Décryptage

Notre-Dame de Paris dans la fiction et la musique : un personnage à part entière

03 décembre 2024
Par Lucie
Notre-Dame de Paris dans la fiction et la musique : un personnage à part entière
©DR

Monument emblématique de Paris depuis 800 ans, chef d’œuvre du style gothique, la cathédrale Notre-Dame de Paris a dépassé le statut de simple lieu de culte pour devenir un symbole historique. Raison pour laquelle sa présence dans la fiction, et notamment chez Victor Hugo, résonne toujours aujourd’hui. A l’occasion de la réouverture de Notre-Dame, retour sur quelques œuvres qui ont inclus, d’une manière ou d’une autre, le monument.

Architecture, sculpture, puis peinture : Notre-Dame, chef-lieu artistique

Au cœur de l’île de la Cité, centre-ville de Paris au Moyen-âge, s’élevaient précédemment deux édifices romans, Notre-Dame et Saint-Étienne. Au XIIe siècle, les deux édifices commencent à être démontés pierre après pierre : ces matériaux servent à construire un plus vaste lieu de culte, cette fois en style gothique, un type d’architecture originaire d’Île-de-France et de Picardie (on parle d’ailleurs de « style français » pendant des siècles pour désigner le genre).

Après deux siècles de construction (la première pierre est posée en 1163), la fin des travaux est atteinte en 1345. De nombreux éléments de son décor, majestueux et, à l’époque, coloré, deviennent aussitôt des symboles de ce chantier titanesque : le tympan du portail du Jugement dernier, les différents portails, les statues allégoriques, les gargouilles, mais aussi les évocations sculptées des rois français ou de créatures « démoniaques » deviennent autant de symboles culturels pour les croyants, mais aussi les alchimistes, compagnons et autres exégètes d’alors.

Lieu symbolique du pouvoir religieux (c’est là que siège l’archevêque de Paris) et politique (les rois de France, résidents du Louvre au Moyen-Âge, dépendent de cette église paroissiale), la cathédrale est aussi un lieu culturel, avec des représentations théâtrales (les mystères et autres miracles) typiques du christianisme médiéval. Sa silhouette apparaît rapidement dans les livres religieux allégoriques d’alors : sa forme caractéristique, les deux beffrois et la nef formant un H, en fait un symbole architectural de Paris.

Pendant des siècles, elle est l’objet de nombreuses reproductions picturales, qu’il s’agisse d’un détail à l’arrière-plan de La Liberté guidant le Peuple ou d’un sujet impressionniste chez Maximilien Luce ou Albert Lebourg. L’album Notre-Dame vue par les peintres en donne un bon aperçu. Mais c’est bien par la littérature que la cathédrale acquiert une renommée mondiale, et ce avant même la naissance de Victor Hugo.

À partir de
49,90€
Voir sur Fnac.com

Notre-Dame de Paris, personnage littéraire

Les cloches de Notre-Dame ont sonné aux oreilles des Parisiens dès l’érection de la cathédrale. Au moins huit cloches se trouvaient dans la tour nord, et un énorme bourdon a rejoint la tour sud au XVe siècle. Et si François Villon, le poète criminel, a pu chanter qu’il voulait qu’on sonnât le bourdon à ses funérailles, c’est Rabelais qui a sans doute donné à ces cloches de bronze une postérité littéraire précoce. Dans Gargantua, le gigantesque héros éponyme se rend à Paris et écoute la sonnerie de Notre-Dame. Charmé, le géant vole alors les cloches, et les accroche au cou de sa jument, qu’il renvoie aussi sec à son père, porteuse de fromage de brie et de harengs. L’épisode déclenche la colère des Parisiens, qui envoie un émissaire de la Sorbonne, théologien, mais piètre orateur, négocier la restitution du symbole « musical » de la cathédrale. Au passage, Rabelais en profite pour moquer et les institutions et le bon peuple de Paris, avec force calembours en latin.

Trois siècles plus tard, le roman de Victor Hugo Notre-Dame de Paris fait entrer la cathédrale au panthéon de la culture mondiale. La bâtisse est d’abord le lieu du récit : les principales péripéties se déroulent dans la cathédrale, où l’archidiacre Frollo a recueilli le sonneur de cloches bossu Quasimodo, sur la place attenante, la Cour des Miracles, où la danse de la bohémienne Esmeralda déclenche l’émoi des protagonistes, ou encore au balcon d’une maison à proximité – c’est là que la capitaine des archers du rois, Phœbus, vient conter fleurette à sa promise (Fleur-de-Lys).

Pour Hugo, le roman devient un support patrimonial : l’édifice de l’île de la Cité, alors en début de délabrement, est magnifié par différents détails. Outre la description précise de la vie quotidienne dans le Paris du XVe siècle, l’auteur dépeint la cathédrale en tant que symbole d’une époque où l’ensemble du savoir humain était tourné vers l’édification de monuments, et comment l’invention de l’imprimerie, et la diffusion des idées par le livre, rend quelque part le bâtiment « obsolète ». Pourtant, tout au long du livre, la cathédrale est le principal adjuvant des protagonistes, qui y grandissent (Quasimodo), y apprennent (Frollo) s’y réfugient (Esmeralda).

Le succès de ce roman fondateur de la littérature française aura un impact sur les pouvoirs publics eux-mêmes, qui décideront de la rénovation de la cathédrale, réalisée par Viollet-le-Duc – c’est l’époque de l’édification de la flèche perdue en 2019, du Stryge et de nombreuses autres chimères néo-médiévales. Et l’influence du roman sur les lecteurs du monde entier ne se démentira pas avec la naissance du tourisme, à la fin du XIXe siècle, la cathédrale devenant un des symboles les plus célèbres de Paris. Dans différents arts, les adaptations multiples de l’œuvre d’Hugo vont dès lors mettre régulièrement la cathédrale en tête d’affiche.

