Traduire en dessin l’univers solaire de Marcel Pagnol semblait une gageure. C’est pourtant le pari audacieux que relève Sylvain Chomet avec son nouveau long-métrage d’animation, « Marcel et Monsieur Pagnol », en salle ce 15 octobre 2025. Laurent Lafitte et Géraldine Pailhas, qui ont doublé l’écrivain et sa mère Augustine, se confient sur cette aventure.
Comment rendre le chant des cigales, la lumière méridionale, l’accent qui frise, la douceur d’Augustine, la gouaille de Raimu ou le rire de Fernandel ? Comment faire revivre Marius, Fanny et César ? Comment raconter Marcel Pagnol, pionnier du cinéma et monument de la littérature française ? Il fallait bien le talent et l’humour de Sylvain Chomet, réalisateur des Triplettes de Belleville, pour se jeter dans cette folle aventure.
Avec son dessin délicieusement suranné, il livre un biopic à la fois poétique, drôle et pédagogique, retraçant la vie du célèbre conteur provençal. Et pour prêter voix à ses personnages, Chomet a fait appel à Laurent Lafitte, qui incarne Marcel Pagnol, et à Géraldine Pailhas, qui donne vie à Augustine, la mère si chère au cœur de Marcel.
Nous avons interrogé les deux comédiens sur ce défi, sur la figure de Pagnol et sur l’héritage intime et culturel que le cinéaste et écrivain leur a transmis.
Quel était votre lien personnel avec Marcel Pagnol quand vous avez accepté ce projet ?
Géraldine Pailhas : Moi, je suis née à Marseille. J’ai même passé les trois premières années de ma vie dans le petit village d’Éoures, à quelques encablures de La Treille, où Pagnol est enterré. J’ai vraiment l’impression d’avoir grandi avec lui, d’une manière à la fois évidente et presque inévitable. C’était la figure marseillaise, provençale, vers laquelle tous les enfants de ma génération se tournaient naturellement, dès qu’on apprenait à lire.
Et puis, il y a eu les films – ceux qu’il a réalisés, bien sûr, mais aussi ceux qu’il a écrits, comme la Trilogie marseillaise (Marius, Fanny, César), que j’ai vue très jeune. J’ai tout de suite aimé sa langue, sa façon unique de faire parler les gens, cette virtuosité de dialoguiste tout à fait extraordinaire. Encore aujourd’hui, il m’arrive souvent d’avoir des phrases de Pagnol qui me viennent spontanément, comme si elles m’aidaient à dire ce que je ne saurais pas formuler avec mes propres mots.

Laurent Lafitte : Moi, c’est d’abord par la littérature que je suis arrivé à Pagnol. Je crois même que c’est l’un des tout premiers auteurs que j’ai lus, quand j’étais ado. Il y avait Kessel et Pagnol au programme. Et il y avait une forme de fantasme de la Provence. J’étais un petit Parisien, et j’ai beaucoup projeté sur cet univers, sur ces paysages, cette lumière.
Son cinéma, je l’ai découvert bien plus tard, après mes 25 ans. Longtemps, je ne l’avais pas vraiment intégré comme cinéaste, alors qu’il a pourtant été une figure majeure du cinéma français. J’espère que Marcel et Monsieur Pagnol donnera envie à toute une génération de découvrir à leur tour son cinéma – sans attendre aussi longtemps que moi.
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Comment avez-vous préparé votre accent pour résonner avec l’univers de Pagnol ? Aviez-vous un coach ?
Laurent Lafitte : C’est sûr que l’accent marseillais a été un vrai sujet, sachant que je suis Parisien. Il était vraiment hors de question de trahir ça et de prendre le risque de froisser les Marseillais. J’ai travaillé pendant les enregistrements avec un comédien marseillais qui a rectifié – au départ, j’étais plus du côté de Bayonne que de Marseille ! Il n’y a pas beaucoup d’oeuvres qui sont associées à un son et il était très important de respecter ça.
Géraldine Pailhas : Moi, je n’ai bizarrement pas l’accent marseillais. Donc, il n’y avait pas un défi, mais plus un plaisir, quelque chose de l’ordre de la gourmandise pour essayer de trouver la voix d’Augustine Pagnol. Nous nous sommes accordés sur un accent léger, assez pagnolesque, un peu suranné.
Laurent, si vous aviez exagéré l’accent, on vous aurait peut-être accusé de caricature, et si vous l’aviez effacé, cela aurait été de la trahison. Comment gère-t-on cette ligne de crête ?
Laurent Lafitte : En faisant confiance à son metteur en scène, parce que là, pour le coup, Sylvain Chomet était très précis là-dessus. Il est hyper musical, il a une oreille extrêmement fine.
Et puis il y a des moments où Pagnol avait plus ou moins l’accent, évidemment quand il monte à Paris, il l’a très fort, après quand il veut s’intégrer, il va vouloir le perdre. Quand il redescend dans le sud, crée son studio, il est à nouveau entouré de beaucoup de Marseillais, et son accent revient. On a essayé de moduler selon les périodes de sa vie.
Bande-annonce Marcel et Monsieur Pagnol
Quels aspects inédits de la vie de Marcel Pagnol avez-vous découverts et vous ont peut-être étonnés ?
Laurent Lafitte : Je ne savais pas que Pagnol avait créé son studio, et surtout je pensais, bizarrement, que son désir de cinéma avait débuté plus tard. En fait, il a vraiment été pionnier. Il s’est mis très rapidement au cinéma parlant, lui qui venait du théâtre. Il y vu un champ de possibles incroyables s’ouvrir à lui. Il avait ce désir d’indépendance, de créer son studio. C’était un vrai Chaplin français, quelque part. Et aussi, je ne savais pas que pendant l’Occupation, il avait décidé de détruire des rushs de films plutôt que de laisser les Allemands les exploiter.
Le film semble poser une question universelle : que fait-on de ce qu’on hérite ? Qu’avez-vous hérité de Marcel Pagnol ?
Géraldine Pailhas : En fait, il est resté dans ma vie de façon très intime. J’ai rencontré mon amoureux il y a maintenant 35 ans, et le soir, le premier soir où on est sortis ensemble, il m’a dit des lignes de Pagnol qu’il connaissait par cœur, parce que c’était son auteur préféré depuis l’enfance. Cela a fait partie des choses qui m’ont conquise. Et notre fils s’appelle… Marcel.
Laurent Lafitte : Ah oui, c’est vraiment le karma ! (rires) Moi, je trouve que Pagnol raconte beaucoup la France aussi. Dans son mouvement romantique, dans la manière dont il exprime les sentiments, notamment dans sa Trilogie, il y a vraiment une forme d’amour « à la française » : du grand sentiment, de la jalousie, beaucoup d’humour. Une certaine image de la France qu’on aurait tort d’apprécier de manière passéiste.