Des modestes boutiques hip-hop aux grandes scènes partagées avec des artistes confirmés, l’artiste britannique Kae Tempest a suivi une trajectoire singulière, bercé depuis toujours par le rap et la poésie. Avec « Self Titled », son nouvel album paru cet été, il casse une nouvelle fois les codes avec un opus hip-hop teinté de pop, dont les thématiques résonnent avec son parcours de vie. Portrait d’une voix singulière et engagée.
Kae Tempest naît à Londres en 1985. Dès son plus jeune âge, il baigne dans l’univers de la musique. À 14 ans, il travaille dans un magasin de disques et, deux ans plus tard, suit des cours dans une école d’arts et de technologies. C’est aussi l’époque de ses premières performances sur scène, lors de concours de rap organisés par une boutique hip-hop. Ces apparitions lui permettent alors de réaliser les premières parties d’artistes confirmés, comme Billy Bragg.
Après l’obtention d’un diplôme en littérature à l’Université de Londres, Kae forme le groupe hip-hop Sound Of Rum. En parallèle, il se lance dans la poésie. En 2011, le groupe sort un premier album intitulé Balance. De son côté, Kae publie en 2012 Everything Speaks In Its Own Way, son premier recueil de poésie, chez Zingaro.
Le style Tempest, unique en son genre
Poète, rappeur, auteur, dramaturge : Kae Tempest est un peu tout cela à la fois. Il utilise chaque discipline avec force et profondeur pour se forger une identité solide. Le rap fait partie de son univers depuis longtemps, tout comme le spoken word.
Cet art est mis en valeur par des artistes qui recitent des poèmes sur la musique, ou encore des acteurs qui subliment des textes d’auteurs emblématiques. Le spoken word a été rendu populaire par les Last Poets ou Gil Scott Heron, et Kae Tempest suit leurs illustres traces avec brio. Ses influences vont de Wu Tang Clan à Samuel Beckett, en passant par Tracey Emin.
L’artiste utilise principalement des arrangements acoustiques, des rythmes organiques et un rap virtuose, souvent dans des ambiances sombres. I Saw Light, More Pressure ou Lonely Daze illustrent bien le propos. Mais il n’hésite pas à utiliser sonorités électroniques ou à se faire plus tendre, comme sur le très réussi Hot Night Cold Spaceship en 2014.
En lui proposant un contrat en 2014, le label Big Dada ne s’y est pas trompée. Pour les textes, Kae Tempest aborde les thèmes de la sexualité (Tempest a fait son coming out non-binaire en 2020, puis son coming out d’homme trans en 2025), de la lutte des classes et des conflits raciaux. Il sait être poignant, direct et très engagé politiquement, comme sur Europe Is Lost en 2016.
Self Titled, nouvelle prouesse de l’artiste
Self Titled est la digne suite de The Line Is A Curve, paru en 2022. Un album sorti en juillet 2025 porté par la créativité viscérale de l’artiste, comme il le confiait au micro de Radio France en 2022 : « Je crée par nécessité et c’est le besoin qui fait loi. On peut penser que me livrer ainsi a été une décision courageuse, mais en réalité, cela s’est fait naturellement parce que je crée en même temps que je vis. »
Dans son dernier opus, la condition humaine est au centre des textes, mais l’œuvre n’est pas à proprement parlé introspective – bien que Kae aborde la quête de l’identité personnelle et la transition de genre, des thématiques en écho au parcours personnel de l’artiste non-binaire de 40 ans.
Fraser T Smith, producteur du label Island, fait son entrée dans l’équipe avec ce nouvel album. Il apporte une touche pop et utilise des choix de production afin de mettre en avant les émotions. Une stratégie qui ne nuit nullement à l’intégrité du hip-hop, ainsi qu’à l’authenticité de son phrasé. De plus, la présence de Young Fathers, trio écossais de rap/électronique, renforce ce côté brut et parfois féroce du genre. Bless The Bold Future, Prayers To Whispers et Hyperdistillation ont notre préférence.
Ainsi, Self Titled prouve que Kae Tempest est un artiste incisif et engagé, dont le besoin vital de créer offre un résultat aussi unique qu’ingénieux.