Quand Notre-Dame de Paris fait son cinéma

C’est une scène mythique, qui transpire le Technicolor, le cinéma à gros budget des fifties et les productions internationales d’antan : Gina Lollobrigida, habillée en gitane, fait tourner la tête d’Alain Cuny, prêtre/stalker, devant la cathédrale.

Elle est tirée de Notre-Dame de Paris, adaptation de Jean Delannoy, où performe Anthony Quinn en Quasimodo. Sur un scénario de Jean Aurenche et Jacques Prévert, cette adaptation de Victor Hugo symbolise à la fois l’impact de Victor Hugo sur le cinéma, et aussi la période dite de la « qualité française » dans le cinéma hexagonal, époque où les adaptations littéraires faisaient florès. Peu d’adaptations grandioses ont depuis lors été réalisées, mis à part pour la télévision, sans compter un pastiche contemporain signé Patrick Timsit, Quasimodo d’El Paris

Dans différents genres, des récits bigarrés, la cathédrale a servi d’arrière-plan architectural, de terrain de rencontre entre personnages (dans Mortelle randonnée), de décor pour une scène d’action (cf. Van Helsing)… Comme « personnage principal », il a fallu attendre 2022, et la réalisation par Jean-Jacques Annaud de Notre-Dame brûle, film catastrophe autour du terrible incendie qui a ravagé l’édifice en avril 2019, alors qu’il était en rénovation depuis six ans.  

Curieusement, c’est peut-être Disney, et les studios Pixar, qui se sont le plus emparés du motif esthétique de la cathédrale. Déjà dans les années 1990, au moment du renouveau du studio américain, Le Bossu de Notre-Dame, adaptation enfantine de Victor Hugo avait présenté de jolis dessins de la cathédrale (quelques années après certains décors des Aristochats). Depuis lors, on a vu les deux beffrois et la flèche dans des projets aussi divers que Ratatouille – le rongeur cuistot s’établissant dans une version fictive de la Tour d’Argent, située à deux pas de la cathédrale – ou Cars 2. La cathédrale est même visible dans l’adaptation en prise de vue réelle de La Belle et la Bête, avec Emma Watson, à l’occasion d’une séquence parisienne où se multiplient les clins d’œil… au Bossu de Notre-Dame

Comme symbole du Paris historique « d’avant la Tour Eiffel », Notre-Dame de Paris apparaît bien entendu dans de nombreuses productions, qu’il s’agisse de l’histoire de la capitale narrée par Sacha Guitry dans Si Paris nous était conté, ou du plus contemporain Paris, film choral géographique de Cédric Klapisch.

À partir de
21,25€
En stock
Acheter sur Fnac.com

Notre-Dame de Paris… en musique

8 000 tuyaux, une restauration signée Clicquot puis Cavaillé-Coll, le titre de plus grand orgue de France… Le grand orgue de Notre-Dame de Paris profite de la reverb’ puissante de la cathédrale depuis le XVIIe siècle. Le couronnement de Napoléon, les messes, la Libération de Paris… Nombre d’événements ont donc bénéficié de cet instrument de musique remarquable, qui sonne la joie et la peine de la même manière que les cloches, de manière ponctuelle ou régulière.

C’est dire si le poste de titulaire du grand orgue est plus qu’un emploi pour un musicien : c’est une dignité. Pour en savoir plus, l’un des titulaires actuels, le virtuose Olivier Latry, a réalisé un passionnant livre d’entretien, À l’orgue de Notre-Dame, dans lequel il explique aussi bien son parcours que le lien qu’il entretient avec ce monument de la facture d’orgues. Sur disque, on peut l’entendre notamment sur 12 des plus belles pages de sa discographie. Depuis cette année, pour la réouverture, M. Latry a été rejoint par Thierry Escaich, compositeur et organiste nouvellement nommé en la cathédrale, et dont on peut découvrir les compositions inspirées du chant grégorien (autre symbole musical de Notre-Dame) sur Le Souffle de l’Âme.

Mais la musique d’église n’est pas le seul réceptacle des ondes spirituelles que Notre-Dame de Paris évoque. Dès la sortie du livre de Victor Hugo, compositrices et artistes ont tenté d’en restituer l’âme sur scène. La Esmeralda, signé de Louise Bertin, fit rentrer Quasimodo, Frollo et tutti quanti à l’opéra dès le début du XIXe siècle. Cent cinquante-ans plus tard, de nombreux musiciens ont tenté de créer une comédie musicale à partir de ce matériau littéraire. Si la tentative américaine de Danny DeYoung, chanteur de Styx, a été peu saluée, celle de Luc Plamondon et Richard Cocciante, Notre-Dame de Paris, à la fin des années 1990, a précipité le retour des musicals en France. Opéra-rock dans la tradition de Starmania (mélange d’artiste français et québécois à voix, arrangements pop/rock, spectacle joué dans des grandes salles) elle a servi d’introductions à l’œuvre d’Hugo et à la puissante symbolique de la cathédrale à nombre de natifs des années 1980, et des générations suivantes, biberonnés à Belle et Il est venu le temps des cathédrales, air que l’on devrait avoir en tête à l’occasion de la réouverture événement de l’édifice.

À lire aussi

Article rédigé par
Lucie
Lucie
rédactrice cinéma sur Fnac.com
Sélection de produits