialement en 1976 ne s’est pas tout de suite imposé comme l’un de leurs grands crus. Mais cinq décennies plus tard, c’est définitivement une autre histoire.
À l’occasion de la luxueuse réédition qui célèbre les 50 ans de ce LP, un retour sur cet album-phare signé du plus vieux groupe de rock encore en activité s’imposait. Car s’il faut parfois prendre un certain recul et un peu de distance pour percevoir une œuvre, la littérature autour de cet album reste aujourd’hui encore assez ambivalente – bien que le constat soit tout de même plus positif qu’en 1976, où le virage de Jagger et ses petits camarades de jeu avait surpris beaucoup de fans.
D’ailleurs, l’écoute en avant-première du premier inédit dévoilé (Shame Shame Shame) nous a fait un très bon effet, en nous rappelant qu’une pleine louche de funk portée par des invités de circonstance avait été versée sur le sacro-saint rock’n’roll des Stones.
Quoi de plus normal pour un groupe qui, de toute façon, n’a jamais caché ses influences et ses emprunts dans le vaste champ des musiques afro-américaines ? Cette version très groovy (enfin disponible) d’un hit majeur de disco-funk signé Shirley and Company en 1975 surclasserait même peut-être l’original.
Cordes sensibles and grooves subtils
Enregistré entre Munich, Montreux et finalisé à New York, c’est aussi le premier album où le guitariste Ronnie Wood est déclaré officiellement membre des Stones. En 1976, quelques sérieux gratteurs de cordes de l’époque (Jeff Beck & Harvey Mandel) s’étaient glissés dans la place vacante laissée par Mick Taylor, mais c’est bien Ron Wood qui grimpera sur le podium final en obtenant le job tant convoité de second guitariste.
Ce qui caractérise Black and Blue et son virage funky est aussi à chercher dans l’omniprésence du brillant Billy Preston tout au long du disque. Auteur, arrangeur, pianiste, organiste, claviériste et talentueux chanteur, il avait déjà collaboré à la marge avec les Stones dans les années passées. Plus qu’une simple « caution soul-funk » pour les Stones, Billy Preston semble avoir véritablement pesé de tout son poids dans la conception et l’écriture de Black and Blue.
Car si Mick Jagger reste fidèle à lui-même dans son rôle de « diva » dégingandée, Preston excelle aux chœurs qu’il accompagne de son jeu de piano virevoltant, notamment sur le méga tube Hot Stuff.
Les cinq minutes de Hey Negrita, étoffées par des vibrations funk-rock délicieusement décadentes, donnent à voir une partie de la couleur de l’album. Un titre jouissif qui précède une autre petite perle au menu : Melody, ballade pleine de soul blues dont l’influence est clairement « prestonienne ».
Car c’est un fait : celui qui a joué avec quelques-uns des plus grands (Mahalia Jackson, Ray Charles, Little Richard, Sly Stone, Eric Clapton, Sam Cooke et même les Beatles, ne l’oublions pas) est définitivement l’une des pièces maîtresses de Black and Blue. Qu’on aime ou pas cet album charnière dans la discographie des Rolling Stones, les éminents spécialistes ou fans anonymes évoqués un peu plus haut sont, pour une fois, tous d’accord sur ce constat.
Cette réédition, disponible dès le 14 novembre 2025, livrera aussi son lot de belles surprises avec de rares enregistrements live de 1976 (Paris, Londres), ainsi que quelques jams sessions restées jusque-là dans les tiroirs.