A l’occasion des 35 bougies du label LUSAFRICA qui, pour rappel, a fait connaître au monde entier l’immense chanteuse Cesaria Evora, on regarde dans le rétro cinq décennies en arrière et on se replonge avec délectation dans « Angola 72/74 », double album de légende et œuvre majeure de l’infatigable Bonga. Miam, miam !
C’est un constat que l’on peut déplorer. Les reprises parfois complètement loupées des candidats de The Voice font beaucoup plus causer que les 35 bougies de la maison de disque LUSAFRICA que l’on célèbre ces jours-ci. Si je cause “reprise”, c’est que beaucoup d’entre vous connaissent probablement le déchirant Sodade, titre totem de la regrettée Cesaria Evora dont le chanteur angolais Bonga fut l’interprète original en 1974. Un titre qui figure sur un album phare de la musique angolaise (voire de la musique africaine tout court) et qui ressort en CD et vinyle ces jours-ci pour notre plus grand bonheur.
Du flair et une bonne étoile
Avant de causer de l’œuvre du chanteur Bonga, rendons donc hommage à LUSAFRICA, petite maison de disque créée à Paris à la fin des années 80. Le fondateur d’origine cap verdienne José Da Silva l’a mise sur pied pour valoriser en première instance la musique de l’Afrique lusophone qui lui était chère. Une musique et surtout un dame que vous connaissez toutes et tous très bien qui par un spectaculaire travail de bouche-à-oreille et une singularité émotionelle sans pareille deviendra une figure désormais légendaire de la musique africaine : la fameuse diva aux pieds nus, Cesaria Evora.
Fort du succès d’estime d’un premier album et de l’emballement retentissant de Miss Perfumado (où figure Sodade), la modeste maison de disque s’est rapidement étoffée avec d’autres artistes cap-verdiens, angolais et plus largement issus d’Afrique de l’Ouest. Les connexions avec Cuba, dont les descendants “afro” partagent un héritage commun avec ce même coin d’Afrique, se feront logiquement et des artistes aussi illustres que l’Orquesta Aragon, le Septeto Habanero ou un digne représentant de la musique cubaine rurale, le sonero Polo Montanez, figureront au catalogue de LUSAFRICA.
Bonga : l’Angola dans le cœur & dans la voix
Si vous n’avez jamais entendu le chanteur et musicien angolais Bonga, profitez donc de la ressortie en vinyle et CD de son album fondateur Angola72/74.
Né dans la région de Luanda (Angola) en 1942, cet extraordinaire musicien aux 50 ans de carrière (et presque autant d’albums) est digne d’un coureur de fond. Rien d’étonnant pour un homme qui, du haut de sa vingtaine, se destinait à une carrière sportive pour le compte du Portugal, redoutable puissance coloniale jusqu’en 1975 avec la fin du régime dictatorial hérité de Salazar.
Bonga court vite, mais Bonga comprend aussi très vite que l’indépendance de son pays n’est pas une option, mais un combat qu’il assume en devenant opposant politique et militant actif pour l’indépendance de son pays. Une prise de position qui le conduira à l’exil.
Réfugié en France puis au Pays-Bas dans les années 70, il entamera une carrière de chanteur (commencé à 15 ans en Afrique) soutenu en premier lieu par la disapora lusophone des (ex)-colonies portugaises vivant en Europe. De Lisbonne à Paris, d’Amsterdam à Salvador de Bahia, il se fait un nom et une réputation internationale dans les pays de culture lusophone, dans la communauté des « éxilés » comme dans son pays en proie à une nécessaire guerre d’indépendance, préambule d’une autre guerre, civile cette fois, qui durera presque 30 ans.
Musiques populaires, chansons traditionnelles ou contestataires, tantôt musique à pleurer, tantôt musique à danser… C’est le Semba, à l’origine du Kizomba, qui résonne majoritairement sur ces sessions enregistrées pendant son exil entre 1972 et 1974.
Une musique riche, entière et à laquelle il est difficile de résister tant le talent d’interprète de Bonga est bluffant malgré la barrière de la langue pour beaucoup. Et il suffit de quelques notes pour comprendre pourquoi dans l’Hexagone, de notre Bernard Lavilliers national à Gaël Faye, du réalisateur Cédric Klapisch à Camélia Jordana, beaucoup ont craqué pour ce “bluesman” lusophone.
Evoquant aussi bien les fameuses mornas pleines de mélancolie popularisées par Cesaria Evora que certains éléments de musique afro-brésilienne ou de la rumba congolaise voisine, l’album Angola 72/74 est aujourd’hui considéré comme un classique. Un disque reconnu comme un sommet de la musique africaine moderne et universelle au même titre que certains des albums de Fela Kuti, Miriam Makeba, Manu Dibango, Youssou N’Dour, Ali Farka Touré pour ne pas citer encore une fois l’une des plus grandes, Cesaria Evora. La boucle est bouclée et on souhaite logiquement une longue vie à LUSAFRICA.