
Le rappeur Booba revient sur scène en 2025 pour pas moins de trois concerts en octobre à Paris La Défense Arena. Alors qu’il célèbre ses trois décennies de carrière, le « Duc » reste toujours aussi populaire. Et c’est assez rare dans l’histoire du rap pour être souligné. Retour sur un parcours hors norme.
À son arrivée dans le paysage du rap, Booba, alias Elie Yaffa, dénote complètement par son phrasé. Le rap hardcore existait déjà avec NTM ou Assassin avec des textes et des messages au coeur des titres. Les rappeurs cherchaient à être les meilleurs en rimes et technique vocale. Mais pas Booba. Non, lui est arrivé avec un phrasé plutôt lent, lourd, clair et une voix rapidement identifiable. Les rimes étaient bien là, mais il ne cherchait pas la prouesse vocale. Ça, c’était nouveau. Oui, Booba est unique.
« Mauvais oeil », un album tournant
Booba est né en région parisienne, à Boulogne Billancourt le 9 septembre 1976. Il débute sa carrière à l’âge de 18 ans sous les pseudos B2O et B2OBA. Nous sommes en 1994, époque encore dominée par les précurseurs du genre tels NTM, Assassin, MC Solaar et IAM. En 1996, avec le rapper Ali, le jeune rappeur fonde le groupe Lunatic. Avec Geraldo, JP Seck et Ali, une partie des membres des « X-Men » (un groupe de hip-hop français, originaire du quartier de Ménilmontant, dans le XXe arrondissement de Paris), il met en place le label 45 Scientific.
En 2000, l’album Mauvais Œil de Lunatic bouleverse la communauté hip-hop. L’œuvre devient un album emblématique en France. La qualité de la production y est pour beaucoup. Priorité est donnée aux instrus plutôt qu’aux textes, sur le modèle américain à cette époque. Les ambiances sont dures, sombres, minimalistes. De plus, Booba et Ali n’ont pas du tout le même phrasé, ni les mêmes codes vocaux que ceux qui dominent à l’époque. Le texte est brut, direct, rempli d’argots et de verlan. Et jure franchement avec le rap français de la décennie 1990. Le rap américain façon Prince Paul ou RZA semble être le modèle.
L’envol en solo
Booba décide alors d’un parcours solo. Les désaccords avec l’équipe de 45 Scientifics semblent profonds. La séparation de Lunatic apparaît inévitable. Les ambitions du duo sont trop différentes. Ali semble avoir la spiritualité et la religion pour priorités. Booba se lasse des compromis, indispensables dans un duo. Être seul s’impose comme une évidence.
2002 est l’année de Temps Mort, son premier album solo. Un succès commercial et médiatique qui le mène chez Universal, major du disque. Deux ans plus tard, Booba sort Pantheon, œuvre majeure de sa carrière. En 2006, il entre directement N°1 des ventes en France avec son troisième opus, Ouest Side. L’artiste est prolifique : Mixtape, 0.9 en 2008, Lunatic en 2010, Futur en 2012… Le rythme est soutenu et les ventes ne faiblissent pas. Celui qui s’est auto-attribué le titre de « Duc », affirme sa domination sur le rap game.
Le « conscious rap » au coeur de ses titres
Dans ses albums, Booba injecte ce qu’il est, mais aussi ses combats. Depuis ses débuts, des thèmes reviennent constamment dans ses textes. La rue, la violence, la banlieue, mais aussi la persévérance, l’authenticité, la critique sociale, le pouvoir, l’héritage culturel, l’identité, la résistance. Ces thèmes sont le reflet de son identité, son parcours. Mais ils sont également le reflet de la culture hip-hop.
Car depuis le The Message de Grand Master Flash en 1982, toute une partie du rap, désignée par le terme « conscious rap », vise à dénoncer injustices, injustes contre les minorités, identité afro-américaine, misère sociale. Booba s’inscrit dans ce style. L’écriture de Booba, le contenu puissant de ses textes, son empreinte vocale : tout cela fait de lui un des grands du « conscious rap », dans la lignée des Melle Mel, Kurtis Blow, Rakim, Notorious BIG, Chuck D., Travis Scott ou encore Kendrick Lamar.
Une intelligence redoutable
Dans l’histoire du rap, la durée de vie d’un artiste est de trois ou quatre albums et de cinq ans, dix dans des cas particuliers. Booba est là depuis 25 ans, avec presque 20 albums depuis ses débuts en 2002 (son dernier album en date Ad vitam æternam, stylisé Æ, est sorti en février 2024). Comment expliquer cette longévité hors-normes ? Son talent, bien sûr. Mais également par une aptitude à jouer avec les médias. Il a peut-être, plus que personne, compris comment durer.
Ses apparitions sont assez rares. Personne ne croira que ses critiques envers les précurseurs du rap français étaient sincères. Le « Duc » est là aussi grâce à ces illustres aînés. La scène avec Kaaris à Orly ne trompera personne non plus. La violente bagarre impliquant les deux rappeurs à l’aéroport d’Orly en 2018 était-elle réelle ? Belle façon en tout cas de travailler son image de bad boy (ils seront condamnés à 18 mois de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende chacun). Faire parler de soi sans parler : voilà son tour de force. Et puis le rappeur est le maître de la punchline, ces phrases courtes, percutantes, choc, mémorables. Et des tweets qui clashent.
De plus, Booba joue les mentors et travaille avec de jeunes talents en devenir. Il avait aidé la carrière de Mac Tyer par exemple. On l’a entendu avec Rick Ross, La Fouine, Kaaris, Oxmo Puccino, Kery James ou encore Damso. Il travaille son image avec le même soin qu’il prend à choisir ses featurings. Il s’agit toujours d’artistes intègres, amoureux de leur culture, Oxmo et Kery James étant sûrement les meilleurs exemples.
À bientôt 50 ans, Booba apparaît comme un modèle à suivre. Une réussite indéniable dans le rap, mais aussi en tant que businessman avec des investissements dans des domaines comme l’immobilier, la mode (sa marque Unkut), des boissons, des parfums… À ses débuts, la culture hip-hop était un moyen de s’en sortir pour de nombreux mômes des quartiers. Booba donne le même espoir aujourd’hui. « Un peu d’oseille change de thème pour la plupart, moi jsuis toujours le même 500 000 albums plus tard« , scandait-il d’ailleurs dans sa chanson Billets Violets en 2015. Le Duc, qui remplira la Paris La Défense Arena durant trois concerts dantesques en octobre prochain, réaffirme sa constance dans le rap. Et ce malgré le succès et l’argent.