Dans une Amérique déchirée et un monde chahuté, Mavis Staples, dernière survivante des mythiques Staples Singers, porte toujours plus haut le flambeau d’un répertoire empreint de résistance et d’espoir. La voici de retour avec son 14e album studio, le génial « Sad And Beautiful World ». Zoom sur l’une des plus grandes voix de la soul music toujours en activité.
Parole de converti depuis ma lointaine adolescence : voir (et revoir) Mavis Staples sur scène interpréter Freedom Highway – l’un des hymnes des Staples Singers –, c’est percevoir, le temps de ces quelques minutes au tempo soutenu, ce que ce petit bout de femme au timbre incomparable incarne depuis ses premiers pas avec son père, ses sœurs et son frère.
Derrière sa bouille de gentille mamie octogénaire, son mètre soixante au regard pétillant et ses rires aux éclats, celle qui, soixante ans en arrière, chantait des gospels aux grooves porteurs d’espoir, est aujourd’hui – malgré une renommée mondiale bien en-dessous de celle qu’elle mériterait – l’une des plus grandes chanteuses de soul toujours debout. Debout et encore sacrément vivante malgré son grand âge. Car à l’heure de l’ère Trump, les punchlines de cette chanson – qui accompagna en son temps la marche de Martin Luther King à Selma – résonnent encore terriblement à propos.
« The whole wide world is wondering what’s wrong with The United States » Freedom Highway, The Staples Singers
86 ans et mille vies
Aujourd’hui âgée de 86 ans, Mavis Staples semble avoir vécu mille vies. Personnellement comme musicalement, quand on se penche sur son immense parcours, le constat force le respect et l’admiration sans bornes. En sept décennies de carrière, cette native de Chicago aura emprunté de nombreuses routes et croisé de près tout autant de personnalités, dont l’une des plus marquantes fut, selon ses propres mots, l’honorable Dr Martin Luther King.
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Mais les figures du monde de la musique ne sont évidemment pas en reste : Bob Dylan (qui, selon la légende, l’aurait même demandée en mariage), Aretha Franklin, Ray Charles, Prince, John Scofield, David Byrne, Ry Cooder, Dr. John… Et tant d’autres apparaissent sur cette longue et copieuse liste.
Contrairement à nombre de ses homologues de la même génération, Mavis Staples, elle, n’aura jamais cessé de s’intéresser aux musiciens et auteurs émergents, qu’importe d’ailleurs le genre auquel ils sont rattachés.
Si vous épluchez sa discographie et ses diverses collaborations depuis une quinzaine d’années, ce sont des noms tels que Gorillaz, Arcade Fire, Norah Jones, Benjamin Booker, Hozier, Son Little ou encore Ben Harper que vous trouverez adossés au sien. Une liste là aussi à rallonge, qui ne saurait oublier cette fructueuse collaboration au long cours avec le guitariste Rick Holmstrom, ainsi que l’incomparable Jeff Tweedy du groupe Wilco. Deux personnages qui, sans remplacer l’historique paternel (Pops Staples), sont devenus ces derniers temps les véritables « bras droits » de Mavis, que l’on retrouve régulièrement à ses côtés, sur scène comme en studio.
Sad & Beautiful World, merveilleux nouvel album
Passé ce paragraphe très « name dropping », intéressons-nous à ce qui fait son actualité : ce nouvel album, Sad & Beautiful World (disponible dès ce 7 novembre 2025), dont les titres, encore une fois, font la part belle à une jolie brochette de songwriters et de musiciens (de Tom Waits à Frank Ocean en passant par Kevin Morby, Bonnie Raitt ou le talentueux MJ Landerman).
Des choix qui pourraient paraître surprenants, mais que l’éclectique producteur Brad Cook (Bon Iver, Nathaniel Ratteliff, Brent Cobb) a su mettre en boîte avec cette justesse de ton et de goût qui caractérise l’œuvre de Mavis Staples.
À l’image du titre emprunté à Tom Waits qui ouvre l’album (Chicago), le blues n’est jamais bien loin avec Mavis – dans sa forme musicale comme dans l’esprit de certains morceaux qui, d’apparence, sonnent plus proche du folk ou de cette soul qu’incarnent et interprètent madame Staples et son équipe.
Savourez donc la « force tranquille » de Beautiful Strangers, ballade gorgée de soul et de mots profonds qui vous fige sur place en quelques mesures seulement. Même topo pour les relectures de Frank Ocean, Curtis Mayfield ou Leonard Cohen (Godspeed, We Gotta Have Peace, Anthem) que Mavis fait siennes sans besoin de se forcer, presque naturellement pourrait-on dire.
Une fois encore, il est probable que ce nouvel opus ne profite pas d’une grande couverture médiatique en France. On peut le déplorer, mais l’essentiel, pour celles et ceux qui ont lu jusqu’ici, est qu’il donne envie de se précipiter sur l’oeuvre de cette artiste décidément hors du commun.
