C’est devenu une habitude désormais, chaque année sort en librairie un nouveau tome des Cahiers d’Esther et c’est un succès. On y suit une jeune fille à travers les tribulations de l’enfance depuis 2015 et on regrette déjà que le prochain tome soit le dernier. Mais pourquoi sommes-nous, petits et grands, aussi accros à ses aventures ?
Un concept simple et efficace
Les Cahiers d’Esther, c’est l’auteur dessinateur Riad Sattouf qui met en image la vie d’une véritable fillette devenue adolescente, la fille d’un couple d’amis qui lui raconte régulièrement les événements, importants ou pas, qui remplissent sa vie d’enfant, entre scènes d’école, vie familiale et aventures extérieures. De cette matière, l’auteur tire des histoires courtes, la plupart du temps en une page, prépubliées dans L’Obs puis en album et même en série animée. Chaque album correspond à une année dans la vie d’Esther, et le premier débute alors qu’elle a dix ans. Riad Sattouf a dès le départ annoncé qu’il s’arrêterait à la majorité de la jeune fille, au neuvième tome. On y retrouve le dessin simple mais précis de l’auteur, en noir et blanc sur lequel viennent se surimposer des plages de couleurs primaires pour mettre l’emphase sur un sentiment ou une ambiance en particulier. Comme d’habitude chez lui, ça se lit facilement, tellement même que ça se dévore.
Succès d’édition
On commence à être habitués avec Riad Sattouf, puisque chaque nouvelle œuvre ou presque est un best-seller. Et bien entendu Les Cahiers d’Esther ne déroge pas à la règle. Les sept premiers tomes de la saga s’étaient déjà écoulés à plus d’un million et demi d’exemplaires et les deux derniers semblent partis pour grossir encore plus les chiffres, car les aventures de la jeune fille passionnent de plus en plus à mesure que le bouche à oreille fait son effet, si jamais vous étiez passés à côté du phénomène médiatique ou n’aviez pas reçu votre exemplaire sous le sapin. Déjà adaptée en série animée comportant trois saisons d’une cinquantaine d’épisodes de deux minutes, il serait étonnant que Les Cahiers d’Esther ne reçoive pas les honneurs d’une adaptation en prise de vue réelle.
Chroniqueur de l’adolescence
Personne n’a été surpris lorsque le thème des Cahiers d’Esther a été annoncé, puisque Riad Sattouf s’est fait le maître de la représentation de l’enfant, et plus particulièrement de l’adolescent, dans la bande dessinée francophone. Révélé au grand public grâce à sa série de strip La Vie secrète des jeunes, publiée chaque semaine dans Charlie Hebdo de 2004 à 2014, il y représentait des scènes réelles dont il avait été témoin lors de ses pérégrinations impliquant des adolescents ou des jeunes adultes dans toute leur splendeur ridicule, entre humour et tragique. Passé à la réalisation en 2009, il exposait à la face du monde la réalité la plus crue et la plus drôle des tourments de l’adolescence dans Les Beaux Gosses. Avec le mélange de cruauté et d’affection qui caractérise son regard sur cette période de la vie, il donnait à voir un long-métrage d’une justesse inouïe sur ce moment incontournable.
L’Arabe du futur était pour lui l’occasion de se mettre en scène en racontant sa vie d’enfant né d’un père syrien et d’une mère bretonne, passée à déménager de Syrie en Lybie puis en France, avec toujours ce regard à la fois juste et acéré sur l’enfance, la sienne cette fois. Multirécompensé, Riad Sattouf parle à chacun de nous, peu importe notre âge, puisqu’on a tous été enfants. La principale différence des Cahiers d’Esther avec ses autres œuvres tient au fait que le personnage est une fille, puisque jusque-là il était plus aisé pour lui de parler de ce qu’il connaissait le mieux. Et ce changement se fait naturellement. Il nous montre toujours ce monde de l’adolescence sans filtre, cette micro-société de la cour de l’école avec ses émotions vives et sa cruauté sans limite, ses règles et ses événements racontés par la jeune Esther. Sans jugement, avec bienveillance et humour, Riad Sattouf croque décidément les tourments de l’adolescence comme personne.
Les personnages
Il est quelque peu étrange de parler des personnages apparaissant dans Les Cahiers d’Esther puisqu’il s’agit de véritables personnes, mais chaque membre du cercle intime de la jeune fille est incontestablement ce qu’on appelle un « bon » personnage. À commencer par Esther, jeune fille de dix ans lors de la première bande dessinée, qui affronte la vie d’un enfant en 2015 avec un certain panache. Intelligente et posée par instants, plus légère et farfelue à d’autres, elle alterne entre les élans de son âge et un recul impressionnant pour une élève de primaire. Elle gardera ces traits de caractère tout au long de son adolescence en y ajoutant les inévitables questionnements liés à cette période de la vie. Ses doutes aussi bien que ses principes font d’elle un personnage à la fois intéressant et auquel il est facile de s’identifier.
Ensuite viennent les membres de sa famille, qui n’ont pas droit au même traitement. Si elle adore et idolâtre ses parents, notamment son père, coach sportif et véritable papa poule, protecteur et exemple à la fois, il n‘en est pas de même pour son grand frère, immanquablement représenté en adolescent idiot type. Mais toute histoire a besoin d’un bon méchant. Et puis il y a ses amies, qui changent avec le temps, disparaissent puis reviennent comme Cassandre, et les garçons. Ah, les garçons. Honnis et aimés à la fois. Un véritable casting de série.
Grandir avec ses héros
Tout le monde adore Les Cahiers d’Esther. Mais au-delà de la bande dessinée piquante et divertissante qu’elle est pour beaucoup de gens, elle a joué un rôle important dans la vie des enfants qui l’ont lue pendant qu’eux-mêmes avançaient dans la vie. Avec son rythme de parution annuel, la BD a accompagné nombre d’adolescents à travers le collège et le lycée, dans ce voyage vers l’âge adulte. L’expérience est à rapprocher de la découverte et la lecture de Harry Potter qui grandissait en même temps que ses lecteurs. Voir Esther se débattre dans l’impitoyable univers scolaire a quelque chose de rassurant pour des enfants qui retrouvent leurs tracas et leurs passions dans ses aventures. Pêle-mêle, la bande dessinée évoque les garçons, le bullying, la vie sociale d’un(e) école/collège/lycée, les parents, les frères et sœurs, les meilleures amies, l’actualité qu’on ne comprend pas au début puis qu’on appréhende de plus en plus avec l’âge, les relations avec l’autre, les problèmes de société rencontrés dans la rue, l’avenir, enfin la vie quoi ! Bref, Les Cahiers d’Esther pourrait presque être une lecture obligatoire à l’école tant l’œuvre de Riad Sattouf touche encore une fois juste dans sa représentation de l’adolescence. Le vrai malheur dans tout ça est bien qu’il ne reste plus qu’un tome à paraître.